Est-ce un spectacle ou une conférence, ce collage de dessins et de textes d’un jeune Réjean Ducharme de 25 ans ? Un salut à celui auquel Martin Faucher décerne si joliment un « Nobel de la désinvolture » ? Markita Boies, animatrice autant que comédienne, parle, elle, de happening. Un moment de grâce, certainement, suspendu entre légèreté et gravité. Un dialogue entre les formes et les mots, cocasse et poétique, paradoxal, à l’image de la vie cachée et de l’œuvre étincelante et protéiforme de l’auteur de L’Avalée des avalés.
Ce roman qui révéla Ducharme est d’ailleurs contemporain du Lactume. Comment ne pas être frappé par ce tour d’un destin malicieux, qui a voulu que son ultime publication soit une des premières œuvres qu’il ait conçues. Et qu’après avoir si longtemps disparu, elle réapparaisse juste après que lui, ait quitté la scène… Autour du Lactume a en effet été créé par Martin Faucher au Festival international de littérature en septembre 2017 (peu après la mort de Ducharme), puis repris avec succès lors du FTA 2018. Mais c’est dès 1966 que l’écrivain avait adressé à un éditeur ces 198 dessins, oubliés dans quelque tiroir, renvoyés à leur auteur en… 2001 pour n’être finalement rendus publics qu’en 2017 !
« Veuillez ne pas trouver insolent que je vous adresse ces dessins. Je ne sais pas plus dessiner qu’écrire », écrivait l’impertinent garçon dans sa lettre de présentation. Mais il ajoutait aussitôt cet aveu plein de sincérité : « J’ai mis toute ma liberté et mon amour dans ces dessins. » C’est ce mélange unique d’espièglerie et de sérieux, de jeu et de profondeur qu’a voulu traduire Martin Faucher, lui qui, dès 1988, avait monté un collage de l’œuvre de Ducharme, À quelle heure on meurt ?
Motifs ducharmiens et autres
Il s’agit cependant beaucoup plus que d’un simple montage. Nous revisitons évidemment des motifs bien connus : l’attachement à l’enfance, à la liberté, le rejet du monde des adultes, de la civilisation industrielle. Certes, les 160 dessins retenus, naïfs, aux formes géométriques et enveloppantes, au trait aigu, parfois agressif, en disent déjà beaucoup de la psychologie du jeune écrivain. Mais le maître d’œuvre les a prolongés d’extraits du Nez qui voque et d’Inès Pérée et Inat Tendu. Il les entoure aussi de citations de poètes : Nelligan, Rimbaud (« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans »), Lautréamont (« Je te salue, vieil océan »), dont Ducharme a partagé les révoltes et le romantisme. Jusqu’à un coup de chapeau malicieux au Cid du « jeune » Corneille, que l’insolent n’avait pas encore « maghané ».
Cette immersion, sous le signe de l’humour et de la poésie, s’inscrit aussi dans le contexte des années 1970 grâce à des chansons (Françoise Hardy, France Gall), à des airs de rock ou à des allusions, à Charles De Gaulle, à Françoise Sagan (« Aimez-vous Brahms ? Eh bien, embrassez-le ! »).
Quant aux légendes, dont de nombreux dessins sont assortis − ou plutôt désassortis, tant leur rapprochement est surréaliste −, on y retrouve avec le sourire les caractéristiques du style de Ducharme : le jeu sur les mots (« Combien pour ce bel amour ? Trente douleurs »); sur les sonorités (« troi−s-hérons égalent zéro »); les pieds de nez à la logique (« Se chauffer avec des lampes, s’éclairer avec des bûches »). Mais ils comportent aussi des aphorismes originaux (« Dieu est dans la catégorie de l’arbre »), qui finissent par ébaucher un destin (« Ma vie, je me la fais […]. Quand j’en aurai fini, ce sera ma vie»). Avec une conclusion annoncée : « Je ne suis pas heureux, évidemment ».
Seule en scène, assise devant un bureau, qui pourrait être celui de Ducharme, Markita Boies, passeuse de cet univers, en est aussi l’âme. Elle nous présente tour à tour les illustrations, avec à peine un demi-sourire en guise de commentaire, sans jamais appuyer. Jouant, chantant, dansant, enfantine et gracieuse, elle qui incarna La Fille de Christophe Colomb, est tour à tour Bérénice, Chateaugué, Mille Mille. Derrière elle, une porte par laquelle elle est entrée et par laquelle elle repartira, furtive et pourtant si présente. À l’image de Ducharme, finalement.
Dessins et légendes : Réjean Ducharme. Textes : Réjean Ducharme, Pierre Corneille, Comte de Lautréamont, Émile Nelligan, Arthur Rimbaud. Conception, collage et mise en scène : Martin Faucher. Interprétation : Markita Boies. Lumières : Samuel Patenaude. Vidéo : Sandrick Mathurin. Un spectacle original des Éditions du passage. Production déléguée du Jamais lu, en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier et présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 9 novembre 2019.
