Le marketing de la personnalité implique de poser un certain nombre de gestes, qui vont de la présence sur les réseaux sociaux à la gestion d’un site officiel, ou de chercher de la visibilité dans le web des données.
En brossant un tableau sommaire des artistes de théâtre présents de façon professionnelle sur les réseaux sociaux, on remarque rapidement que c’est loin d’être une tendance généralisée. Parce que le virage numérique date à peine d’une dizaine d’années, beaucoup de personnes œuvrant dans le milieu du théâtre avouent avoir l’impression de marcher sur des œufs en ce qui a trait à leurs actions en ligne.
Émilie Bibeau, comédienne très présente sur les planches et sur les écrans depuis le début des années 2000, a décidé d’ouvrir une page professionnelle sur Facebook en mars dernier : « J’avais perdu le contrôle de ma page, car mes admirateurs m’écrivent beaucoup, aussi je l’ai transformée en compte professionnel. » Même situation du côté de l’auteur Simon Boulerice, qui a ressenti le besoin de lancer une page professionnelle lorsqu’il a atteint le nombre maximum d’amis Facebook, c’est-à-dire 5000.
La comédienne Marilou Morin a suivi un chemin différent. Dès la fin de sa formation en théâtre, en 2011, l’artiste a pensé à son image en ligne : « C’est une question que je me suis posée d’emblée. J’ai réalisé que je devais être joignable en tout temps, et ce, sur toutes les plateformes. » Celle qui s’est illustrée auprès du public jeunesse dès le début de sa carrière a dû rapidement se créer une page professionnelle : « Je devais constamment me censurer à cause du jeune âge de certains de mes “amis”. Si je n’avais joué qu’au théâtre, je pense que ce besoin se serait présenté éventuellement, mais moins tôt dans ma carrière. » Selon Isabelle Bleau, attachée de presse – notamment dans le milieu du théâtre –, ce sont surtout les artistes qu’on retrouve au petit et au grand écran qui font face à la nécessité de se créer une page Facebook professionnelle : « Ce sont eux qui vivent un débordement des fans sur leur compte personnel ! » .
Est-ce primordial d’être en ligne pour un artiste de théâtre ? Olivier Morin, du Théâtre du Futur, ne le croit pas : « C’est utile, mais pas nécessaire. C’est un outil qui peut être pertinent. » Surtout lorsque l’enveloppe réservée à la promotion d’une production est petite ! Pour son plus récent spectacle, Les Secrets de la vérité, présenté au Théâtre Aux Écuries, la troupe a investi les réseaux sociaux. « Nous sommes plus présents quand nous sommes en production, explique Olivier Morin. Entre les spectacles, on n’a pas de stratégie. Je pense que lorsqu’on n’a rien à dire, on est mieux de se la fermer ! » Est-ce pour cette raison qu’il n’a pas de page professionnelle à son propre nom ? « À quoi bon ? Ça ne se bouscule pas au portillon pour devenir ami Facebook avec Olivier Morin ! Il y a beaucoup de gens qui se mettent en scène dans les réseaux sociaux, et j’ai l’impression que ce culte de la personnalité peut affecter le milieu. Certains diffuseurs pourraient, par exemple, aller chercher tel ou tel comédien parce qu’il a une meilleure portée en ligne », avance-t-il.
Marie-Pierre Longpré, assistante et responsable des relations de presse à l’Agence Micheline Saint-Laurent, indique que les demandes pour les artistes très actifs sur les réseaux sociaux sortent de plus en plus des sentiers battus. Par exemple, un comédien peut être payé pour promouvoir un produit ou indiquer qu’il est à tel ou tel événement : « À notre agence, on n’exige pas du tout qu’un artiste soit présent en ligne. Si c’est le cas, il risque de se faire approcher pour divers contrats de promotion. C’est difficile pour nous de savoir ce qu’on accepte ou non. » Marilou Morin est, elle aussi, bien consciente de cette nouvelle réalité dont on parle encore peu : « Si j’étais plus présente sur les réseaux sociaux, est-ce que j’aurais plus de contrats ? Peut-être ! C’est un outil qui, au même titre qu’un autre, peut m’aider à obtenir plus de visibilité. »
Du côté des sites internet
Alors qu’on remarque que le terrain est loin d’être investi de manière égale dans les réseaux sociaux, c’est le même son de cloche du côté des sites internet consacrés aux artistes de théâtre. Les agences d’artistes, par exemple, mettent un point d’honneur à garder à jour les pages consacrées aux interprètes. « C’est une première impression qui peut faire toute la différence pour un artiste », avance Marie-Pierre Longpré.
