Il est si rare qu’on ait l’occasion d’assister à une œuvre scénique venue de Cuba à Montréal qu’on sentait une certaine fébrilité avant la première de Granma : trombones de la Havane, mardi soir, au Monument-National. L’œuvre est en fait une coproduction de deux compagnies allemandes, la bien connue, chez nous, Rimini Protokoll, spécialisée dans le théâtre documentaire mettant en scène des non-acteurs et non-actrices, et le Théâtre Maxime Gorki de Berlin, où a été créé le spectacle en mars dernier. Conçue et mise en scène par Stefan Kaegi, de Rimini, la pièce résulte d’une recherche documentaire poussée et donne la parole à quatre petits-enfants de héros de la révolution cubaine, qui a 60 ans cette année.
Milagro, Diana, Christian et Daniel, aujourd’hui dans la vingtaine et la trentaine, ont des récits personnels singuliers à partager, en lien avec les événements vécus par leur grand-père, parfois leur grand-mère : un engagement total dans la marche de l’histoire, des rêves et des combats, des espoirs et des désillusions, qui sont un peu ceux de toute la société cubaine. Grâce au soutien visuel de nombreuses projections — photos, archives télévisuelles, extraits vidéo simulant des conversations en direct —, les protagonistes vont, pendant les deux heures de la représentation, raconter les hauts faits de l’histoire de leur pays, à travers ce qu’ils ont entendu, vu ou reçu de leurs grands-parents. La présence sur écran du grand-père de Christian, qui ira jusqu’à reconnaître du bout des lèvres quelques dérives du régime, est particulièrement touchante.
Pendant que l’une ou l’autre active le moulin à coudre où défile un tissu indiquant les années qui passent — 1959, victoire des barbus, 1962, imposition de l’embargo américain, 1968, printemps de Prague et mai parisien, puis 1989, chute du bloc communiste et « période spéciale » d’extrême restriction à Cuba, et ainsi de suite —, chacun, chacune y va d’une bribe d’histoire, d’une anecdote significative, entrecoupées de numéros musicaux. Diana, musicienne professionnelle, a appris à ses camarades à jouer du trombone, ce qu’elles et ils font avec aisance. À un moment, elle chantera même, accompagnée, sur écran, par les membres actuels de l’orchestre auquel avait appartenu son aïeul (aujourd’hui décédé) il y a des décennies.
Et la Cuba d’aujourd’hui ?
Bien fait, bien mené, ce spectacle narratif est fort instructif, et agréable, pour qui aimerait mieux connaître l’histoire de Cuba, mais laissera sur sa faim celui ou celle qui souhaite se frotter à la réalité contemporaine de l’île. Bien sûr, les quatre interprètes, en somme de leur propre trajectoire, expriment leurs souhaits et rêves d’avenir pour leur pays. Ils vont même interroger, un peu, le rôle de leurs parents, qui n’ont pas su donner un nouvel élan à la révolution, mais ils et elles se démarquent peu par leur discours critique. On ne nous dira pas, par exemple, qu’une grande partie de la jeunesse cubaine, à présent branchée au monde extérieur grâce à internet, nourrit des désirs capitalistes, de liberté, de vie meilleure à l’étranger. Le constat qu’on peut ressentir à la sortie de la salle, c’est qu’on peut difficilement avoir cohabité toute sa vie avec les valeureux et les valeureuses révolutionnaires — là-bas, on vit encore en famille, toutes générations confondues, dans la même maison —, et oser vraiment remettre en question leur héritage.
La pièce se termine sur la grande incertitude qui règne maintenant à Cuba, sur ce qui arrivera dans les années à venir. Déjà, les Étatsunien·nes débarquent, le tourisme et l’entreprise privée, encore à moyenne échelle, se développent, les prix montent, sans que l’ensemble de la population n’arrive vraiment à suivre, et les tensions s’accentuent avec l’augmentation des inégalités. L’œuvre-bilan, bien qu’utile, se termine au moment où l’on voudrait qu’elle commence… Ce sera peut-être le sujet d’une prochaine création, quand les langues oseront davantage se délier.
Conception et mise en scène : Stefan Kaegi. Dramaturgie : Aljoscha Begrich et Yohayna Hernández. Scénographie : Aljoscha Begrich. Vidéo : Mikko Gaestel. Musique : Ari Benjamin Meyers. Recherche : Residencia Documenta Sur – Laboratorio escénico de experimentación social (La Havane). Recherche et entrevues (Cuba) : Taimi Diéguez Mallo, Karina Pino Gallardo, Maïté Hernández Lorenzo, José Ramón Hernández Suárez et Ricardo Sarmiento Ramίrez. Avec Milagro Álavarez Leliebre, Daniel Cruces-Pérez, Christian Paneque Moreda et Diana Sainz Mena. Une coproduction de Rimini Protokoll et Théâtre Maxime Gorki présentée au Monument-National jusqu’au 30 mai, à l’occasion du Festival TransAmériques.
