La Beat Generation est un mouvement d’hommes. On pense à Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs, peut-être à leurs amis, amants et sources d’inspiration diversement licites. Et les femmes dans tout ça ? Plusieurs ont pourtant fait partie de ce mouvement qui a révolutionné les lettres américaines dans les années 60. Qui connaît Elise Cowen, poétesse rebelle suicidée à l’âge de 28 ans et seule amante connue d’Allen Ginsberg ? Diane di Prima, arrêtée par le FBI pour obscénité en raison de ses publications ? Ou encore Lenore Kandel, qui poétise en 1966 : « Ta queue s’élève et palpite dans mes mains / une révélation / comme en vécut Aphrodite » ?
Les éclipsées du titre, ce sont elles, ces artistes de l’ombre de la Beat Generation ignorées ou reléguées au second plan, que la metteuse en scène Marie Brassard a souhaité réhabiliter. Aucune flamboyance à ces « pleins feux sur la parole de femmes radicales et indociles », comme l’annonce le programme. Scénographie en noir et blanc, jeu monochrome et ambiance crépusculaire plombent des écrits pris entre enfer suicidaire et paradis artificiels.
Il y a toutefois beaucoup d’intelligence dans la manière d’aborder ces textes avant-gardistes, souvent lucides et épris de liberté ; l’intention, d’abord, de faire appel à quatre comédiennes très complémentaires dans un jeu maîtrisé de polyphonies : Larissa Corriveau, Laurence Dauphinais, Ève Duranceau et Johanne Haberlin. La volonté aussi de remettre au centre de la scène la proximité entre poésie et arts visuels avec des vidéos conçues par Karl Lemieux. Il suffit de revoir une vieille machine à écrire, de retrouver le geste scandé par la frappe et les retours de chariot, d’écouter quelques notes de guitare étirées sur fond d’horizons arides pour penser aux pérégrinations déjantées « sur la route » des États-Unis. Mais il n’est pas sûr que l’actualisation, en première partie, soit une bonne trouvaille.
Louables intentions, résultat mitigé
La représentation s’ouvre en effet sur les confidences des comédiennes qui, chacune à tour de rôle, dévoilent motivations artistiques, doutes, anecdotes familiales ou encore projets de voyages et superhéros préférés. De toute évidence, Marie Brassard a voulu prêcher par l’exemple en donnant la parole à ses comédiennes dans une création qui porte justement sur l’expression des femmes. Il en résulte un spectacle bavard en première partie et démonstratif en seconde.
Cette coproduction du Théâtre de Quat’Sous et d’Infrarouge reste à hauteur de cénotaphe : les poèmes scandés avec révérence sont trop souvent désincarnés et vides d’expression ; on essaie de leur donner du relief sur un tapis musical ténébreux et des projections d’images vacillantes. Les références voyagent plaisamment entre l’Inde et le Mexique. L’alchimie prend sur certains poèmes, comme sur l’inénarrable God/Love poem de Lenore Kandel à la crudité sexuelle pleinement assumée. C’est alors que la musique, boucle lente et hypnotique, enveloppe le texte plus qu’elle ne l’accompagne. Trop rare moment de grâce.
Les allers-retours entre la poésie et la vie, le réel et la fiction ne prennent pas vraiment corps au cours de l’heure et demie de spectacle, parce qu’il y a justement trop de quotidien, sur le plateau, et une mise en scène qui n’évite pas que les poèmes s’éclipsent trop souvent dans la caricature.
Création : Marie Brassard. Avec Larissa Corriveau, Laurence Dauphinais, Ève Duranceau et Johanne Haberlin. Assistance à la mise en scène et régie : Emanuelle Kirouac-Sanche. Décor et costumes : Antonin Sorel. Lumières : Sonoyo Nishikawa. Musique originale : Alexander MacSween. Maquillages et coiffures : Angelo Barsetti. Conception vidéo : Karl Lemieux. Intégration vidéo : Guillaume Arseneault. Assistant au décor : Alex Hercule Desjardins. Régie son : Andréa Marsolais-Roy et Gabriel Filiatrault. Assistance à la direction technique : Pierre-Olivier Hamel. Jusqu’au 15 février au Théâtre de Quat’Sous
La Beat Generation est un mouvement d’hommes. On pense à Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs, peut-être à leurs amis, amants et sources d’inspiration diversement licites. Et les femmes dans tout ça ? Plusieurs ont pourtant fait partie de ce mouvement qui a révolutionné les lettres américaines dans les années 60. Qui connaît Elise Cowen, poétesse rebelle suicidée à l’âge de 28 ans et seule amante connue d’Allen Ginsberg ? Diane di Prima, arrêtée par le FBI pour obscénité en raison de ses publications ? Ou encore Lenore Kandel, qui poétise en 1966 : « Ta queue s’élève et palpite dans mes mains / une révélation / comme en vécut Aphrodite » ?
