Critiques

Tout inclus : Une décision, pas un choix

© Lino Cipresso

En 2014, l’artiste multidisciplinaire François Grisé a été bouleversé par le déménagement de ses parents dans une résidence pour aîné·es. Il a alors entrepris une quête visant à comprendre son malaise face à la décision d’Alice et Gilles, et à s’interroger sur la façon dont il voudrait vivre sa propre vieillesse. Son enquête l’a mené au Jardin du patrimoine de Val-d’Or, un établissement privé pour personnes âgées autonomes, où il a fait deux séjours d’un mois… à l’âge de 43 ans. Ses recherches ont donné naissance à Tout inclus, une pièce de théâtre documentaire mise en scène par Alexandre Fecteau.

En 2061, on estime que le tiers des Québécois et des Québécoises auront plus de 65 ans. Face à l’espérance de vie qui s’allonge et au vieillissement de la population, François Grisé a trouvé essentiel d’amorcer une réflexion collective. Pour ce faire, il a choisi de collaborer avec Annabel Soutar, pionnière du théâtre documentaire au Québec et cofondatrice de la compagnie Porte Parole, qui nous a notamment offert J’aime Hydro, Seeds/Grains et Fredy.

© Lino Cipresso

Comme une évidence

Le texte de Tout inclus est surtout composé d’extraits d’entrevues que l’auteur et interprète a réalisées avec une trentaine de résident·es avec qui il cohabitait. Interrogés sur les raisons qui les ont poussés à emménager dans une maison pour aîné·es, ses « colocataires » ont évoqué la perte d’autonomie et l’absence d’autres options. Leur déménagement en est un différent des autres qui ont ponctué leur vie. À leurs yeux, il s’agit d’une décision, mais pas d’un choix.

Ces femmes et ces hommes, animés par un désir profond d’être écoutés, ne se sont pas arrêtés là : ils et elles ont volontiers parlé de leur jeunesse, de leurs amours, de la naissance de leurs enfants, de leur carrière, de la maladie, du deuil, en soulignant que la vie est longue, mais qu’elle passe assurément trop vite.

La dernière création de François Grisé n’a rien d’un essai revendicateur. Elle n’aborde pas les histoires de mauvais traitements et de pénurie de personnel qui font les manchettes. La pièce raconte plutôt le quotidien en résidence, marqué par la lenteur, l’ennui, l’isolement ; les journées, toutes semblables, rythmées par les menus répétitifs de la cafétéria et les occasionnelles activités de danse en ligne.

À mille lieues du misérabilisme, Tout inclus traite d’un sujet nécessaire, avec lucidité et sensibilité. Sur les planches, l’auteur nous livre ses impressions, « telle Jane Goodall devant les gorilles », avec tendresse et franchise. Dans les rôles des hommes et des femmes avec qui il a vécu, Marie-Ginette Guay (hilarante), Marie Cantin et André Lacoste offrent une performance touchante. Entre les scènes, le quatuor y va de propos plus personnels, fruit d’échanges lors des répétitions. Leurs confidences sont toutefois brèves et auraient gagné à être davantage développées.

François Grisé a choisi de structurer sa pièce en plusieurs chapitres, dont les titres évoquent les différentes étapes de l’exploitation minière, une thématique aussi présente alors que l’artiste visite un gisement, accompagné d’une des résidentes. On comprend le parallèle tracé entre les fouilles dans une carrière abitibienne et les recherches faites par l’auteur, mais ce clin d’œil n’apporte rien de plus au propos sur les conditions de vie des personnes âgées.

À la mise en scène, Alexandre Fecteau a décidé de laisser toute la place aux témoignages recueillis, souvent d’une truculence délicieuse. L’artiste est un habitué du théâtre documentaire, lui qui a notamment écrit et dirigé Hôtel-Dieu, qui portait sur la souffrance et la mort. Il sait comment mettre en valeur la beauté du réel.

Les comédiens et comédiennes évoluent sur une scène dépouillée, dépersonnalisée, qui fait écho à l’image qu’on peut se faire des milieux de vie pour aîné·es. Pour évoquer les différents lieux où se déroule l’action, de multiples panneaux coulissants gris, sur lesquels sont aussi projetés les portraits des résident·es, des photographies de couloirs beiges ou d’objets du quotidien. Une scénographie simple et efficace signée Odile Gamache, pour qui il s’agit d’une deuxième collaboration avec la compagnie Porte Parole, après J’aime Hydro.

Tout inclus est une pièce pertinente, qui nous confronte au caractère inéluctable de la vieillesse. Si la réflexion de François Grisé est éclairante, elle ne fait ici que débuter. En effet, l’œuvre continue d’évoluer et se déploiera en plusieurs volets. Le deuxième, qui intégrera une enquête socio-économique, sera présenté au printemps prochain, au Théâtre Périscope de Québec.

© Lino Cipresso

Tout inclus

Texte : François Grisé. Dramaturgie : Annabel Soutar. Mise en scène : Alexandre Fecteau. Assistance à la dramaturgie : Agathe Foucault.  Assistance à la mise en scène : Adèle Saint-Amand. Scénographie : Odile Gamache. Conception sonore : Alexandre MacSween. Vidéo : Gaspard Philippe – HUB Studio, assisté de Florence Blais-Thivierge. Éclairage : André Rioux. Conseillère aux costumes : Olivia Watson. Avec François Grisé, Marie Cantin, Marie-Ginette Guay et André Lacoste. Une production de Porte Parole et de Un et un font mille, en collaboration avec le collectif Nous sommes ici et en codiffusion avec La Manufacture présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 25 octobre 2019, puis en tournée.