Maxime Carbonneau, avec son collectif La messe basse, s’est donné pour mandat d’explorer « des matériaux inédits au théâtre », ce qui a pu donner l’exploration des archives de la poète Josée Yvon pour La femme la plus dangereuse du Québec ou un dialogue avec Siri, l’intelligence artificielle d’Apple, pour le spectacle du même nom.
Cette fois, il s’agit de travailler à partir du roman de Erika Soucy, Les murailles, quête initiatique vers les chantiers où son père a œuvré toute son enfance. Elle qui se décrit comme une enfant « fly-in, fly-out » ne voyait son père que lors de rares séjours à la maison, de retour pour quelques jours après plusieurs semaines sur d’énormes chantiers.
Elle part le rejoindre à la Romaine, pour une semaine de résidence d’écriture, afin d’essayer de comprendre ce qu’a pu être la vie de son père, son cadre de travail et les raisons de ce magnétisme particulier qui l’attirait sans cesse au loin. Erika a débarqué avec un vague statut de « commis de bureau », pour justifier sa présence. De cette immersion est né un recueil de poèmes puis 4 ans plus tard, un roman, primé à de nombreuses occasions.
Les murailles fait notamment le récit de ce voyage et l’originalité de la proposition de son adaptation théâtrale réside en partie dans le fait d’inviter l’auteure à assumer son propre rôle — Erika est aussi comédienne — et de littéralement tout organiser autour d’elle, qui ne quitte jamais la scène. Carbonneau signe là une mise en scène forte, déployant une écriture de plateau solide, qui s’éloigne du spectacle J’aime Hydro — à la thématique et au dispositif proches — par une approche plus poétique que politique, une plongée dans l’intime et un sens des images scéniques très assuré.
Mettre les murs à nu
La scène est nue, les murs du théâtre sont à vue. Quelques portants à costumes noirs se fondent autour de l’espace de jeu; une longue table pliante, avec bancs intégrés, se laisse oublier, repliée dans un coin de l’espace, on la déplacera ensuite selon les besoins. Ce qui frappe, ce sont les dizaines de projecteurs, tout autour de la scène, certains pendant en 4 grappes chargées au-dessus du plateau.
C’est par la lumière que Carbonneau dessine son espace (magnifique travail de Julie Basse), jouant de bascules atmosphériques intenses (l’allumage progressif des projecteurs au lointain suggère le décollage de l’avion pour Havre-Saint-Pierre, la pleine lumière éclate lors du dynamitage d’un pan de montagne) et délimitant des espaces de jeu au sol, comme autant de séquences. La lumière module de manière magistrale les ambiances (notamment toutes sortes de références chromatiques aquatiques lorsque l’on s’approche du barrage, des teintes automnales pour les sous-bois) et vient dessiner autant de trajectoires.
L’espace nu est donc habillé de lumière, mais aussi de sonorités douces, d’ambiances musicales qui assurent une très belle tension et soulignent les montées dramatiques ou soutiennent légèrement (magnifique partition de Josué Beaucage).
Dans cet espace nu, de sons et de lumière, les mots et le jeu des interprètes ont la part belle. Le texte d’abord, oral, écrit en « nord-côtois pur jus » dit l’auteure, qui s’adresse au public et le prend à parti dès les premiers mots. Un texte émaillé de très belles images, mais aussi d’humour : les blagues du chantier, les dragues maladroites laissent place à de petites perles de poésie ; et c’est d’ailleurs l’impact d’Erika sur les gens qu’elle croise. Le texte alterne journal de bord, description des lieux, réflexions plus intimes sur la relation au père, avec des scènes de dialogues souvent cocasses, reflétant les multiples rencontres de l’auteure. On découvre ainsi les autres gars du chantier, les quelques femmes qui y travaillent, l’oncle Gérard — qui ne parle plus au père d’Erika depuis que ce dernier a divorcé de sa sœur, 20 ans auparavant — le frère, Ken, qui débarque d’un autre chantier suite à une altercation avec des autochtones, et enfin Mario, le père.
