Depuis sa mort en novembre 1941, alors qu’il était enfermé dans un asile psychiatrique depuis plus de quarante ans, Émile Nelligan est devenu une icône de la poésie symboliste québécoise. Son histoire éminemment romantique a inspiré bon nombre d’auteurs dans différents genres, mais les deux qui ont certainement su le mieux comprendre et magnifier son œuvre et sa vie sont Michel Tremblay et André Gagnon. Au tournant des années 1990, ils ont mis en commun leurs talents pour faire naître cet opéra sobrement intitulé Nelligan.
Dès le lever du rideau, on se retrouve à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Montréal. Émile Nelligan, alors âgé de 61 ans, est au crépuscule de sa vie. Quasiment absent, il déambule hagard et confus, bien qu’affable avec ses visiteurs, oubliant même les vers les plus populaires de son célèbre Vaisseau d’or. Cette mémoire absente va tout de même provoquer en lui la réminiscence de sa vie de bohème, de sa jeunesse et de son exaltation face à une vie créative qui s’ouvrait à lui. Il va alors revisiter toutes les étapes qui lui ont valu d’être finalement interné, sur la volonté de son père, malgré le désarroi de sa mère et l’incompréhension de ses amis.
L’auteur du livret a toutefois pris certaines libertés sur la biographie du poète, tout en prenant position. La pièce met notamment en cause le milieu social de Nelligan, né d’un père irlandais anglophone plutôt rigide et d’une mère québécoise francophone éperdument amoureuse de son seul fils, comme responsable de sa déchéance. La véracité de la maladie mentale de Nelligan, qui était vraisemblablement schizophrène, est assez peu évoquée, contrairement à l’idée d’un anathème prémonitoire voulant qu’il meure fou. Sa sexualité ambiguë, notamment envers la figure maternelle, est seulement effleurée.
Le livret insiste davantage sur les années foisonnantes de Nelligan, ce qui se matérialise dans des chansons magnifiques qui évoquent autant la douleur de la perte, l’incompréhension parentale, les aspirations littéraires ou les prostrations de la folie.
L’excellente distribution, choisie par Normand Chouinard, rend d’ailleurs toute l’éloquence et la magnificence des textes, subtilement accompagnés par l’élégante et émouvante musique d’André Gagnon, adaptée pour deux pianos et un violoncelle.
Dans le rôle d’Émilie Hudon, la mère éplorée du poète, Kathleen Fortin est phénoménale. Son déchirement intérieur entre son mari autoritaire et son fils artiste, sa douleur viscérale de voir la chair de sa chair en proie aux abysses de la maladie mentale transparaissent tour à tour dans son interprétation, avant le coup de grâce tragique avec la chanson « La dame en noir », qui arrache des larmes à l’ensemble du public. Une prouesse émouvante !
Le duo entre les deux Nelligan, Dominique Côté qui joue avec de belles variations le fringant poète à l’aube de sa destinée, et Marc Hervieux, qui le campe avec justesse et sensibilité dans un état plus troublé, fonctionne à merveille. Lorsque leurs voix se mélangent, ils donnent toute la dimension émotive, fragile et forte à la fois, de ce personnage plus grand que nature.
Le choix d’une scénographie simple, mais efficace, est judicieux. Dépouillée, la scène ne compte que quatre colonnes, sans aucun autre décor. Des lits en fer de l’hôpital psychiatrique vont se transformer au fur et à mesure en quai de bord de mer ou en chœur d’église. Quelques pièces de mobilier servent à évoquer le salon de la maison familiale, la petite chambre du jeune poète, le fouillis de l’appartement de son ami Arthur de Bussières ou la froideur de l’asile. On reste dans le souvenir flou d’un homme vieillissant et cette absence de réalisme est tout à fait convaincante. Toute la place est laissée aux acteurs et à leurs voix.
Trente ans après sa création, l’œuvre Nelligan n’a rien perdu de sa puissance émotive, tout comme les vers du poète, qui restent toujours aussi actuels et bouleversants.
Livret : Michel Tremblay. Musique : André Gagnon. Mise en scène : Normand Chouinard. Arrangements musicaux : Anthony Rosankovic. Direction musicale et coach vocal : Esther Gonthier. Décor : Jean Bard. Costumes : Suzanne Harel. Éclairage : Claude Accolas. Accessoires : Normand Blais. Maquillage : Jacques-Lee Pelletier. Perruques : Rachel Tremblay. Distribution : Carla Antoun (violoncelle), Rosalie Asselin, Nadine Brière, Dominique Côté, Nathalie Doummar, Kathleen Fortin, Esther Gonthier (piano), Marc Hervieux, Noëlla Huet, Laetitia Isambert, Jérémie L’Espérance, Jean Maheux, Frayne McCarthy, Cécile Muhire, Jean-François Poulin, Isabeau Proulx Lemire, Marie-Ève Scarfone (piano), Linda Sorgini et Léa Weilbrenner Lebeau. Une production du Théâtre du Nouveau Monde, présentée au TNM jusqu’au 16 février 2020.
