Un homme conclut un marché avec une femme. Elle le rejoindra dans sa chambre d’hôtel chaque nuit afin qu’il puisse découvrir le corps féminin qui lui est inconnu. S’ensuit une relation aveugle et sourde où le pouvoir passe de l’homme, fermé à tout sentiment, à la femme, énigmatique et de plus en plus dangereuse, dont la seule présence dans ce lit où elle repose dessine le gouffre qui les sépare. Après plusieurs nuits, la femme trouve finalement les mots pour désigner cette affection dont l’homme souffre : il est atteint de la maladie de la mort.
À la fois précise et allusive, hachurée, répétitive et pleine de silences, l’œuvre de Marguerite Duras a marqué la littérature de la deuxième moitié du 20e siècle, et son influence se fait encore vivement sentir aujourd’hui. Cette autrice, qui a dédié toute sa vie à l’écriture, a souvent adapté elle-même certains de ses écrits au théâtre comme Le Square en 1955, ou, au cinéma, Moderato Cantabile en 1960. Ses créations les plus courtes sont de véritables chefs-d’œuvre de poésie et de finesse dans lesquels son style atteint son plein apogée. C’est le cas de L’Homme assis dans le couloir (1980) et de La Maladie de la mort, texte culte paru en 1982. C’est l’adaptation de ce dernier roman qui est présentée au Théâtre Prospero ces jours-ci.
On ne présente plus la metteure en scène, Martine Beaulne, qui fait partie intégrante du paysage théâtral québécois et qui, depuis 1990, a signé plus de 60 mises en scène dont Albertine, en cinq temps de Michel Tremblay en 2000, Les Muses orphelines de Michel Marc Bouchard en 2012 ou encore Marco bleu de Larry Tremblay en 2018. On ne présente plus non plus Sylvie Drapeau, interprète de La Femme, ni Paul Savoie, interprète de L’Homme. Enfermés dans une chambre d’un hôtel dont le balcon donne sur la mer, les deux artistes tentent d’exprimer, par les mots de Duras, l’incommunicabilité entre deux êtres, le vide affectif et existentiel, mais aussi la recherche du désir et la chosification de la femme par l’homme.
En présence d’autant de véritables monstres sacrés, deux postulats : premièrement, un roman de Duras, comme elle l’a démontré elle-même à plusieurs reprises, devrait se prêter volontiers à l’adaptation ; deuxièmement, la table devrait être mise pour un spectacle dont on ressortirait pantelant. Or, ce n’est pas ce qui se passe ici : la pièce déçoit, à plusieurs égards.
Beaulne a pris le parti de respecter le texte le plus possible. Il en résulte une sorte de théâtre-récit où la narration, très apparente (et toujours à la troisième personne), crée une distanciation qui pourrait être intéressante, mais qui appesantit l’action et le jeu des artistes. Au lieu de travailler les silences assourdissants de l’œuvre de Duras, le propos demeure superficiel et dégage une odeur de nostalgie de la nouvelle vague qui ne plaira pas à tous les publics.
La scénographie épurée construit un huis clos dans la chambre d’hôtel où les deux personnages se rencontrent nuit après nuit. Psychanalytiquement fascinant, le fond de scène consiste en un bloc massif d’une matière grise et texturée qui rappelle à la fois une mer un jour de pluie et une paroi rocheuse. Cet élément attire l’œil dès l’entrée dans la salle. Il représente la vue du balcon donnant sur le rivage et participe de l’impression claustrophobe de l’ensemble, ce qui serait tant mieux si seulement ses dimensions imposantes ne diminuaient pas tout le reste, dont la présence des interprètes.
Quant aux interprètes, justement, il est difficile d’entrer dans leur jeu. Le dialogue, rythmé par la répétition de certains mots, de certaines répliques, semble leur donner du fil à retordre : l’un·e coupe l’autre, l’autre se perd, reprend, se trompe un peu trop souvent. Leurs gestes paraissent par moments improvisés, feints, inadéquats. On ne comprend pas toujours pourquoi la femme hausse tout à coup le ton ou se met subitement à agir avec grandiloquence. L’homme semble se déplacer dans la chambre sans trop savoir où aller, où se placer, que faire. Leurs interactions sont dénuées de toute connivence, il devient difficile d’y croire.
Malgré une très belle trame musicale aux accents hitchcockiens, le malaise ne se dissipe pas, et c’est bien dommage. Reste de cette performance la volonté de ramener à l’avant-plan un texte difficile, allusif, tout en ombres et en abysses, et la confirmation que le mystère qui réside au cœur de l’écriture de Duras, souvent imitée, rarement avec succès, demeure.
Mise en scène : Martine Beaulne. Interprétation : Sylvie Drapeau et Paul Savoie. Assistance à la mise en scène : Valery Drapeau. Scénographie : Richard Lacroix. Costumes : Meredith Caron. Lumières : Guy Simard. Musique : Vincent Beaulne. Collaboration au mouvement : Mélanie Demers. Maquillage et coiffure : Angelo Barsetti. Une coproduction du Groupe de la Veillée et du collectif Les Immortels au Théâtre Prospero jusqu’au 15 février 2020.