Pour incarner tous ces personnages, Carbonneau a fait appel à une belle distribution d’interprètes solides et prêts à plonger dans toutes sortes d’incarnations. Et l’on regoûte alors à ce plaisir du théâtre tout simple, fait à partir d’un récit partagé puis d’un portant de costumes et d’interprètes inspirés. 12 protagonistes sont ainsi incarnés par 3 interprètes. Philippe Cousineau joue avec bonhomie tous les hommes d’âges mûrs du chantier à l’humour potache, mais aussi tentant de décrire à la jeune fille leur réalité. Éva Daigle se transforme dans un plaisir de jeu évident en toutes sortes de femmes (secrétaire, travailleuse ayant su s’imposer dans ce monde d’homme, présentatrice neurasthénique d’une conférence d’Hydro-Québec, etc.) Gabriel Cloutier Tremblay incarne dans des virevoltes rapides Ken, le frère taiseux d’Erika, Martin le jeune boss et Josh, le jeune gars qui claque sa paie dans de l’alcool et de la coke. Jacques Girard est le père, taiseux lui aussi, souvent gêné, incapable d’exprimer les choses, mais réussissant tout de même maladroitement à évoquer sa joie de voir ses deux enfants, ou sa joie simple d’avoir une nouvelle petite fille de 4 ans, alors qu’Erika à elle-même un petit gars d’un an.
Tous et toutes butent sur la même difficulté à dire, à se dire, à exprimer sa fierté, ou sa reconnaissance. Tous et toutes tapent depuis toujours sur les mêmes murs. Tout de même, on assiste à quelques lézardes dans ces murailles, à quelques confidences entre ces êtres emmurés par l’habitude et de la pudeur, et l’on mesure combien un tel projet fait tomber les murs. Erika évoque à la fin du spectacle ces murs « entre le Nord et la vraie vie ou ceux que l’on érige à l’intérieur de soi ». On réalise aussi combien ce voyage a permis à l’auteure de se trouver — et par voyage, j’inclus aussi les quatre années de gestation dont a eu besoin l’auteure avant de finaliser son texte —, et combien du même coup, il nous invite à nous retrouver nous-mêmes face à nos murailles, pour mieux les fendre !
Mise en scène : Maxime Carbonneau. Texte : Erika Soucy. Éclairage : Julie Basse (assistée de Maryline Gagnon). Musique : Josué Beaucage. Costumes : Cynthia St-Gelais. Distribution : Gabriel Cloutier Tremblay, Philippe Cousineau, Éva Daigle, Jacques Girard, Erika Soucy. Une création présentée au Théâtre Périscope du 9 au 20 avril 2019.
Maxime Carbonneau, avec son collectif La messe basse, s’est donné pour mandat d’explorer « des matériaux inédits au théâtre », ce qui a pu donner l’exploration des archives de la poète Josée Yvon pour La femme la plus dangereuse du Québec ou un dialogue avec Siri, l’intelligence artificielle d’Apple, pour le spectacle du même nom.
Cette fois, il s’agit de travailler à partir du roman de Erika Soucy, Les murailles, quête initiatique vers les chantiers où son père a œuvré toute son enfance. Elle qui se décrit comme une enfant « fly-in, fly-out » ne voyait son père que lors de rares séjours à la maison, de retour pour quelques jours après plusieurs semaines sur d’énormes chantiers.
Elle part le rejoindre à la Romaine, pour une semaine de résidence d’écriture, afin d’essayer de comprendre ce qu’a pu être la vie de son père, son cadre de travail et les raisons de ce magnétisme particulier qui l’attirait sans cesse au loin. Erika a débarqué avec un vague statut de « commis de bureau », pour justifier sa présence. De cette immersion est né un recueil de poèmes puis 4 ans plus tard, un roman, primé à de nombreuses occasions.
Les murailles fait notamment le récit de ce voyage et l’originalité de la proposition de son adaptation théâtrale réside en partie dans le fait d’inviter l’auteure à assumer son propre rôle — Erika est aussi comédienne — et de littéralement tout organiser autour d’elle, qui ne quitte jamais la scène. Carbonneau signe là une mise en scène forte, déployant une écriture de plateau solide, qui s’éloigne du spectacle J’aime Hydro — à la thématique et au dispositif proches — par une approche plus poétique que politique, une plongée dans l’intime et un sens des images scéniques très assuré.
Mettre les murs à nu
La scène est nue, les murs du théâtre sont à vue. Quelques portants à costumes noirs se fondent autour de l’espace de jeu; une longue table pliante, avec bancs intégrés, se laisse oublier, repliée dans un coin de l’espace, on la déplacera ensuite selon les besoins. Ce qui frappe, ce sont les dizaines de projecteurs, tout autour de la scène, certains pendant en 4 grappes chargées au-dessus du plateau.
