La scène est plongée dans le noir. Sans artifice, Alexis O’Hara s’avance et s’adresse au public le temps d’une mise en garde. OUFF est le résultat d’un projet de recherche de trois ans portant sur le privilège des Blancs, un processus créatif humiliant pour l’artiste, qui a dû jongler avec des sentiments de culpabilité, de honte et d’impuissance.
Elle l’avoue d’emblée, sa réflexion individuelle, devenue collective maintenant qu’elle est présentée sur les planches, est maladroite. Mais une prise de conscience sur les ravages du capitalisme, ainsi que sur l’oppression dans nos systèmes culturel, social et économique s’impose. La créatrice en est plus convaincue que jamais, elle qui, en entrant dans la périménopause, a dû faire face à la perte de pouvoir liée au processus de vieillissement, dans une culture obsédée par la jeunesse.
La mort du héros
Dans son travail, l’artiste interdisciplinaire montréalaise explore les multiples possibilités de la voix humaine par l’improvisation électronique, la vidéo et l’installation. Ses projets, souvent interactifs, ont été présentés en Amérique et en Europe.
Pour sa première performance solo scénarisée, Alexis O’Hara propose un joyeux fouillis. Il n’y a pas vraiment de début ni de fin dans OUFF. Comme elle l’affirme, la fin pose problème. S’en défaire dès les premières minutes, c’est se libérer de l’arc dramatique du héros.
Les personnages présentés dans le spectacle sont fragmentés, à la fois victimes et vainqueurs, membres d’un groupe dominant, mais assujettis eux aussi aux normes et attentes de notre société.
C’est le cas de cette blonde aux yeux bleus, vêtue d’une robe digne des princesses de l’empire Disney, qui gravit les marches d’un vertigineux escabeau. Arrivée au sommet, son vêtement s’allonge et se gonfle démesurément. S’amorce alors le monologue de cette femme jadis pleine de promesses, mais qui a craqué sous le poids de la pression sociale. Elle sait que le monde doit évoluer, devenir plus égalitaire, mais elle n’est guère prête à abandonner ses privilèges et savoure les « likes » sur les médias sociaux avec insatiabilité.
Débarrassée de sa tenue de soirée pour le reste de sa performance, Alexis O’Hara propose ensuite un kaléidoscope d’observations caractéristiques de la blanchitude. : le plus vaste choix au comptoir des cosmétiques, la présence de l’histoire de ses ancêtres dans les manuels scolaires, la représentativité dans les médias, l’embauche de personnel de couleur pour se donner bonne conscience… tout y passe.
L’accumulation comme oppression
Cette énumération de préjugés et de tentatives de déculpabilisation est étourdissante, voire oppressive. La sensation d’étouffement trouve même écho dans les transformations physiques d’Alexis O’Hara. Peu à peu, l’artiste ajoute des ballons sous sa combinaison couleur chair (blanche), jusqu’à entraver ses mouvements. Même le public n’y échappe pas, alors que, à la fin de la prestation, une sorte de créature tentaculaire gonflée se déploie au-dessus de lui.
Pour les décors et les costumes de OUFF, la créatrice a travaillé en étroite collaboration avec la plasticienne Atom Cianfarani. Le fruit de leur labeur fascine autant qu’il horrifie. Les deux artistes parviennent à insuffler un sentiment onirique à l’ensemble, qui se veut pourtant une illustration du cancer qui gangrène notre société néolibérale. Bien qu’envahissantes, les structures remplies d’air sont faites de tissus légers aux teintes pastel irisées. Quant aux projections vidéo, les propos y sont durs, mais le visage de l’autrice multiplié et les paroles superposées créent un flou envoûtant.
Captivante, Alexis O’Hara livre une performance solide, sans jamais être éclipsée par l’ampleur des procédés scénographiques. Si le sujet revêt une importance capitale, la Montréalaise l’aborde avec un humour grinçant qui touche fréquemment la cible.
Impossible, en une heure, de débattre en profondeur d’un thème aussi sensible et complexe que le privilège blanc. Dans OUFF, tout est excessif. Les décors et les costumes plus grands que nature, le nombre de réflexions partagées par l’autrice, l’immensité de la tâche à accomplir pour réparer les inégalités sociales.
Humble, Alexis O’Hara ne prétend à aucun moment avoir terminé sa recherche sur la blanchitude et ses conséquences dévastatrices, et encore moins avoir identifié une piste de solution pour l’éliminer. La prise de conscience troublante qu’elle amorce avec sa dernière œuvre est un premier pas vers un monde plus inclusif. Et pour réaliser son souhait, elle invite le public à se joindre à elle, poussant l’audace jusqu’à distribuer une liste de lectures à la sortie de la salle.
Texte, mise en scène, design sonore, performance : Alexis O’Hara. Conception de production : Atom Cianfarani. Vidéo : Aaron Pollard. Régie : Anne-Françoise Jacques. Lumières : Laura-Rose Grenier. Œil extérieur : Dana Michel. Une production Et tu, Machine, présentée à La Chapelle Scènes contemporaines jusqu’au 10 mai.
