Un flamenco sur banquise, voilà ce que nous propose La Otra Orilla, compagnie montréalaise fondée en 2006 par la danseuse Myriam Allard et le chanteur Hedi Graja. Magnetikae saura satisfaire les aficionados comme les curieux de cette danse traditionnelle espagnole, ici revisitée à la sauce contemporaine par le duo.
L’idée a de quoi surprendre. Flamenco rime généralement avec chaleur, sensualité et couleur. Ici, les codes s’inversent : tout est blanc, synthétique et froid. À travers les hurlements du vent, dans la pénombre de ce qui ressemble à une aube (ou à un crépuscule) de l’humanité, la vie et le rythme, d’abord vacillants, percent peu à peu le silence et l’immobilité. Bientôt, un personnage tout de blanc vêtu émerge du pergélisol. Ses gestes, empesés par la rigidité du gel, se fluidifient et s’amplifient progressivement. Appuyée par deux musiciens (le multi-instrumentiste Guillaume Rivard et le percussionniste Miguel Medina), la danseuse Myriam Allard fend la banquise de ses coups de talons alors que le puissant baryton-basse Hedi Graja provoque l’effondrement des glaciers en arrière-plan.
Avec cette nouvelle proposition, La Otra Orilla continue d’investir cette forme traditionnelle andalouse d’éléments plus actuels, dans une démarche très contemporaine. En guise d’éventail, de robe à volants, de châle et de chaussures, Magnetikae nous offre plutôt un chapeau de fourrure, une grande bâche de plastique blanche, une peau de phoque et (occasionnellement) un patin à glace. La gestuelle flamenca est conservée et différents styles sont présentés à travers la pièce. On passe par divers états : la mélancolie, le désespoir, la fête, le combat, la dérision… le bouillonnement de la vie, en somme, posé comme barrière contre la force implacable du froid.
La musique occupe une place centrale, comme il se doit en flamenco. Particularité notable : la guitare, instrument pourtant fondamental de cette tradition, est entièrement évacuée au profit d’un synthétiseur et de percussions électroniques présents sur la scène. La musique en direct (échantillonnage, sonorités de thérémine et de scie musicale) se double d’une trame sonore sous-jacente, imitant le bruit du vent et de la neige. Les bâches de plastique qui constituent le décor y ajoutent un froissement rappelant le son de la glace qui craque. Cet environnement musical étonnant, aux tonalités froides, d’une grande beauté, rend l’ensemble de la production très homogène. Le pari était risqué, mais il est réussi.
L’omniprésence du plastique sur scène suggère un discours, un peu flou néanmoins, ou poétique, selon la lecture qu’on en fait, sur la fonte des glaces et l’influence de l’humain sur le climat. Cela dit, l’intérêt réside davantage dans la rencontre entre la chaleur du corps et la rigueur d’un environnement inhospitalier – cette « extrême froidure » que chante Graja –, deux pôles fortement opposés que le magnétisme de la performance unifie et transforme. Le parti pris de l’économie permet une exploration juste et sans grandiloquence de ce contraste. Qui plus est, Allard développe dans sa danse un phrasé à la fois simple et habité, tout en finesse et en impulsivité, en symbiose avec la musique, les éclairages et le décor.
Les moments les plus mémorables sont certainement ceux où la danseuse et les musiciens évoluent au ralenti, traversant la scène pour affronter les tempêtes et la glaciation. Les gestes s’allongent, l’émotion est palpable et les images créées sont saisissantes. Des passages comiques parsèment aussi le spectacle et surprennent par leur simplicité et leur efficacité.
Un très beau travail de conception et d’idéation qui mène à une œuvre aboutie, dont les différentes composantes – danse, musique, scénographie – se nourrissent l’une, l’autre et se complètent avec bonheur.
Création originale : Myriam Allard et Hedi Graja. Mise en scène et scénographie : Hedi Graja. Chorégraphie : Myriam Allard. Direction des répétitions : David Rancourt. Musique : Gaël Lane-Lépine, Miguel Medina, Arthur Champagne, Antonio Vivaldi, Domenico Scarlatti, Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II. Éclairages : Julie Basse. Costumes : Stéphanie Rodrigue et Estelle Foisy. Interprétation : Myriam Allard, Hedi Graja, Miguel Medina et Guillaume Rivard. Une coproduction de La Otra Orilla et de Danse Danse présentée à la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 23 novembre 2019.
