Le thriller psychologique Madra (Gut) de Frances Poet, monté au Théâtre de la Licorne, dépeint la réaction viscérale de parents confrontés à une menace contre leur enfant.
Madra, Alex et leur fils Gabriel, âgé de trois ans, mènent une vie normale… jusqu’à ce qu’un événement banal bouleverse leur quiétude. Lors d’une promenade au centre commercial, Claire accepte qu’un inconnu accompagne Gabriel aux toilettes pour soulager une envie pressante. Les parents désapprouvent la négligence de la grand-mère. Une méfiance malsaine s’empare d’eux, ils imaginent le pire.
Alex et Madra spéculent sur le déroulement des événements, sur l’identité et les intentions de l’inconnu. Certains comportements inusités de l’enfant exacerbent leurs doutes. Ils entraînent Claire sur les lieux de l’incident pour enquêter, mais en vain. La mère tente maladroitement de reconstituer la scène ; ses questions embarrassantes rebutent Gabriel. L’interrogatoire policier s’avère aussi inconcluant. « On ne le saura jamais ! », se lamente Madra.
En l’absence de traumatisme physique ou psychique, Alex se persuade que son fils n’a subi aucune agression. À l’inverse, Madra sombre dans la paranoïa : elle perçoit partout des menaces à la sécurité de son enfant, elle attribue une intention malveillante à tous les étrangers. Les cauchemars, l’insomnie et les hallucinations minent sa santé. Elle écarte froidement Claire, sa relation conjugale se détériore. Elle se claustre avec Gabriel. Dans un moment de délire, Madra inflige de graves sévices à son fils en voulant le conditionner à la prudence. Cette magistrale scène de basculement dans la folie fait frémir.
Madra est internée à l’hôpital psychiatrique. Quoiqu’elle en réchappe ultimement, il appert qu’elle ne retrouvera jamais sa sérénité et que les personnages ne guériront pas des blessures de la méfiance.
Une interprétation réaliste
La distribution offre une excellente prestation. Sylvie de Morais-Nogueira interprète finement le dérapage psychique de la mère éplorée. Marc-André Thibault incarne un père convaincant, malgré un jeu irrégulier, parfois forcé. Louise Bombardier se distingue par son naturel dans le rôle touchant de la grand-mère, qui seule conserve sa lucidité. Frédéric Blanchette se coule adroitement dans la peau de tous les inconnus, mais il ne parvient pas véritablement à les singulariser.
Le décor, rudimentaire mais polyvalent, exploite efficacement l’espace restreint. Les transitions entre les scènes sont assurées par une obscurité baignée d’une musique inquiétante. Des dessins d’enfant, des scènes d’horreur sont projetés sur les murs et sur le corps de la mère.
La traduction de Madra dans une langue quotidienne, son adaptation à la réalité québécoise contribuent au réalisme de l’œuvre. La tonalité mériterait cependant quelques ajustements, car elle mêle parfois inopportunément le dramatique et le comique, suscitant des rires à contretemps.
L’angoisse de l’incertitude
Ce drame familial interroge les mécanismes psychiques de l’angoisse, la frontière entre la raison et la folie. L’ellipse de l’incident nourrit le doute sur sa nature, laissant libre cours à toutes les interprétations. L’inquiétude des personnages, le suspense de la pièce procèdent entièrement de cette incertitude radicale, qu’aucune vérification ni aucun argument ne parvient à dissiper. Le leitmotiv du loquet de clôture défectueux incarne symboliquement une faille dans la sécurité domestique, la menace pressante du monde extérieur. L’incarnation de tous les étrangers par un même acteur suggère une figure générique de l’Inconnu. Cette oppression du doute, ce péril de l’inconnu maintiennent une vive tension dramatique.
L’absence sur scène de l’enfant, qui constitue pourtant le centre du discours comme de l’action, ajoute à l’ambiguïté et au suspense ; elle tend certes à déréaliser la représentation et à atténuer l’apitoiement du spectateur, mais elle concentre l’attention sur l’anxiété parentale, qui constitue le véritable sujet dramaturgique.
L’obsession sécuritaire
La mère soulève un enjeu obsédant : « Comment je peux garder mon enfant en sécurité dans un monde plein de pervers ? ». Or, à son corps défendant, sa paranoïa devient elle-même une source de danger. La grand-mère lui objecte une morale conciliante : « Dans mon temps, on faisait confiance au monde. On savait qu’il y avait des pommes pourries, mais on se disait que la majorité des gens était corrects. »
Le thriller oppose ces deux relations au monde, sécuritaire et pragmatique, séparées par un gouffre générationnel. Il ne tranche pas le dilemme ; il montre les effets dévastateurs d’une méfiance menant à la paranoïa, il critique implicitement l’obsession sécuritaire moderne, notamment dans le soin des enfants. Malgré le simplisme du propos et quelques invraisemblances dans l’intrigue, Madra atteint l’effet de suspense et de catharsis recherché.
Texte : Frances Poet. Traduction et adaptation : Marc-André Thibault. Mise en scène : Marie-Hélène Gendreau. Distribution : Frédéric Blanchette, Louise Bombardier, Sylvie de Morais-Nogueira, Marc-André Thibault. Régie : Marilou Huberdeau. Décor : Véronique Bertrand. Costumes : Leïlah Dufour-Forget. Éclairages : Keven Dubois. Son : Vincent Pascal et Ian Vadnais. Photographie : Hugo B. Lefort. Graphisme : Élizabeth Laferrière. Voix : Henri Bergeron. Une production du Théâtre du Bistouri en codiffusion avec La Manufacture, présentée au Théâtre de la Licorne du 8 avril au 27 avril 2019.
