La pièce Honour : Confessions of a Mumbai Courtesan de Dipti Mehta propose une incursion dans l’univers d’une maison close indienne. Dans la veine du réalisme engagé, cette œuvre endosse la cause des prostituées en leur accordant la parole. L’intrigue superpose les destins de Draupadi, la princesse de l’épopée du Mahabharata, et de Rani, la fille d’une prostituée de Mumbai. Dans un royaume légendaire, Draupadi incarne la vertu et la beauté. Vouée à la malédiction parce qu’aucun homme ne la mérite, elle épouse simultanément cinq frères, les rois Pandava. Réduite en esclavage, elle mène une existence misérable, assombrie de vexations.
Trois mille ans plus tard, Chameli, prostituée depuis l’enfance, prépare la défloration de sa fille Rani, âgée de 16 ans, pour marquer l’avènement de sa carrière. Quoique rompue à la séduction, Rani hésite à suivre la voie tracée et tente de différer le moment fatidique. Mina, la hijra avec laquelle elle se lie d’amitié, s’immisce dans la querelle. Shyam, le proxénète, veille jalousement sur ces femmes, tandis que Laal, un fidèle client, et Pandit Rama, le brahmane, étalent leur concupiscence.
La scénographie sobre, avec ses châles colorés tendus autour d’un lit, reconstitue efficacement l’atmosphère intime du lupanar. Le sari rouge et doré, les opulents bracelets, bagues et colliers, le maquillage criard évoquent la sensualité des prostituées et la luxure de leurs clients. Les personnages pittoresques et attachants de cette pièce entremêlant le théâtre, la narration, la musique et la danse sont tous adroitement assumés par Dipti Mehta, qui manie une riche palette expressive, notamment lorsqu’elle transpose les registres vernaculaires indiens dans les accents variés d’un anglais sommaire.
Ces choix esthétiques entraînent toutefois un jeu caricatural, qui s’avère certes nécessaire à la différenciation des personnages, mais qui les confine à des archétypes. Ces derniers n’évoluent guère, demeurant figés dans leurs traits et leurs discours. Les intermèdes de danse, puisant autant dans la forme traditionnelle (kathak) que contemporaine (Bollywood), ne parviennent pas à insuffler un mouvement à l’intrigue, réduite à une succession de monologues.
Malgré la gravité du sujet, la tonalité demeure badine : les expressions truculentes, les reparties cinglantes, les mimiques grotesques et les minauderies érotiques égayent l’auditoire. Le propos, simple et redondant, ne rend pas justice à cette matière féconde. Le traitement hyperbolique du mythe en trahit les nuances, les dialogues entre la mère et la fille manquent de profondeur.
Le cycle de la prostitution
Honour décrit la traite humaine et l’esclavage sexuel de l’intérieur. L’intrigue présente la violence subie par les prostituées comme une fatalité sociale. Le cycle de l’oppression féminine s’incarne dans l’assujettissement de Draupadi à un esclavage sexuel, puis dans la répétition du motif de la fille livrée à la prostitution par sa mère. Rani, qui aspire à une vie normale, tente timidement d’échapper à sa condition ; mais lorsque sa fuite échoue, elle se résigne à son sort.
Cette œuvre propose une allégorie de la condition féminine : Draupadi symbolise la femme réifiée, l’instrument du désir masculin. Dipti Mehta dresse un parallèle entre le mythe antique et la réalité moderne : « Draupadi est traitée comme une propriété, réduite à un objet. Je crois que toute femme se reconnaît en elle, d’une manière ou d’une autre. »
Honour traite la prostitution comme un fait humain et social, en évitant tout moralisme hâtif. La mère et la fille expriment des réalités toutes personnelles, quoique diamétralement opposées. Chameli revendique la prostitution comme une activité respectable, une source de pouvoir et de prospérité, car elle gouverne les hommes par leurs désirs. Elle récuse toute velléité d’exploitation, assumant la posture paradoxale d’une « mère qui vend sa fille pour sauver sa vie ». Pragmatique, elle justifie ses actions par la tare indélébile que porte, selon elle, une fille de prostituée, vouée au mépris et au rejet publics, dépourvue du moindre avenir.
Mais les tractations entre Chameli, qui suppute la virginité de sa fille, et les clients, qui négocient âprement un rabais, trahissent le mercantilisme de la démarche. La défloration de Rani est ainsi décrite comme la « première vente » de son « honneur ». Le dilemme fondamental découle des contraintes sociales infligées aux femmes : « je peux sauver sa vie, mais pas son honneur », regrette la mère.
Cette proposition originale et prometteuse est minée par une intrigue pauvre et statique, dénuée de véritable tension dramatique. Le talent de l’actrice, la variété des interprétations et la maîtrise chorégraphique ne compensent pas la superficialité du propos. Le dénouement convenu laisse le spectateur sur sa faim. Malgré une louable intention« d’éveiller les consciences et de rompre la stigmatisation sociale qui entoure les travailleuses du sexe », Honour reproduit hélas les stéréotypes qu’elle prétend déconstruire.
Texte et interprétation : Dipti Mehta. Mise en scène : Mark Cirnigliaro. Costumes : Scott Westervelt. Chorégraphie : Monica Kapoor. Musique : Rhythm Tolee. Son : Matt Bittner. Consultation : Liz Valdez. Production : David Perrault-Ninacs. Direction technique : David Surette. Régie : Sierra Alarie. Tournée : Rohit Chokhani. Une production du Théâtre Teesri Duniya présentée au Montréal, arts interculturels (MAI) jusqu’au 6 octobre 2019.
