« Qu’est-ce que tu vois ? Qu’est-ce que tu penses ? Qu’est-ce que tu ressens ? », ne cesse de demander Mark Rothko à son assistant pendant qu’ils travaillent sur la plus grande commande d’œuvre de l’histoire de l’art moderne. Alors que le rouge et le noir s’entre-dévorent sur les toiles qui couvrent le plateau de la Bordée transformé en atelier de peinture, on assiste à une leçon artistique et à une joute intellectuelle passionnée.
On devise peu sur les implications et les exigences de l’art hors des programmes de formation artistique. Il fait bon que, pour une trop rare fois, le théâtre devienne l’arène d’échanges d’idées vifs et de discours sur l’art. L’exercice est rigoureux et pourrait s’avérer didactique et aride, mais il demeure digeste à cause de l’humanité palpitante qui l’accompagne.
On découvre Rothko la cigarette au bec dans son atelier. Il y travaille tous les jours de 9h à 17h, « exactement comme des banquiers ». Il y peint, parfois, mais surtout il réfléchit, il observe, accordant autant d’importance, sinon plus, à la pensée qu’au geste. La pièce débute avec l’arrivée d’un jeune assistant, qui ne sera jamais nommé, et qui sera plongé, en même temps que le spectateur et la spectatrice, dans des flots incessants de paroles, de questions et d’exigences d’un artiste dans la force de l’âge, qui sait très bien où il veut aller.
Transfiguré, Michel Nadeau incarne un Rothko d’une incandescence sombre. On entend, dans sa manière d’enchaîner chaque phrase avec un débit étudié, la façon de parler d’une génération de penseurs, de penseuses et de professeur·es dont les idées s’énoncent clairement, posément. Une sorte d’éloquence où la bouche suit le rythme exact des pensées qui se forment.
Le brio du texte de John Logan (ponctué d’exclamations toutes québécoises judicieusement intégrées par la traductrice Maryse Warda) et de l’interprétation de Michel Nadeau est de réussir à montrer l’humour de l’homme et ses émotions franches, à travers sa cape d’intellectualisme. Steven Lee Potvin joue les assistants maladroit et impressionnable avec une candeur un brin trop appuyée au début, puis son jeu gagne en profondeur lorsqu’il devient clair qu’il fait partie de la prochaine génération d’artistes, qui eux aussi brûleront ce qui précède pour affirmer un art qui leur ressemble.
On se demande un peu ce que vient faire le drame personnel du personnage, porté de manière presque mélodramatique par l’interprète, dans l’équation qui autrement aurait été bien équilibrée. Le moment où les deux comédiens couvrent une toile de rouge, à grands coups de gestes vigoureux, avant de s’arrêter, à bout de souffle, pour regarder leur ouvrage, est drôlement plus poignant.
Au-delà des mots, le metteur en scène Olivier Normand et son équipe de concepteurs et conceptrices ont finement illustré l’époque où l’expressionnisme abstrait bascule et où le pop art s’impose. Les immenses toiles qui composent le décor sur deux niveaux, grâce à une mezzanine, seront graduellement retournées pendant la pièce. Le bois brut et la toile perdent peu à peu du terrain sur le rouge et le noir. Les panneaux accueillent aussi des projections, qui montrent plusieurs tableaux célèbres dont parle Rothko. La multiplicité des surfaces de projection déconstruit les images et leur donne la texture du souvenir. Tapissée de projections d’œuvres de pop art, la structure scénographique s’ouvre comme une fenêtre sur l’avenir en marche.
La musique joue également un rôle de premier plan, grâce à la judicieuse sélection de Nicolas Jobin. L’atelier de Rothko tangue dans les œuvres opératiques et orchestrales tragiques. Lorsque l’assistant y est laissé seul, le jazz s’invite. Musique et peinture se déploient en symbiose et traduisent bien le déchaînement des passions et des idées qui portent les grands artistes.
On sort de la salle les sens en éveil, du rouge sur la pupille, le cerveau allumé et avec le souvenir de l’odeur des cigarettes aux herbes et du café qui infuse.
Texte : John Logan. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène : Olivier Normand. Assistance à la mise en scène : Elizabeth Cordeau Rancourt. Décor : Véronique Bertrand. Costumes : Julie Morel. Musique : Nicolas Jobin. Lumières : Elliot Gaudreau. Avec Steven Lee Potvin et Michel Nadeau. Une production de la Bordée présentée à la Bordée du jusqu’au 21 mars 2020.