Les éclipsées du titre, ce sont elles, ces artistes de l’ombre de la Beat Generation ignorées ou reléguées au second plan, que la metteuse en scène Marie Brassard a souhaité réhabiliter. Aucune flamboyance à ces « pleins feux sur la parole de femmes radicales et indociles », comme l’annonce le programme. Scénographie en noir et blanc, jeu monochrome et ambiance crépusculaire plombent des écrits pris entre enfer suicidaire et paradis artificiels.
Il y a toutefois beaucoup d’intelligence dans la manière d’aborder ces textes avant-gardistes, souvent lucides et épris de liberté ; l’intention, d’abord, de faire appel à quatre comédiennes très complémentaires dans un jeu maîtrisé de polyphonies : Larissa Corriveau, Laurence Dauphinais, Ève Duranceau et Johanne Haberlin. La volonté aussi de remettre au centre de la scène la proximité entre poésie et arts visuels avec des vidéos conçues par Karl Lemieux. Il suffit de revoir une vieille machine à écrire, de retrouver le geste scandé par la frappe et les retours de chariot, d’écouter quelques notes de guitare étirées sur fond d’horizons arides pour penser aux pérégrinations déjantées « sur la route » des États-Unis. Mais il n’est pas sûr que l’actualisation, en première partie, soit une bonne trouvaille.
Louables intentions, résultat mitigé
La représentation s’ouvre en effet sur les confidences des comédiennes qui, chacune à tour de rôle, dévoilent motivations artistiques, doutes, anecdotes familiales ou encore projets de voyages et superhéros préférés. De toute évidence, Marie Brassard a voulu prêcher par l’exemple en donnant la parole à ses comédiennes dans une création qui porte justement sur l’expression des femmes. Il en résulte un spectacle bavard en première partie et démonstratif en seconde.
Cette coproduction du Théâtre de Quat’Sous et d’Infrarouge reste à hauteur de cénotaphe : les poèmes scandés avec révérence sont trop souvent désincarnés et vides d’expression ; on essaie de leur donner du relief sur un tapis musical ténébreux et des projections d’images vacillantes. Les références voyagent plaisamment entre l’Inde et le Mexique. L’alchimie prend sur certains poèmes, comme sur l’inénarrable God/Love poem de Lenore Kandel à la crudité sexuelle pleinement assumée. C’est alors que la musique, boucle lente et hypnotique, enveloppe le texte plus qu’elle ne l’accompagne. Trop rare moment de grâce.
Les allers-retours entre la poésie et la vie, le réel et la fiction ne prennent pas vraiment corps au cours de l’heure et demie de spectacle, parce qu’il y a justement trop de quotidien, sur le plateau, et une mise en scène qui n’évite pas que les poèmes s’éclipsent trop souvent dans la caricature.
Éclipse
Création : Marie Brassard. Avec Larissa Corriveau, Laurence Dauphinais, Ève Duranceau et Johanne Haberlin. Assistance à la mise en scène et régie : Emanuelle Kirouac-Sanche. Décor et costumes : Antonin Sorel. Lumières : Sonoyo Nishikawa. Musique originale : Alexander MacSween. Maquillages et coiffures : Angelo Barsetti. Conception vidéo : Karl Lemieux. Intégration vidéo : Guillaume Arseneault. Assistant au décor : Alex Hercule Desjardins. Régie son : Andréa Marsolais-Roy et Gabriel Filiatrault. Assistance à la direction technique : Pierre-Olivier Hamel. Jusqu’au 15 février au Théâtre de Quat’Sous