La scène est plongée dans le noir. Sans artifice, Alexis O’Hara s’avance et s’adresse au public le temps d’une mise en garde. OUFF est le résultat d’un projet de recherche de trois ans portant sur le privilège des Blancs, un processus créatif humiliant pour l’artiste, qui a dû jongler avec des sentiments de culpabilité, de honte et d’impuissance.
Elle l’avoue d’emblée, sa réflexion individuelle, devenue collective maintenant qu’elle est présentée sur les planches, est maladroite. Mais une prise de conscience sur les ravages du capitalisme, ainsi que sur l’oppression dans nos systèmes culturel, social et économique s’impose. La créatrice en est plus convaincue que jamais, elle qui, en entrant dans la périménopause, a dû faire face à la perte de pouvoir liée au processus de vieillissement, dans une culture obsédée par la jeunesse.
La mort du héros
Dans son travail, l’artiste interdisciplinaire montréalaise explore les multiples possibilités de la voix humaine par l’improvisation électronique, la vidéo et l’installation. Ses projets, souvent interactifs, ont été présentés en Amérique et en Europe.
Pour sa première performance solo scénarisée, Alexis O’Hara propose un joyeux fouillis. Il n’y a pas vraiment de début ni de fin dans OUFF. Comme elle l’affirme, la fin pose problème. S’en défaire dès les premières minutes, c’est se libérer de l’arc dramatique du héros.
Les personnages présentés dans le spectacle sont fragmentés, à la fois victimes et vainqueurs, membres d’un groupe dominant, mais assujettis eux aussi aux normes et attentes de notre société.
C’est le cas de cette blonde aux yeux bleus, vêtue d’une robe digne des princesses de l’empire Disney, qui gravit les marches d’un vertigineux escabeau. Arrivée au sommet, son vêtement s’allonge et se gonfle démesurément. S’amorce alors le monologue de cette femme jadis pleine de promesses, mais qui a craqué sous le poids de la pression sociale. Elle sait que le monde doit évoluer, devenir plus égalitaire, mais elle n’est guère prête à abandonner ses privilèges et savoure les « likes » sur les médias sociaux avec insatiabilité.
Débarrassée de sa tenue de soirée pour le reste de sa performance, Alexis O’Hara propose ensuite un kaléidoscope d’observations caractéristiques de la blanchitude. : le plus vaste choix au comptoir des cosmétiques, la présence de l’histoire de ses ancêtres dans les manuels scolaires, la représentativité dans les médias, l’embauche de personnel de couleur pour se donner bonne conscience… tout y passe.
L’accumulation comme oppression
Cette énumération de préjugés et de tentatives de déculpabilisation est étourdissante, voire oppressive. La sensation d’étouffement trouve même écho dans les transformations physiques d’Alexis O’Hara. Peu à peu, l’artiste ajoute des ballons sous sa combinaison couleur chair (blanche), jusqu’à entraver ses mouvements. Même le public n’y échappe pas, alors que, à la fin de la prestation, une sorte de créature tentaculaire gonflée se déploie au-dessus de lui.
Pour les décors et les costumes de OUFF, la créatrice a travaillé en étroite collaboration avec la plasticienne Atom Cianfarani. Le fruit de leur labeur fascine autant qu’il horrifie. Les deux artistes parviennent à insuffler un sentiment onirique à l’ensemble, qui se veut pourtant une illustration du cancer qui gangrène notre société néolibérale. Bien qu’envahissantes, les structures remplies d’air sont faites de tissus légers aux teintes pastel irisées. Quant aux projections vidéo, les propos y sont durs, mais le visage de l’autrice multiplié et les paroles superposées créent un flou envoûtant.
Captivante, Alexis O’Hara livre une performance solide, sans jamais être éclipsée par l’ampleur des procédés scénographiques. Si le sujet revêt une importance capitale, la Montréalaise l’aborde avec un humour grinçant qui touche fréquemment la cible.
Impossible, en une heure, de débattre en profondeur d’un thème aussi sensible et complexe que le privilège blanc. Dans OUFF, tout est excessif. Les décors et les costumes plus grands que nature, le nombre de réflexions partagées par l’autrice, l’immensité de la tâche à accomplir pour réparer les inégalités sociales.
Humble, Alexis O’Hara ne prétend à aucun moment avoir terminé sa recherche sur la blanchitude et ses conséquences dévastatrices, et encore moins avoir identifié une piste de solution pour l’éliminer. La prise de conscience troublante qu’elle amorce avec sa dernière œuvre est un premier pas vers un monde plus inclusif. Et pour réaliser son souhait, elle invite le public à se joindre à elle, poussant l’audace jusqu’à distribuer une liste de lectures à la sortie de la salle.
OUFF
Texte, mise en scène, design sonore, performance : Alexis O’Hara. Conception de production : Atom Cianfarani. Vidéo : Aaron Pollard. Régie : Anne-Françoise Jacques. Lumières : Laura-Rose Grenier. Œil extérieur : Dana Michel. Une production Et tu, Machine, présentée à La Chapelle Scènes contemporaines jusqu’au 10 mai.