C’est par la lumière que Carbonneau dessine son espace (magnifique travail de Julie Basse), jouant de bascules atmosphériques intenses (l’allumage progressif des projecteurs au lointain suggère le décollage de l’avion pour Havre-Saint-Pierre, la pleine lumière éclate lors du dynamitage d’un pan de montagne) et délimitant des espaces de jeu au sol, comme autant de séquences. La lumière module de manière magistrale les ambiances (notamment toutes sortes de références chromatiques aquatiques lorsque l’on s’approche du barrage, des teintes automnales pour les sous-bois) et vient dessiner autant de trajectoires.
L’espace nu est donc habillé de lumière, mais aussi de sonorités douces, d’ambiances musicales qui assurent une très belle tension et soulignent les montées dramatiques ou soutiennent légèrement (magnifique partition de Josué Beaucage).
Dans cet espace nu, de sons et de lumière, les mots et le jeu des interprètes ont la part belle. Le texte d’abord, oral, écrit en « nord-côtois pur jus » dit l’auteure, qui s’adresse au public et le prend à parti dès les premiers mots. Un texte émaillé de très belles images, mais aussi d’humour : les blagues du chantier, les dragues maladroites laissent place à de petites perles de poésie ; et c’est d’ailleurs l’impact d’Erika sur les gens qu’elle croise. Le texte alterne journal de bord, description des lieux, réflexions plus intimes sur la relation au père, avec des scènes de dialogues souvent cocasses, reflétant les multiples rencontres de l’auteure. On découvre ainsi les autres gars du chantier, les quelques femmes qui y travaillent, l’oncle Gérard — qui ne parle plus au père d’Erika depuis que ce dernier a divorcé de sa sœur, 20 ans auparavant — le frère, Ken, qui débarque d’un autre chantier suite à une altercation avec des autochtones, et enfin Mario, le père.
Pour incarner tous ces personnages, Carbonneau a fait appel à une belle distribution d’interprètes solides et prêts à plonger dans toutes sortes d’incarnations. Et l’on regoûte alors à ce plaisir du théâtre tout simple, fait à partir d’un récit partagé puis d’un portant de costumes et d’interprètes inspirés. 12 protagonistes sont ainsi incarnés par 3 interprètes. Philippe Cousineau joue avec bonhomie tous les hommes d’âges mûrs du chantier à l’humour potache, mais aussi tentant de décrire à la jeune fille leur réalité. Éva Daigle se transforme dans un plaisir de jeu évident en toutes sortes de femmes (secrétaire, travailleuse ayant su s’imposer dans ce monde d’homme, présentatrice neurasthénique d’une conférence d’Hydro-Québec, etc.) Gabriel Cloutier Tremblay incarne dans des virevoltes rapides Ken, le frère taiseux d’Erika, Martin le jeune boss et Josh, le jeune gars qui claque sa paie dans de l’alcool et de la coke. Jacques Girard est le père, taiseux lui aussi, souvent gêné, incapable d’exprimer les choses, mais réussissant tout de même maladroitement à évoquer sa joie de voir ses deux enfants, ou sa joie simple d’avoir une nouvelle petite fille de 4 ans, alors qu’Erika à elle-même un petit gars d’un an.
Tous et toutes butent sur la même difficulté à dire, à se dire, à exprimer sa fierté, ou sa reconnaissance. Tous et toutes tapent depuis toujours sur les mêmes murs. Tout de même, on assiste à quelques lézardes dans ces murailles, à quelques confidences entre ces êtres emmurés par l’habitude et de la pudeur, et l’on mesure combien un tel projet fait tomber les murs. Erika évoque à la fin du spectacle ces murs « entre le Nord et la vraie vie ou ceux que l’on érige à l’intérieur de soi ». On réalise aussi combien ce voyage a permis à l’auteure de se trouver — et par voyage, j’inclus aussi les quatre années de gestation dont a eu besoin l’auteure avant de finaliser son texte —, et combien du même coup, il nous invite à nous retrouver nous-mêmes face à nos murailles, pour mieux les fendre !
Les murailles
Mise en scène : Maxime Carbonneau. Texte : Erika Soucy. Éclairage : Julie Basse (assistée de Maryline Gagnon). Musique : Josué Beaucage. Costumes : Cynthia St-Gelais. Distribution : Gabriel Cloutier Tremblay, Philippe Cousineau, Éva Daigle, Jacques Girard, Erika Soucy. Une création présentée au Théâtre Périscope du 9 au 20 avril 2019.