Pour ouvrir sa 47e saison, Duceppe a jeté son dévolu sur une œuvre incontournable de la dramaturgie américaine, Héritage, adaptation de A Raisin in the Sun, de Lorraine Hansberry. Si l’institution montréalaise ne cache pas son affection pour les grandes plumes états-uniennes de la première moitié du 20e siècle, tels John Steinbeck, Arthur Miller et Tennessee Williams, Héritage représente un choix plutôt audacieux. Pour la toute première fois sur la scène d’un théâtre francophone québécois, une pièce est jouée par une distribution presque entièrement noire. Mis en scène par Mike Payette, le spectacle raconte la vie d’une famille afro-américaine du South Side, un quartier pauvre de Chicago, à la fin des années 1950.
Au lever du rideau, une mélodie jazz est interprétée à la trompette par un voisin, sur un balcon, derrière l’appartement où vivent trois générations de Younger. Au petit matin, la maisonnée s’active. Mais, ce jour-là, une fébrilité particulière anime les membres de la famille. On attend la livraison de la prime d’assurance devant être versée à la suite du décès de Walter Senior. Alors que la veuve, Lena, envisage l’achat d’une petite maison pour y loger son monde, son fils Walter Lee espère investir dans un magasin d’alcool. Le père de famille de 35 ans rêve de changement. Pour lui, il est nécessaire de voir grand, au risque de tout perdre.
Être de ceux qui prennent
Présenté sur scène en 1959, avec Sidney Poitier dans le rôle de Walter Lee, A Raisin in the Sun a fait de Lorraine Hansberry la première dramaturge noire à être jouée sur Broadway. L’œuvre tire son titre d’un poème de Langston Hughes, dans lequel on compare un rêve non réalisé à un raisin qui se dessèche au soleil. Face au racisme et aux conditions socio-économiques difficiles, est-il possible d’être fier, d’aspirer à plus, d’être de ceux qui prennent, plutôt que de ceux qui donnent encore et encore, sans jamais recevoir ?
Bien qu’écrite avant le mouvement de revendication des droits civiques, Héritage reste un texte tout à fait actuel. On y aborde bien sûr des thèmes chers au réalisme américain : le combat de la classe ouvrière, la place de l’individu dans la société, la famille. Mais il est aussi question des rôles traditionnels associés aux genres, de l’importance de la religion et de l’assimilationnisme.
Pour rendre hommage à cette pièce marquante, Mike Payette a opté pour une mise en scène sobre, qui respecte à la perfection sa version originale. Le Montréalais excelle dans la mise en valeur de personnages hardis qui évoluent dans un milieu hostile. Il l’a notamment prouvé avec l’adaptation anglaise de Hosanna de Michel Tremblay, pour laquelle il a remporté le prix de la meilleure mise en scène aux Montreal English Theatre Awards en 2015, ainsi qu’avec Choir Boy de Tarell Alvin McCraney, présenté au Centaur Theatre il y a un an.
Pour incarner les membres de la famille Younger, le metteur en scène a fait des choix judicieux. L’ensemble de la distribution livre une performance digne de mention. Frédéric Pierre, intense, propose un Walter Lee oscillant entre idéalisme et amertume. Sa sœur Beneatha, campée par Tracy Marcelin, est radieuse. On se prend rapidement d’affection pour cette jeune adulte effervescente, qui se passionne pour la médecine et ses racines africaines. Quant à elle, Mireille Métellus brille dans le rôle de Lena. La comédienne s’illustre autant dans les scènes comiques que dramatiques.
Les personnages évoluent dans un décor hyper réaliste, créé par Eo Sharp. Les murs de l’appartement sont faits de bois ajouré, ce qui accentue l’aspect précaire de l’habitation. Les actrices et acteurs sont baignés d’une lumière dorée qui filtre à travers les interstices, un éclairage élégant signé Luc Prairie, un fidèle collaborateur de la compagnie Jean-Duceppe.
Héritage est le portrait émouvant d’une famille de battant·es qui refusent de baisser les bras devant les nombreux obstacles qui jalonnent leur quotidien. L’œuvre de Lorraine Hansberry, montée pour la première fois en français au Québec, transcende à la fois les cultures et les époques. Cette histoire de transmission a une portée universelle indéniable. Encore aujourd’hui, on se questionne sur ce qu’on souhaite léguer à nos enfants. Et, au-delà de l’argent et des possessions matérielles, c’est davantage la dignité, le courage et la capacité de rêver qu’on désire leur inculquer.
Texte : Lorraine Hansberry. Mise en scène : Mike Payette. Traduction : Mishka Lavigne. Avec Patrick Émmanuel Abellard, Lyndz Dantiste, Myriam De Verger, Malik Gervais-Aubourg, Tristan D. Lalla, Tracy Marcelin, Mireille Métellus, Éric Paulhus, Frédéric Pierre et Jason Selman. Décor : Eo Sharp. Costumes : Elen Ewing. Éclairages : Luc Prairie. Musique : Mathieu Désy. Accessoires : Normand Blais. Assistance à la mise en scène et direction de plateau : Élaine Normandeau. Consultante et collaboratrice à la mise en scène : Dayane Ntibarikure. Chez Duceppe jusqu’au 5 octobre 2019.