Le thriller psychologique Madra (Gut) de Frances Poet, monté au Théâtre de la Licorne, dépeint la réaction viscérale de parents confrontés à une menace contre leur enfant.
Madra, Alex et leur fils Gabriel, âgé de trois ans, mènent une vie normale… jusqu’à ce qu’un événement banal bouleverse leur quiétude. Lors d’une promenade au centre commercial, Claire accepte qu’un inconnu accompagne Gabriel aux toilettes pour soulager une envie pressante. Les parents désapprouvent la négligence de la grand-mère. Une méfiance malsaine s’empare d’eux, ils imaginent le pire.
Alex et Madra spéculent sur le déroulement des événements, sur l’identité et les intentions de l’inconnu. Certains comportements inusités de l’enfant exacerbent leurs doutes. Ils entraînent Claire sur les lieux de l’incident pour enquêter, mais en vain. La mère tente maladroitement de reconstituer la scène ; ses questions embarrassantes rebutent Gabriel. L’interrogatoire policier s’avère aussi inconcluant. « On ne le saura jamais ! », se lamente Madra.
En l’absence de traumatisme physique ou psychique, Alex se persuade que son fils n’a subi aucune agression. À l’inverse, Madra sombre dans la paranoïa : elle perçoit partout des menaces à la sécurité de son enfant, elle attribue une intention malveillante à tous les étrangers. Les cauchemars, l’insomnie et les hallucinations minent sa santé. Elle écarte froidement Claire, sa relation conjugale se détériore. Elle se claustre avec Gabriel. Dans un moment de délire, Madra inflige de graves sévices à son fils en voulant le conditionner à la prudence. Cette magistrale scène de basculement dans la folie fait frémir.
Madra est internée à l’hôpital psychiatrique. Quoiqu’elle en réchappe ultimement, il appert qu’elle ne retrouvera jamais sa sérénité et que les personnages ne guériront pas des blessures de la méfiance.
Une interprétation réaliste
La distribution offre une excellente prestation. Sylvie de Morais-Nogueira interprète finement le dérapage psychique de la mère éplorée. Marc-André Thibault incarne un père convaincant, malgré un jeu irrégulier, parfois forcé. Louise Bombardier se distingue par son naturel dans le rôle touchant de la grand-mère, qui seule conserve sa lucidité. Frédéric Blanchette se coule adroitement dans la peau de tous les inconnus, mais il ne parvient pas véritablement à les singulariser.
Le décor, rudimentaire mais polyvalent, exploite efficacement l’espace restreint. Les transitions entre les scènes sont assurées par une obscurité baignée d’une musique inquiétante. Des dessins d’enfant, des scènes d’horreur sont projetés sur les murs et sur le corps de la mère.
La traduction de Madra dans une langue quotidienne, son adaptation à la réalité québécoise contribuent au réalisme de l’œuvre. La tonalité mériterait cependant quelques ajustements, car elle mêle parfois inopportunément le dramatique et le comique, suscitant des rires à contretemps.
L’angoisse de l’incertitude
Ce drame familial interroge les mécanismes psychiques de l’angoisse, la frontière entre la raison et la folie. L’ellipse de l’incident nourrit le doute sur sa nature, laissant libre cours à toutes les interprétations. L’inquiétude des personnages, le suspense de la pièce procèdent entièrement de cette incertitude radicale, qu’aucune vérification ni aucun argument ne parvient à dissiper. Le leitmotiv du loquet de clôture défectueux incarne symboliquement une faille dans la sécurité domestique, la menace pressante du monde extérieur. L’incarnation de tous les étrangers par un même acteur suggère une figure générique de l’Inconnu. Cette oppression du doute, ce péril de l’inconnu maintiennent une vive tension dramatique.
L’absence sur scène de l’enfant, qui constitue pourtant le centre du discours comme de l’action, ajoute à l’ambiguïté et au suspense ; elle tend certes à déréaliser la représentation et à atténuer l’apitoiement du spectateur, mais elle concentre l’attention sur l’anxiété parentale, qui constitue le véritable sujet dramaturgique.
L’obsession sécuritaire
La mère soulève un enjeu obsédant : « Comment je peux garder mon enfant en sécurité dans un monde plein de pervers ? ». Or, à son corps défendant, sa paranoïa devient elle-même une source de danger. La grand-mère lui objecte une morale conciliante : « Dans mon temps, on faisait confiance au monde. On savait qu’il y avait des pommes pourries, mais on se disait que la majorité des gens était corrects. »
Le thriller oppose ces deux relations au monde, sécuritaire et pragmatique, séparées par un gouffre générationnel. Il ne tranche pas le dilemme ; il montre les effets dévastateurs d’une méfiance menant à la paranoïa, il critique implicitement l’obsession sécuritaire moderne, notamment dans le soin des enfants. Malgré le simplisme du propos et quelques invraisemblances dans l’intrigue, Madra atteint l’effet de suspense et de catharsis recherché.
Madra
Texte : Frances Poet. Traduction et adaptation : Marc-André Thibault. Mise en scène : Marie-Hélène Gendreau. Distribution : Frédéric Blanchette, Louise Bombardier, Sylvie de Morais-Nogueira, Marc-André Thibault. Régie : Marilou Huberdeau. Décor : Véronique Bertrand. Costumes : Leïlah Dufour-Forget. Éclairages : Keven Dubois. Son : Vincent Pascal et Ian Vadnais. Photographie : Hugo B. Lefort. Graphisme : Élizabeth Laferrière. Voix : Henri Bergeron. Une production du Théâtre du Bistouri en codiffusion avec La Manufacture, présentée au Théâtre de la Licorne du 8 avril au 27 avril 2019.