La pièce Honour : Confessions of a Mumbai Courtesan de Dipti Mehta propose une incursion dans l’univers d’une maison close indienne. Dans la veine du réalisme engagé, cette œuvre endosse la cause des prostituées en leur accordant la parole. L’intrigue superpose les destins de Draupadi, la princesse de l’épopée du Mahabharata, et de Rani, la fille d’une prostituée de Mumbai. Dans un royaume légendaire, Draupadi incarne la vertu et la beauté. Vouée à la malédiction parce qu’aucun homme ne la mérite, elle épouse simultanément cinq frères, les rois Pandava. Réduite en esclavage, elle mène une existence misérable, assombrie de vexations.
Trois mille ans plus tard, Chameli, prostituée depuis l’enfance, prépare la défloration de sa fille Rani, âgée de 16 ans, pour marquer l’avènement de sa carrière. Quoique rompue à la séduction, Rani hésite à suivre la voie tracée et tente de différer le moment fatidique. Mina, la hijra avec laquelle elle se lie d’amitié, s’immisce dans la querelle. Shyam, le proxénète, veille jalousement sur ces femmes, tandis que Laal, un fidèle client, et Pandit Rama, le brahmane, étalent leur concupiscence.
La scénographie sobre, avec ses châles colorés tendus autour d’un lit, reconstitue efficacement l’atmosphère intime du lupanar. Le sari rouge et doré, les opulents bracelets, bagues et colliers, le maquillage criard évoquent la sensualité des prostituées et la luxure de leurs clients. Les personnages pittoresques et attachants de cette pièce entremêlant le théâtre, la narration, la musique et la danse sont tous adroitement assumés par Dipti Mehta, qui manie une riche palette expressive, notamment lorsqu’elle transpose les registres vernaculaires indiens dans les accents variés d’un anglais sommaire.
Ces choix esthétiques entraînent toutefois un jeu caricatural, qui s’avère certes nécessaire à la différenciation des personnages, mais qui les confine à des archétypes. Ces derniers n’évoluent guère, demeurant figés dans leurs traits et leurs discours. Les intermèdes de danse, puisant autant dans la forme traditionnelle (kathak) que contemporaine (Bollywood), ne parviennent pas à insuffler un mouvement à l’intrigue, réduite à une succession de monologues.
Malgré la gravité du sujet, la tonalité demeure badine : les expressions truculentes, les reparties cinglantes, les mimiques grotesques et les minauderies érotiques égayent l’auditoire. Le propos, simple et redondant, ne rend pas justice à cette matière féconde. Le traitement hyperbolique du mythe en trahit les nuances, les dialogues entre la mère et la fille manquent de profondeur.
Le cycle de la prostitution
Honour décrit la traite humaine et l’esclavage sexuel de l’intérieur. L’intrigue présente la violence subie par les prostituées comme une fatalité sociale. Le cycle de l’oppression féminine s’incarne dans l’assujettissement de Draupadi à un esclavage sexuel, puis dans la répétition du motif de la fille livrée à la prostitution par sa mère. Rani, qui aspire à une vie normale, tente timidement d’échapper à sa condition ; mais lorsque sa fuite échoue, elle se résigne à son sort.
Cette œuvre propose une allégorie de la condition féminine : Draupadi symbolise la femme réifiée, l’instrument du désir masculin. Dipti Mehta dresse un parallèle entre le mythe antique et la réalité moderne : « Draupadi est traitée comme une propriété, réduite à un objet. Je crois que toute femme se reconnaît en elle, d’une manière ou d’une autre. »
Honour traite la prostitution comme un fait humain et social, en évitant tout moralisme hâtif. La mère et la fille expriment des réalités toutes personnelles, quoique diamétralement opposées. Chameli revendique la prostitution comme une activité respectable, une source de pouvoir et de prospérité, car elle gouverne les hommes par leurs désirs. Elle récuse toute velléité d’exploitation, assumant la posture paradoxale d’une « mère qui vend sa fille pour sauver sa vie ». Pragmatique, elle justifie ses actions par la tare indélébile que porte, selon elle, une fille de prostituée, vouée au mépris et au rejet publics, dépourvue du moindre avenir.
Mais les tractations entre Chameli, qui suppute la virginité de sa fille, et les clients, qui négocient âprement un rabais, trahissent le mercantilisme de la démarche. La défloration de Rani est ainsi décrite comme la « première vente » de son « honneur ». Le dilemme fondamental découle des contraintes sociales infligées aux femmes : « je peux sauver sa vie, mais pas son honneur », regrette la mère.
Cette proposition originale et prometteuse est minée par une intrigue pauvre et statique, dénuée de véritable tension dramatique. Le talent de l’actrice, la variété des interprétations et la maîtrise chorégraphique ne compensent pas la superficialité du propos. Le dénouement convenu laisse le spectateur sur sa faim. Malgré une louable intention« d’éveiller les consciences et de rompre la stigmatisation sociale qui entoure les travailleuses du sexe », Honour reproduit hélas les stéréotypes qu’elle prétend déconstruire.
Honour : Confessions of a Mumbai Courtesan
Texte et interprétation : Dipti Mehta. Mise en scène : Mark Cirnigliaro. Costumes : Scott Westervelt. Chorégraphie : Monica Kapoor. Musique : Rhythm Tolee. Son : Matt Bittner. Consultation : Liz Valdez. Production : David Perrault-Ninacs. Direction technique : David Surette. Régie : Sierra Alarie. Tournée : Rohit Chokhani. Une production du Théâtre Teesri Duniya présentée au Montréal, arts interculturels (MAI) jusqu’au 6 octobre 2019.