Est-ce un spectacle ou une conférence, ce collage de dessins et de textes d’un jeune Réjean Ducharme de 25 ans ? Un salut à celui auquel Martin Faucher décerne si joliment un « Nobel de la désinvolture » ? Markita Boies, animatrice autant que comédienne, parle, elle, de happening. Un moment de grâce, certainement, suspendu entre légèreté et gravité. Un dialogue entre les formes et les mots, cocasse et poétique, paradoxal, à l’image de la vie cachée et de l’œuvre étincelante et protéiforme de l’auteur de L’Avalée des avalés.
Ce roman qui révéla Ducharme est d’ailleurs contemporain du Lactume. Comment ne pas être frappé par ce tour d’un destin malicieux, qui a voulu que son ultime publication soit une des premières œuvres qu’il ait conçues. Et qu’après avoir si longtemps disparu, elle réapparaisse juste après que lui, ait quitté la scène… Autour du Lactume a en effet été créé par Martin Faucher au Festival international de littérature en septembre 2017 (peu après la mort de Ducharme), puis repris avec succès lors du FTA 2018. Mais c’est dès 1966 que l’écrivain avait adressé à un éditeur ces 198 dessins, oubliés dans quelque tiroir, renvoyés à leur auteur en… 2001 pour n’être finalement rendus publics qu’en 2017 !
« Veuillez ne pas trouver insolent que je vous adresse ces dessins. Je ne sais pas plus dessiner qu’écrire », écrivait l’impertinent garçon dans sa lettre de présentation. Mais il ajoutait aussitôt cet aveu plein de sincérité : « J’ai mis toute ma liberté et mon amour dans ces dessins. » C’est ce mélange unique d’espièglerie et de sérieux, de jeu et de profondeur qu’a voulu traduire Martin Faucher, lui qui, dès 1988, avait monté un collage de l’œuvre de Ducharme, À quelle heure on meurt ?
Motifs ducharmiens et autres
Il s’agit cependant beaucoup plus que d’un simple montage. Nous revisitons évidemment des motifs bien connus : l’attachement à l’enfance, à la liberté, le rejet du monde des adultes, de la civilisation industrielle. Certes, les 160 dessins retenus, naïfs, aux formes géométriques et enveloppantes, au trait aigu, parfois agressif, en disent déjà beaucoup de la psychologie du jeune écrivain. Mais le maître d’œuvre les a prolongés d’extraits du Nez qui voque et d’Inès Pérée et Inat Tendu. Il les entoure aussi de citations de poètes : Nelligan, Rimbaud (« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans »), Lautréamont (« Je te salue, vieil océan »), dont Ducharme a partagé les révoltes et le romantisme. Jusqu’à un coup de chapeau malicieux au Cid du « jeune » Corneille, que l’insolent n’avait pas encore « maghané ».
Cette immersion, sous le signe de l’humour et de la poésie, s’inscrit aussi dans le contexte des années 1970 grâce à des chansons (Françoise Hardy, France Gall), à des airs de rock ou à des allusions, à Charles De Gaulle, à Françoise Sagan (« Aimez-vous Brahms ? Eh bien, embrassez-le ! »).
Quant aux légendes, dont de nombreux dessins sont assortis − ou plutôt désassortis, tant leur rapprochement est surréaliste −, on y retrouve avec le sourire les caractéristiques du style de Ducharme : le jeu sur les mots (« Combien pour ce bel amour ? Trente douleurs »); sur les sonorités (« troi−s-hérons égalent zéro »); les pieds de nez à la logique (« Se chauffer avec des lampes, s’éclairer avec des bûches »). Mais ils comportent aussi des aphorismes originaux (« Dieu est dans la catégorie de l’arbre »), qui finissent par ébaucher un destin (« Ma vie, je me la fais […]. Quand j’en aurai fini, ce sera ma vie»). Avec une conclusion annoncée : « Je ne suis pas heureux, évidemment ».
Seule en scène, assise devant un bureau, qui pourrait être celui de Ducharme, Markita Boies, passeuse de cet univers, en est aussi l’âme. Elle nous présente tour à tour les illustrations, avec à peine un demi-sourire en guise de commentaire, sans jamais appuyer. Jouant, chantant, dansant, enfantine et gracieuse, elle qui incarna La Fille de Christophe Colomb, est tour à tour Bérénice, Chateaugué, Mille Mille. Derrière elle, une porte par laquelle elle est entrée et par laquelle elle repartira, furtive et pourtant si présente. À l’image de Ducharme, finalement.
Autour du Lactume
Dessins et légendes : Réjean Ducharme. Textes : Réjean Ducharme, Pierre Corneille, Comte de Lautréamont, Émile Nelligan, Arthur Rimbaud. Conception, collage et mise en scène : Martin Faucher. Interprétation : Markita Boies. Lumières : Samuel Patenaude. Vidéo : Sandrick Mathurin. Un spectacle original des Éditions du passage. Production déléguée du Jamais lu, en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier et présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 9 novembre 2019.