Depuis sa mort en novembre 1941, alors qu’il était enfermé dans un asile psychiatrique depuis plus de quarante ans, Émile Nelligan est devenu une icône de la poésie symboliste québécoise. Son histoire éminemment romantique a inspiré bon nombre d’auteurs dans différents genres, mais les deux qui ont certainement su le mieux comprendre et magnifier son œuvre et sa vie sont Michel Tremblay et André Gagnon. Au tournant des années 1990, ils ont mis en commun leurs talents pour faire naître cet opéra sobrement intitulé Nelligan.
Dès le lever du rideau, on se retrouve à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Montréal. Émile Nelligan, alors âgé de 61 ans, est au crépuscule de sa vie. Quasiment absent, il déambule hagard et confus, bien qu’affable avec ses visiteurs, oubliant même les vers les plus populaires de son célèbre Vaisseau d’or. Cette mémoire absente va tout de même provoquer en lui la réminiscence de sa vie de bohème, de sa jeunesse et de son exaltation face à une vie créative qui s’ouvrait à lui. Il va alors revisiter toutes les étapes qui lui ont valu d’être finalement interné, sur la volonté de son père, malgré le désarroi de sa mère et l’incompréhension de ses amis.
L’auteur du livret a toutefois pris certaines libertés sur la biographie du poète, tout en prenant position. La pièce met notamment en cause le milieu social de Nelligan, né d’un père irlandais anglophone plutôt rigide et d’une mère québécoise francophone éperdument amoureuse de son seul fils, comme responsable de sa déchéance. La véracité de la maladie mentale de Nelligan, qui était vraisemblablement schizophrène, est assez peu évoquée, contrairement à l’idée d’un anathème prémonitoire voulant qu’il meure fou. Sa sexualité ambiguë, notamment envers la figure maternelle, est seulement effleurée.
Le livret insiste davantage sur les années foisonnantes de Nelligan, ce qui se matérialise dans des chansons magnifiques qui évoquent autant la douleur de la perte, l’incompréhension parentale, les aspirations littéraires ou les prostrations de la folie.
L’excellente distribution, choisie par Normand Chouinard, rend d’ailleurs toute l’éloquence et la magnificence des textes, subtilement accompagnés par l’élégante et émouvante musique d’André Gagnon, adaptée pour deux pianos et un violoncelle.
Dans le rôle d’Émilie Hudon, la mère éplorée du poète, Kathleen Fortin est phénoménale. Son déchirement intérieur entre son mari autoritaire et son fils artiste, sa douleur viscérale de voir la chair de sa chair en proie aux abysses de la maladie mentale transparaissent tour à tour dans son interprétation, avant le coup de grâce tragique avec la chanson « La dame en noir », qui arrache des larmes à l’ensemble du public. Une prouesse émouvante !
Le duo entre les deux Nelligan, Dominique Côté qui joue avec de belles variations le fringant poète à l’aube de sa destinée, et Marc Hervieux, qui le campe avec justesse et sensibilité dans un état plus troublé, fonctionne à merveille. Lorsque leurs voix se mélangent, ils donnent toute la dimension émotive, fragile et forte à la fois, de ce personnage plus grand que nature.
Le choix d’une scénographie simple, mais efficace, est judicieux. Dépouillée, la scène ne compte que quatre colonnes, sans aucun autre décor. Des lits en fer de l’hôpital psychiatrique vont se transformer au fur et à mesure en quai de bord de mer ou en chœur d’église. Quelques pièces de mobilier servent à évoquer le salon de la maison familiale, la petite chambre du jeune poète, le fouillis de l’appartement de son ami Arthur de Bussières ou la froideur de l’asile. On reste dans le souvenir flou d’un homme vieillissant et cette absence de réalisme est tout à fait convaincante. Toute la place est laissée aux acteurs et à leurs voix.
Trente ans après sa création, l’œuvre Nelligan n’a rien perdu de sa puissance émotive, tout comme les vers du poète, qui restent toujours aussi actuels et bouleversants.
Nelligan, opéra romantique
Livret : Michel Tremblay. Musique : André Gagnon. Mise en scène : Normand Chouinard. Arrangements musicaux : Anthony Rosankovic. Direction musicale et coach vocal : Esther Gonthier. Décor : Jean Bard. Costumes : Suzanne Harel. Éclairage : Claude Accolas. Accessoires : Normand Blais. Maquillage : Jacques-Lee Pelletier. Perruques : Rachel Tremblay. Distribution : Carla Antoun (violoncelle), Rosalie Asselin, Nadine Brière, Dominique Côté, Nathalie Doummar, Kathleen Fortin, Esther Gonthier (piano), Marc Hervieux, Noëlla Huet, Laetitia Isambert, Jérémie L’Espérance, Jean Maheux, Frayne McCarthy, Cécile Muhire, Jean-François Poulin, Isabeau Proulx Lemire, Marie-Ève Scarfone (piano), Linda Sorgini et Léa Weilbrenner Lebeau. Une production du Théâtre du Nouveau Monde, présentée au TNM jusqu’au 16 février 2020.