Pour ouvrir sa 47e saison, Duceppe a jeté son dévolu sur une œuvre incontournable de la dramaturgie américaine, Héritage, adaptation de A Raisin in the Sun, de Lorraine Hansberry. Si l’institution montréalaise ne cache pas son affection pour les grandes plumes états-uniennes de la première moitié du 20e siècle, tels John Steinbeck, Arthur Miller et Tennessee Williams, Héritage représente un choix plutôt audacieux. Pour la toute première fois sur la scène d’un théâtre francophone québécois, une pièce est jouée par une distribution presque entièrement noire. Mis en scène par Mike Payette, le spectacle raconte la vie d’une famille afro-américaine du South Side, un quartier pauvre de Chicago, à la fin des années 1950.
Au lever du rideau, une mélodie jazz est interprétée à la trompette par un voisin, sur un balcon, derrière l’appartement où vivent trois générations de Younger. Au petit matin, la maisonnée s’active. Mais, ce jour-là, une fébrilité particulière anime les membres de la famille. On attend la livraison de la prime d’assurance devant être versée à la suite du décès de Walter Senior. Alors que la veuve, Lena, envisage l’achat d’une petite maison pour y loger son monde, son fils Walter Lee espère investir dans un magasin d’alcool. Le père de famille de 35 ans rêve de changement. Pour lui, il est nécessaire de voir grand, au risque de tout perdre.
Être de ceux qui prennent
Présenté sur scène en 1959, avec Sidney Poitier dans le rôle de Walter Lee, A Raisin in the Sun a fait de Lorraine Hansberry la première dramaturge noire à être jouée sur Broadway. L’œuvre tire son titre d’un poème de Langston Hughes, dans lequel on compare un rêve non réalisé à un raisin qui se dessèche au soleil. Face au racisme et aux conditions socio-économiques difficiles, est-il possible d’être fier, d’aspirer à plus, d’être de ceux qui prennent, plutôt que de ceux qui donnent encore et encore, sans jamais recevoir ?
Bien qu’écrite avant le mouvement de revendication des droits civiques, Héritage reste un texte tout à fait actuel. On y aborde bien sûr des thèmes chers au réalisme américain : le combat de la classe ouvrière, la place de l’individu dans la société, la famille. Mais il est aussi question des rôles traditionnels associés aux genres, de l’importance de la religion et de l’assimilationnisme.
Pour rendre hommage à cette pièce marquante, Mike Payette a opté pour une mise en scène sobre, qui respecte à la perfection sa version originale. Le Montréalais excelle dans la mise en valeur de personnages hardis qui évoluent dans un milieu hostile. Il l’a notamment prouvé avec l’adaptation anglaise de Hosanna de Michel Tremblay, pour laquelle il a remporté le prix de la meilleure mise en scène aux Montreal English Theatre Awards en 2015, ainsi qu’avec Choir Boy de Tarell Alvin McCraney, présenté au Centaur Theatre il y a un an.
Pour incarner les membres de la famille Younger, le metteur en scène a fait des choix judicieux. L’ensemble de la distribution livre une performance digne de mention. Frédéric Pierre, intense, propose un Walter Lee oscillant entre idéalisme et amertume. Sa sœur Beneatha, campée par Tracy Marcelin, est radieuse. On se prend rapidement d’affection pour cette jeune adulte effervescente, qui se passionne pour la médecine et ses racines africaines. Quant à elle, Mireille Métellus brille dans le rôle de Lena. La comédienne s’illustre autant dans les scènes comiques que dramatiques.
Les personnages évoluent dans un décor hyper réaliste, créé par Eo Sharp. Les murs de l’appartement sont faits de bois ajouré, ce qui accentue l’aspect précaire de l’habitation. Les actrices et acteurs sont baignés d’une lumière dorée qui filtre à travers les interstices, un éclairage élégant signé Luc Prairie, un fidèle collaborateur de la compagnie Jean-Duceppe.
Héritage est le portrait émouvant d’une famille de battant·es qui refusent de baisser les bras devant les nombreux obstacles qui jalonnent leur quotidien. L’œuvre de Lorraine Hansberry, montée pour la première fois en français au Québec, transcende à la fois les cultures et les époques. Cette histoire de transmission a une portée universelle indéniable. Encore aujourd’hui, on se questionne sur ce qu’on souhaite léguer à nos enfants. Et, au-delà de l’argent et des possessions matérielles, c’est davantage la dignité, le courage et la capacité de rêver qu’on désire leur inculquer.
Héritage
Texte : Lorraine Hansberry. Mise en scène : Mike Payette. Traduction : Mishka Lavigne. Avec Patrick Émmanuel Abellard, Lyndz Dantiste, Myriam De Verger, Malik Gervais-Aubourg, Tristan D. Lalla, Tracy Marcelin, Mireille Métellus, Éric Paulhus, Frédéric Pierre et Jason Selman. Décor : Eo Sharp. Costumes : Elen Ewing. Éclairages : Luc Prairie. Musique : Mathieu Désy. Accessoires : Normand Blais. Assistance à la mise en scène et direction de plateau : Élaine Normandeau. Consultante et collaboratrice à la mise en scène : Dayane Ntibarikure. Chez Duceppe jusqu’au 5 octobre 2019.