Créée au Royal Court Theatre de Londres en 2018, la nouvelle pièce de l’auteur anglais Dennis Kelly, Les filles et les garçons (Girls & Boys), actuellement à l’affiche à La Licorne, est férocement d’actualité. Elle évoque des faits divers qui ont récemment secoué le Québec et qui renvoient à un enjeu sociétal de taille : la violence masculine, et plus particulièrement celle exercée à l’endroit des femmes. Un sujet que Kelly a déjà exploré dans d’autres textes, notamment Après la fin, présenté à La Licorne en 2008.
Seule en scène à la manière des humoristes, c’est-à-dire avec un tabouret, une bouteille d’eau et un dynamisme exacerbé, une femme raconte son histoire d’amour avec un homme rencontré dans un aéroport d’Italie. Tout avait bien commencé, ils s’aimaient, le sexe était incroyable, le couple suivait un chemin somme toute ordinaire : une maison, des enfants, des jobs, du soutien mutuel, jusqu’à ce que ce conjoint moderne, qui encourageait sa femme à foncer pour réaliser ses rêves, se mette à lui envier sa réussite et finisse par commettre l’impensable.
On pourra reprocher à la pièce une mise en contexte un peu longue durant laquelle on se demande si on va finalement en venir au but, mais ce défaut est pardonné lorsque les morceaux se mettent en place pour former un tout vertigineux. De la même manière, le décor d’Olivier Landreville nous est révélé progressivement jusqu’à une scène finale déchirante qui évoque le poids intolérable du silence et du vide.
Comme à son habitude, Kelly traite de sujets graves au moyen d’une plume familière et rythmée, que la traduction de Fanny Britt restitue fidèlement. Il faut dire que celle-ci n’en est pas à son premier essai, puisqu’elle a traduit cinq de ses pièces (Après la fin, Orphelins, Amour/Argent, ADN, Les filles et les garçons).
Le récit, ponctué d’humour, est entrecoupé de scènes de souvenirs dans lesquelles la narratrice interagit avec ses enfants et se montre comme une mère seule et à bout de patience ; on comprendra par la suite leur raison d’être, mais il demeure que ces scènes sont traitées de manière peu inventive par le metteur en scène Denis Bernard, si bien qu’elles semblent répétitives et perpétuent malgré elles le cliché de la femme de carrière peinant à jouer adéquatement son rôle de mère.
Comme dans Orphelins, Kelly ancre le drame dans l’intime aussi bien que sans le social. Les rapports familiaux qui se tendent, de même que les interactions des enfants, se font l’écho d’un monde où la violence masculine est protéiforme. Sans tomber dans la généralisation, Kelly nous met devant une simple statistique : plus de 90% des meurtres sont commis par des hommes.
Alors que toutes les personnes proches de la narratrice sont nommées, l’auteur des violences, lui, ne l’est pas. Kelly s’inscrit ainsi dans la mouvance qui prône l’anonymisation des auteurs d’atrocités (attentats notamment). Le texte tout entier vise d’ailleurs à mettre la parole de cette femme au centre, non pas dans son statut de victime, mais de femme lucide et forte, qui se sert du drame qu’elle a vécu à la fois pour aider les autres personnes dans sa situation et pour soulever des questions sociales fondamentales.
Kelly explore ici la piste de la résilience. Il s’éloigne du style « in-yer-face » présent dans plusieurs de ses œuvres et dont le but est de provoquer l’inconfort du spectateur par la brutalité des propos. Ainsi la narratrice prévient-elle les spectateurs que ce qu’elle va leur raconter est abominable, et leur demande de garder en tête que ce n’est pas à eux que c’est arrivé, créant volontairement une distance émotionnelle.
Ce texte ne serait pas aussi saisissant, n’eût été la performance remarquable de Marilyn Castonguay, qui signe ainsi son premier solo. Fort bien dirigée par Denis Bernard, elle démontre l’étendue de sa palette, aussi convaincante en conteuse énergique qu’en mère irritée et en femme qui a vu l’abîme, mais qui continue d’avancer coûte que coûte.
Texte : Dennis Kelly. Traduction : Fanny Britt. Mise en scène : Denis Bernard. Avec Marilyn Castonguay. Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort. Décor : Olivier Landreville. Costumes : Mérédith Caron. Éclairages : Julie Basse. Musique : Fanny Bloom. Une production du Théâtre de La Manufacture présentée à La Licorne jusqu’au 22 février 2020.
