Critiques

Les mains d’Edwige au moment de la naissance : la puissance des convictions

Dans un village perdu, la famille d’Edwige a décidé d’inviter les habitants au service funèbre d’Esther, la sœur aînée disparue depuis dix ans, jour pour jour. Mais le cercueil est vide. La benjamine Edwige refuse ce simulacre, puisque le corps de la prétendue défunte n’a jamais été trouvé. Des rumeurs racontent d’ailleurs qu’on a vu Esther à l’orée des bois. De fait cette mascarade est destinée à exposer au public le don d’Edwige : lorsqu’elle prie, de l’eau pure coule de ses mains.

Edwige s’est réfugiée dans la cave de la maison où tour à tour le père, le frère, la mère et l’amoureux l’exhortent à monter à l’étage pour prier. Lorsqu’elle apprend qu’ils ont exigé un fort prix d’entrée pour assister à ce spectacle, elle refuse obstinément de se présenter. La foule massée au rez-de-chaussée exige de voir la miraculée et plus le temps passe, plus la menace gronde. L’arrivée d’Esther dans cette situation explosive fait basculer le monde.

Totalement dépouillée et ouverte sur les coulisses, exposant câbles, poulies, spots (toute cette machinerie de la magie du théâtre), la scène offre un point de fuite central délimité par des structures mobiles descendant du plafond. Dispositif blanc et lisse qui concentre toute la tension sur les interprètes. Le furibond texte de Wajdi Mouawad, multipliant les images et les envolées poétiques, est l’unique matière de ce huis-clos sur la puissance des convictions. Les scènes découpées par l’éclairage chirurgical de Martin Sirois se déroulent dans un brouillard épais transpercé de jets de lumière.

De l’amour comme une calamité

La pureté des convictions d’Edwige rappelle le personnage d’Antigone qui a mené un combat semblable. Dans cette pièce du jeune Mouawad, la morale doit être inébranlable. La pureté des intentions viendra à bout des conventions sociales et de l’hypocrisie. Lorsque Esther entre en scène, personnifiant la quête de l’amour comme unique moteur de la vie, elle vient renforcer la détermination d’Edwige. Peu importe le prix à payer, seul l’amour compte. Même si celui-ci détruit tout sur son passage.

L’obsession amoureuse est ici exacerbée dans un miroir narcissique. Ce n’est pas par hasard que l’auteur place ses personnages dans un clair-obscur étouffant. Se cachant volontairement dans un brouillard opaque, Edwige provoque une tabula rasa qui soufflera famille, maison, village. La seule lumière sera la naissance d’une petite fille, orpheline dès sa naissance. Et en qui tous les espoirs sont fondés. Les mains d’Ewidge au moment de la naissance est une fable sur l’intransigeance… bénéfique. Le spectateur reste désarçonné devant tant de candeur. Car, comme le mentionne la mère, « l’amour est partout », inutile de brûler un village pour le trouver. L’amour idéalisé devient une calamité.

La mise en scène de Jocelyn Pelletier, focalisée sur les comédiens, est hélas hypothéquée par un vacillant Samuel Corbeil (Vaclav) qui peine à trouver la posture de son personnage. De même le jeu saturé et excessif de Lucien Ratio (Alex) ébranle le solide travail des deux sœurs. Comme si Pelletier n’était pas parvenu à trouver un équilibre entre les comédien·nes, alors que Marianne Marceau-Gauvin porte de manière intense et intégrée une Edwige fragile et pourtant déterminée. Et qu’Annabelle Pelletier-Legros campe une Esther tout en force, elle aussi emportée au-delà de toute raison par la puissance de l’amour. Tandis que Normand Bissonnette (le père) et Lorraine Côté (la mère) livrent une prestation très crédible. En ajoutant la séduisante trame sonore de Mykalle Bielinski, qui ponctue la pièce avec beaucoup de finesse et de retenue, tous les éléments sont en place pour une très forte production.

Les mains d’Edwige au moment de la naissance

Texte : Wajdi Mouawad. Mise en scène : Jocelyn Pelletier. Assistance à la mise en scène : Laurence Moisan-Bédard. Décor : Jean-François Labbé. Costumes : Virginie Leclerc. Musique originale : Mykalle Bielinski. Lumières : Martin Sirois. Distribution : Normand Bissonnette, Samuel Corbeil, Lorraine Côté, Marianne Marceau-Gauvin, Annabelle Pelletier-Legros, Lucien Ratio. Production de la Bordée. Jusqu’au 8 février.