Un flamenco sur banquise, voilà ce que nous propose La Otra Orilla, compagnie montréalaise fondée en 2006 par la danseuse Myriam Allard et le chanteur Hedi Graja. Magnetikae saura satisfaire les aficionados comme les curieux de cette danse traditionnelle espagnole, ici revisitée à la sauce contemporaine par le duo.
L’idée a de quoi surprendre. Flamenco rime généralement avec chaleur, sensualité et couleur. Ici, les codes s’inversent : tout est blanc, synthétique et froid. À travers les hurlements du vent, dans la pénombre de ce qui ressemble à une aube (ou à un crépuscule) de l’humanité, la vie et le rythme, d’abord vacillants, percent peu à peu le silence et l’immobilité. Bientôt, un personnage tout de blanc vêtu émerge du pergélisol. Ses gestes, empesés par la rigidité du gel, se fluidifient et s’amplifient progressivement. Appuyée par deux musiciens (le multi-instrumentiste Guillaume Rivard et le percussionniste Miguel Medina), la danseuse Myriam Allard fend la banquise de ses coups de talons alors que le puissant baryton-basse Hedi Graja provoque l’effondrement des glaciers en arrière-plan.
Avec cette nouvelle proposition, La Otra Orilla continue d’investir cette forme traditionnelle andalouse d’éléments plus actuels, dans une démarche très contemporaine. En guise d’éventail, de robe à volants, de châle et de chaussures, Magnetikae nous offre plutôt un chapeau de fourrure, une grande bâche de plastique blanche, une peau de phoque et (occasionnellement) un patin à glace. La gestuelle flamenca est conservée et différents styles sont présentés à travers la pièce. On passe par divers états : la mélancolie, le désespoir, la fête, le combat, la dérision… le bouillonnement de la vie, en somme, posé comme barrière contre la force implacable du froid.
La musique occupe une place centrale, comme il se doit en flamenco. Particularité notable : la guitare, instrument pourtant fondamental de cette tradition, est entièrement évacuée au profit d’un synthétiseur et de percussions électroniques présents sur la scène. La musique en direct (échantillonnage, sonorités de thérémine et de scie musicale) se double d’une trame sonore sous-jacente, imitant le bruit du vent et de la neige. Les bâches de plastique qui constituent le décor y ajoutent un froissement rappelant le son de la glace qui craque. Cet environnement musical étonnant, aux tonalités froides, d’une grande beauté, rend l’ensemble de la production très homogène. Le pari était risqué, mais il est réussi.
L’omniprésence du plastique sur scène suggère un discours, un peu flou néanmoins, ou poétique, selon la lecture qu’on en fait, sur la fonte des glaces et l’influence de l’humain sur le climat. Cela dit, l’intérêt réside davantage dans la rencontre entre la chaleur du corps et la rigueur d’un environnement inhospitalier – cette « extrême froidure » que chante Graja –, deux pôles fortement opposés que le magnétisme de la performance unifie et transforme. Le parti pris de l’économie permet une exploration juste et sans grandiloquence de ce contraste. Qui plus est, Allard développe dans sa danse un phrasé à la fois simple et habité, tout en finesse et en impulsivité, en symbiose avec la musique, les éclairages et le décor.
Les moments les plus mémorables sont certainement ceux où la danseuse et les musiciens évoluent au ralenti, traversant la scène pour affronter les tempêtes et la glaciation. Les gestes s’allongent, l’émotion est palpable et les images créées sont saisissantes. Des passages comiques parsèment aussi le spectacle et surprennent par leur simplicité et leur efficacité.
Un très beau travail de conception et d’idéation qui mène à une œuvre aboutie, dont les différentes composantes – danse, musique, scénographie – se nourrissent l’une, l’autre et se complètent avec bonheur.
Magnetikae
Création originale : Myriam Allard et Hedi Graja. Mise en scène et scénographie : Hedi Graja. Chorégraphie : Myriam Allard. Direction des répétitions : David Rancourt. Musique : Gaël Lane-Lépine, Miguel Medina, Arthur Champagne, Antonio Vivaldi, Domenico Scarlatti, Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II. Éclairages : Julie Basse. Costumes : Stéphanie Rodrigue et Estelle Foisy. Interprétation : Myriam Allard, Hedi Graja, Miguel Medina et Guillaume Rivard. Une coproduction de La Otra Orilla et de Danse Danse présentée à la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 23 novembre 2019.