Créée au Royal Court Theatre de Londres en 2018, la nouvelle pièce de l’auteur anglais Dennis Kelly, Les filles et les garçons (Girls & Boys), actuellement à l’affiche à La Licorne, est férocement d’actualité. Elle évoque des faits divers qui ont récemment secoué le Québec et qui renvoient à un enjeu sociétal de taille : la violence masculine, et plus particulièrement celle exercée à l’endroit des femmes. Un sujet que Kelly a déjà exploré dans d’autres textes, notamment Après la fin, présenté à La Licorne en 2008.
Seule en scène à la manière des humoristes, c’est-à-dire avec un tabouret, une bouteille d’eau et un dynamisme exacerbé, une femme raconte son histoire d’amour avec un homme rencontré dans un aéroport d’Italie. Tout avait bien commencé, ils s’aimaient, le sexe était incroyable, le couple suivait un chemin somme toute ordinaire : une maison, des enfants, des jobs, du soutien mutuel, jusqu’à ce que ce conjoint moderne, qui encourageait sa femme à foncer pour réaliser ses rêves, se mette à lui envier sa réussite et finisse par commettre l’impensable.
On pourra reprocher à la pièce une mise en contexte un peu longue durant laquelle on se demande si on va finalement en venir au but, mais ce défaut est pardonné lorsque les morceaux se mettent en place pour former un tout vertigineux. De la même manière, le décor d’Olivier Landreville nous est révélé progressivement jusqu’à une scène finale déchirante qui évoque le poids intolérable du silence et du vide.
Comme à son habitude, Kelly traite de sujets graves au moyen d’une plume familière et rythmée, que la traduction de Fanny Britt restitue fidèlement. Il faut dire que celle-ci n’en est pas à son premier essai, puisqu’elle a traduit cinq de ses pièces (Après la fin, Orphelins, Amour/Argent, ADN, Les filles et les garçons).
Le récit, ponctué d’humour, est entrecoupé de scènes de souvenirs dans lesquelles la narratrice interagit avec ses enfants et se montre comme une mère seule et à bout de patience ; on comprendra par la suite leur raison d’être, mais il demeure que ces scènes sont traitées de manière peu inventive par le metteur en scène Denis Bernard, si bien qu’elles semblent répétitives et perpétuent malgré elles le cliché de la femme de carrière peinant à jouer adéquatement son rôle de mère.
Comme dans Orphelins, Kelly ancre le drame dans l’intime aussi bien que sans le social. Les rapports familiaux qui se tendent, de même que les interactions des enfants, se font l’écho d’un monde où la violence masculine est protéiforme. Sans tomber dans la généralisation, Kelly nous met devant une simple statistique : plus de 90% des meurtres sont commis par des hommes.
Alors que toutes les personnes proches de la narratrice sont nommées, l’auteur des violences, lui, ne l’est pas. Kelly s’inscrit ainsi dans la mouvance qui prône l’anonymisation des auteurs d’atrocités (attentats notamment). Le texte tout entier vise d’ailleurs à mettre la parole de cette femme au centre, non pas dans son statut de victime, mais de femme lucide et forte, qui se sert du drame qu’elle a vécu à la fois pour aider les autres personnes dans sa situation et pour soulever des questions sociales fondamentales.
Kelly explore ici la piste de la résilience. Il s’éloigne du style « in-yer-face » présent dans plusieurs de ses œuvres et dont le but est de provoquer l’inconfort du spectateur par la brutalité des propos. Ainsi la narratrice prévient-elle les spectateurs que ce qu’elle va leur raconter est abominable, et leur demande de garder en tête que ce n’est pas à eux que c’est arrivé, créant volontairement une distance émotionnelle.
Ce texte ne serait pas aussi saisissant, n’eût été la performance remarquable de Marilyn Castonguay, qui signe ainsi son premier solo. Fort bien dirigée par Denis Bernard, elle démontre l’étendue de sa palette, aussi convaincante en conteuse énergique qu’en mère irritée et en femme qui a vu l’abîme, mais qui continue d’avancer coûte que coûte.
Les filles et les garçons
Texte : Dennis Kelly. Traduction : Fanny Britt. Mise en scène : Denis Bernard. Avec Marilyn Castonguay. Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort. Décor : Olivier Landreville. Costumes : Mérédith Caron. Éclairages : Julie Basse. Musique : Fanny Bloom. Une production du Théâtre de La Manufacture présentée à La Licorne jusqu’au 22 février 2020.