« Qu’est-ce que tu vois ? Qu’est-ce que tu penses ? Qu’est-ce que tu ressens ? », ne cesse de demander Mark Rothko à son assistant pendant qu’ils travaillent sur la plus grande commande d’œuvre de l’histoire de l’art moderne. Alors que le rouge et le noir s’entre-dévorent sur les toiles qui couvrent le plateau de la Bordée transformé en atelier de peinture, on assiste à une leçon artistique et à une joute intellectuelle passionnée.
On devise peu sur les implications et les exigences de l’art hors des programmes de formation artistique. Il fait bon que, pour une trop rare fois, le théâtre devienne l’arène d’échanges d’idées vifs et de discours sur l’art. L’exercice est rigoureux et pourrait s’avérer didactique et aride, mais il demeure digeste à cause de l’humanité palpitante qui l’accompagne.
On découvre Rothko la cigarette au bec dans son atelier. Il y travaille tous les jours de 9h à 17h, « exactement comme des banquiers ». Il y peint, parfois, mais surtout il réfléchit, il observe, accordant autant d’importance, sinon plus, à la pensée qu’au geste. La pièce débute avec l’arrivée d’un jeune assistant, qui ne sera jamais nommé, et qui sera plongé, en même temps que le spectateur et la spectatrice, dans des flots incessants de paroles, de questions et d’exigences d’un artiste dans la force de l’âge, qui sait très bien où il veut aller.
Transfiguré, Michel Nadeau incarne un Rothko d’une incandescence sombre. On entend, dans sa manière d’enchaîner chaque phrase avec un débit étudié, la façon de parler d’une génération de penseurs, de penseuses et de professeur·es dont les idées s’énoncent clairement, posément. Une sorte d’éloquence où la bouche suit le rythme exact des pensées qui se forment.
Le brio du texte de John Logan (ponctué d’exclamations toutes québécoises judicieusement intégrées par la traductrice Maryse Warda) et de l’interprétation de Michel Nadeau est de réussir à montrer l’humour de l’homme et ses émotions franches, à travers sa cape d’intellectualisme. Steven Lee Potvin joue les assistants maladroit et impressionnable avec une candeur un brin trop appuyée au début, puis son jeu gagne en profondeur lorsqu’il devient clair qu’il fait partie de la prochaine génération d’artistes, qui eux aussi brûleront ce qui précède pour affirmer un art qui leur ressemble.
On se demande un peu ce que vient faire le drame personnel du personnage, porté de manière presque mélodramatique par l’interprète, dans l’équation qui autrement aurait été bien équilibrée. Le moment où les deux comédiens couvrent une toile de rouge, à grands coups de gestes vigoureux, avant de s’arrêter, à bout de souffle, pour regarder leur ouvrage, est drôlement plus poignant.
Au-delà des mots, le metteur en scène Olivier Normand et son équipe de concepteurs et conceptrices ont finement illustré l’époque où l’expressionnisme abstrait bascule et où le pop art s’impose. Les immenses toiles qui composent le décor sur deux niveaux, grâce à une mezzanine, seront graduellement retournées pendant la pièce. Le bois brut et la toile perdent peu à peu du terrain sur le rouge et le noir. Les panneaux accueillent aussi des projections, qui montrent plusieurs tableaux célèbres dont parle Rothko. La multiplicité des surfaces de projection déconstruit les images et leur donne la texture du souvenir. Tapissée de projections d’œuvres de pop art, la structure scénographique s’ouvre comme une fenêtre sur l’avenir en marche.
La musique joue également un rôle de premier plan, grâce à la judicieuse sélection de Nicolas Jobin. L’atelier de Rothko tangue dans les œuvres opératiques et orchestrales tragiques. Lorsque l’assistant y est laissé seul, le jazz s’invite. Musique et peinture se déploient en symbiose et traduisent bien le déchaînement des passions et des idées qui portent les grands artistes.
On sort de la salle les sens en éveil, du rouge sur la pupille, le cerveau allumé et avec le souvenir de l’odeur des cigarettes aux herbes et du café qui infuse.
Rouge
Texte : John Logan. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène : Olivier Normand. Assistance à la mise en scène : Elizabeth Cordeau Rancourt. Décor : Véronique Bertrand. Costumes : Julie Morel. Musique : Nicolas Jobin. Lumières : Elliot Gaudreau. Avec Steven Lee Potvin et Michel Nadeau. Une production de la Bordée présentée à la Bordée du jusqu’au 21 mars 2020.