Un homme conclut un marché avec une femme. Elle le rejoindra dans sa chambre d’hôtel chaque nuit afin qu’il puisse découvrir le corps féminin qui lui est inconnu. S’ensuit une relation aveugle et sourde où le pouvoir passe de l’homme, fermé à tout sentiment, à la femme, énigmatique et de plus en plus dangereuse, dont la seule présence dans ce lit où elle repose dessine le gouffre qui les sépare. Après plusieurs nuits, la femme trouve finalement les mots pour désigner cette affection dont l’homme souffre : il est atteint de la maladie de la mort.
À la fois précise et allusive, hachurée, répétitive et pleine de silences, l’œuvre de Marguerite Duras a marqué la littérature de la deuxième moitié du 20e siècle, et son influence se fait encore vivement sentir aujourd’hui. Cette autrice, qui a dédié toute sa vie à l’écriture, a souvent adapté elle-même certains de ses écrits au théâtre comme Le Square en 1955, ou, au cinéma, Moderato Cantabile en 1960. Ses créations les plus courtes sont de véritables chefs-d’œuvre de poésie et de finesse dans lesquels son style atteint son plein apogée. C’est le cas de L’Homme assis dans le couloir (1980) et de La Maladie de la mort, texte culte paru en 1982. C’est l’adaptation de ce dernier roman qui est présentée au Théâtre Prospero ces jours-ci.
On ne présente plus la metteure en scène, Martine Beaulne, qui fait partie intégrante du paysage théâtral québécois et qui, depuis 1990, a signé plus de 60 mises en scène dont Albertine, en cinq temps de Michel Tremblay en 2000, Les Muses orphelines de Michel Marc Bouchard en 2012 ou encore Marco bleu de Larry Tremblay en 2018. On ne présente plus non plus Sylvie Drapeau, interprète de La Femme, ni Paul Savoie, interprète de L’Homme. Enfermés dans une chambre d’un hôtel dont le balcon donne sur la mer, les deux artistes tentent d’exprimer, par les mots de Duras, l’incommunicabilité entre deux êtres, le vide affectif et existentiel, mais aussi la recherche du désir et la chosification de la femme par l’homme.
En présence d’autant de véritables monstres sacrés, deux postulats : premièrement, un roman de Duras, comme elle l’a démontré elle-même à plusieurs reprises, devrait se prêter volontiers à l’adaptation ; deuxièmement, la table devrait être mise pour un spectacle dont on ressortirait pantelant. Or, ce n’est pas ce qui se passe ici : la pièce déçoit, à plusieurs égards.
Beaulne a pris le parti de respecter le texte le plus possible. Il en résulte une sorte de théâtre-récit où la narration, très apparente (et toujours à la troisième personne), crée une distanciation qui pourrait être intéressante, mais qui appesantit l’action et le jeu des artistes. Au lieu de travailler les silences assourdissants de l’œuvre de Duras, le propos demeure superficiel et dégage une odeur de nostalgie de la nouvelle vague qui ne plaira pas à tous les publics.
La scénographie épurée construit un huis clos dans la chambre d’hôtel où les deux personnages se rencontrent nuit après nuit. Psychanalytiquement fascinant, le fond de scène consiste en un bloc massif d’une matière grise et texturée qui rappelle à la fois une mer un jour de pluie et une paroi rocheuse. Cet élément attire l’œil dès l’entrée dans la salle. Il représente la vue du balcon donnant sur le rivage et participe de l’impression claustrophobe de l’ensemble, ce qui serait tant mieux si seulement ses dimensions imposantes ne diminuaient pas tout le reste, dont la présence des interprètes.
Quant aux interprètes, justement, il est difficile d’entrer dans leur jeu. Le dialogue, rythmé par la répétition de certains mots, de certaines répliques, semble leur donner du fil à retordre : l’un·e coupe l’autre, l’autre se perd, reprend, se trompe un peu trop souvent. Leurs gestes paraissent par moments improvisés, feints, inadéquats. On ne comprend pas toujours pourquoi la femme hausse tout à coup le ton ou se met subitement à agir avec grandiloquence. L’homme semble se déplacer dans la chambre sans trop savoir où aller, où se placer, que faire. Leurs interactions sont dénuées de toute connivence, il devient difficile d’y croire.
Malgré une très belle trame musicale aux accents hitchcockiens, le malaise ne se dissipe pas, et c’est bien dommage. Reste de cette performance la volonté de ramener à l’avant-plan un texte difficile, allusif, tout en ombres et en abysses, et la confirmation que le mystère qui réside au cœur de l’écriture de Duras, souvent imitée, rarement avec succès, demeure.
La Maladie de la mort
Mise en scène : Martine Beaulne. Interprétation : Sylvie Drapeau et Paul Savoie. Assistance à la mise en scène : Valery Drapeau. Scénographie : Richard Lacroix. Costumes : Meredith Caron. Lumières : Guy Simard. Musique : Vincent Beaulne. Collaboration au mouvement : Mélanie Demers. Maquillage et coiffure : Angelo Barsetti. Une coproduction du Groupe de la Veillée et du collectif Les Immortels au Théâtre Prospero jusqu’au 15 février 2020.