Il est si rare qu’on ait l’occasion d’assister à une œuvre scénique venue de Cuba à Montréal qu’on sentait une certaine fébrilité avant la première de Granma : trombones de la Havane, mardi soir, au Monument-National. L’œuvre est en fait une coproduction de deux compagnies allemandes, la bien connue, chez nous, Rimini Protokoll, spécialisée dans le théâtre documentaire mettant en scène des non-acteurs et non-actrices, et le Théâtre Maxime Gorki de Berlin, où a été créé le spectacle en mars dernier. Conçue et mise en scène par Stefan Kaegi, de Rimini, la pièce résulte d’une recherche documentaire poussée et donne la parole à quatre petits-enfants de héros de la révolution cubaine, qui a 60 ans cette année.
Milagro, Diana, Christian et Daniel, aujourd’hui dans la vingtaine et la trentaine, ont des récits personnels singuliers à partager, en lien avec les événements vécus par leur grand-père, parfois leur grand-mère : un engagement total dans la marche de l’histoire, des rêves et des combats, des espoirs et des désillusions, qui sont un peu ceux de toute la société cubaine. Grâce au soutien visuel de nombreuses projections — photos, archives télévisuelles, extraits vidéo simulant des conversations en direct —, les protagonistes vont, pendant les deux heures de la représentation, raconter les hauts faits de l’histoire de leur pays, à travers ce qu’ils ont entendu, vu ou reçu de leurs grands-parents. La présence sur écran du grand-père de Christian, qui ira jusqu’à reconnaître du bout des lèvres quelques dérives du régime, est particulièrement touchante.
Pendant que l’une ou l’autre active le moulin à coudre où défile un tissu indiquant les années qui passent — 1959, victoire des barbus, 1962, imposition de l’embargo américain, 1968, printemps de Prague et mai parisien, puis 1989, chute du bloc communiste et « période spéciale » d’extrême restriction à Cuba, et ainsi de suite —, chacun, chacune y va d’une bribe d’histoire, d’une anecdote significative, entrecoupées de numéros musicaux. Diana, musicienne professionnelle, a appris à ses camarades à jouer du trombone, ce qu’elles et ils font avec aisance. À un moment, elle chantera même, accompagnée, sur écran, par les membres actuels de l’orchestre auquel avait appartenu son aïeul (aujourd’hui décédé) il y a des décennies.
Et la Cuba d’aujourd’hui ?
Bien fait, bien mené, ce spectacle narratif est fort instructif, et agréable, pour qui aimerait mieux connaître l’histoire de Cuba, mais laissera sur sa faim celui ou celle qui souhaite se frotter à la réalité contemporaine de l’île. Bien sûr, les quatre interprètes, en somme de leur propre trajectoire, expriment leurs souhaits et rêves d’avenir pour leur pays. Ils vont même interroger, un peu, le rôle de leurs parents, qui n’ont pas su donner un nouvel élan à la révolution, mais ils et elles se démarquent peu par leur discours critique. On ne nous dira pas, par exemple, qu’une grande partie de la jeunesse cubaine, à présent branchée au monde extérieur grâce à internet, nourrit des désirs capitalistes, de liberté, de vie meilleure à l’étranger. Le constat qu’on peut ressentir à la sortie de la salle, c’est qu’on peut difficilement avoir cohabité toute sa vie avec les valeureux et les valeureuses révolutionnaires — là-bas, on vit encore en famille, toutes générations confondues, dans la même maison —, et oser vraiment remettre en question leur héritage.
La pièce se termine sur la grande incertitude qui règne maintenant à Cuba, sur ce qui arrivera dans les années à venir. Déjà, les Étatsunien·nes débarquent, le tourisme et l’entreprise privée, encore à moyenne échelle, se développent, les prix montent, sans que l’ensemble de la population n’arrive vraiment à suivre, et les tensions s’accentuent avec l’augmentation des inégalités. L’œuvre-bilan, bien qu’utile, se termine au moment où l’on voudrait qu’elle commence… Ce sera peut-être le sujet d’une prochaine création, quand les langues oseront davantage se délier.
Granma : Trombones de la Havane
Conception et mise en scène : Stefan Kaegi. Dramaturgie : Aljoscha Begrich et Yohayna Hernández. Scénographie : Aljoscha Begrich. Vidéo : Mikko Gaestel. Musique : Ari Benjamin Meyers. Recherche : Residencia Documenta Sur – Laboratorio escénico de experimentación social (La Havane). Recherche et entrevues (Cuba) : Taimi Diéguez Mallo, Karina Pino Gallardo, Maïté Hernández Lorenzo, José Ramón Hernández Suárez et Ricardo Sarmiento Ramίrez. Avec Milagro Álavarez Leliebre, Daniel Cruces-Pérez, Christian Paneque Moreda et Diana Sainz Mena. Une coproduction de Rimini Protokoll et Théâtre Maxime Gorki présentée au Monument-National jusqu’au 30 mai, à l’occasion du Festival TransAmériques.