Michel Marc Bouchard l’a bien compris. Il y a déjà 10 ans, le dramaturge a eu l’idée de lancer son propre site. Une initiative loin d’être répandue chez les auteurs de théâtre : « C’est une vitrine sur le monde ! On me demandait beaucoup d’informations, que ce soit les journalistes ou des étudiants, par exemple. En plus de présenter une biographie et des actualités, explique-t-il, mon site a aussi une certaine forme encyclopédique. Au lieu d’écrire mes mémoires, j’amasse des données sur cette plateforme ! » Autre incontournable : Wikipedia ! Non seulement Wikipedia est une encyclopédie participative largement utilisée par la communauté, les chercheurs et les étudiants, mais c’est aussi un site qui agit comme concentrateur d’informations, comme source de données pour une variété d’autres sites internet. C’est un élément phare de ce que l’on appelle le web des données liées et structurées. Une personnalité publique se doit d’y être référencée.
En plus d’être pertinentes, ces informations permettent d’améliorer la trace numérique d’individus, ce qu’on appelle la découvrabilité en ligne. Les artistes de tous horizons doivent composer avec le développement du web sémantique, une extension que l’organisme World Wide Web Consortium qualifie de toile d’informations pouvant être utilisées ou réutilisées par plusieurs instances comme, par exemple, les réseaux mondiaux de bibliothèques. À la base de ce système, on trouve les métadonnées, qui décrivent un contenu en ligne, que ce soit une œuvre, un spectacle, une chanson, etc. Le défi ? Créer des métadonnées en ayant en tête qu’un humain et un ordinateur doivent être en mesure de les comprendre. Un atout pour les artistes qui savent tirer parti de ces divers outils, comme l’identifiant ISNI, par exemple – qui permet une identification internationale des artistes ou organismes, auteurs ou contributeurs d’une œuvre artistique. Un monde vaste et complexe à explorer, qui doit être pris en compte dans les stratégies marketing des artistes.
Le théâtre, un milieu frileux ?
Alors que l’industrie de la musique, par exemple, est très représentée en ligne puisque c’est un de ses principaux modes de diffusion, le monde du théâtre se fait plus discret. Pourquoi ? « Est-ce que ce serait parce que le public ne réagit pas de la même façon ? s’interroge Daniel Meyer, attaché de presse depuis de nombreuses années. Les artistes de théâtre sont peut-être plus frileux, plus réservés. » Marilou Morin remarque le même phénomène : « J’ai l’impression que la représentation en ligne des artistes est parfois mal vue par le milieu théâtral. Peut-être parce que, lorsque le virage numérique a débuté, ce n’était pas toujours glorieux. Il y a eu des glissements et des maladresses dans les réseaux sociaux, par exemple. Est-ce qu’on est restés avec l’idée qu’une telle exposition tombe dans l’égotisme ? »
Le monde du théâtre accuse-t-il un retard par rapport à d’autres arts ? Pas selon Olivier Morin : « Je ne sens pas que le milieu traîne de la patte. Beaucoup de théâtres adoptent des stratégies en ligne très pertinentes. Je pense qu’il faut investir les réseaux sociaux et les sites internet en étant conscient de son but. Aussi, il faut se poser la question : est-ce possible de lever le nez sur cet espace public pour communiquer ? À moins d’avoir des moyens extérieurs phénoménaux, ça peut être intéressant d’utiliser ces outils. »
Comme il n’y a pas de méthode claire, les différents acteurs du monde théâtral avancent à tâtons dans le monde mystérieux du web. Si bien qu’un besoin de règlementation se fait sentir, selon Marilou Morin : « C’est parfois difficile de savoir ce qu’on peut partager ou pas. Des photos de coulisses par exemple, c’est attrayant pour le public. Il va certainement falloir inclure des clauses aux contrats des comédiens, éventuellement pour éviter de dévoiler des détails des productions avant les représentations. » Alors que les retombées réelles de la représentation en ligne demeurent dans le flou, une certitude subsiste : chacun peut explorer comme bon lui semble cet univers, qui va se structurer dans les prochaines années.
Le marketing de la personnalité implique de poser un certain nombre de gestes, qui vont de la présence sur les réseaux sociaux à la gestion d’un site officiel, ou de chercher de la visibilité dans le web des données.
En brossant un tableau sommaire des artistes de théâtre présents de façon professionnelle sur les réseaux sociaux, on remarque rapidement que c’est loin d’être une tendance généralisée. Parce que le virage numérique date à peine d’une dizaine d’années, beaucoup de personnes œuvrant dans le milieu du théâtre avouent avoir l’impression de marcher sur des œufs en ce qui a trait à leurs actions en ligne.
Émilie Bibeau, comédienne très présente sur les planches et sur les écrans depuis le début des années 2000, a décidé d’ouvrir une page professionnelle sur Facebook en mars dernier : « J’avais perdu le contrôle de ma page, car mes admirateurs m’écrivent beaucoup, aussi je l’ai transformée en compte professionnel. » Même situation du côté de l’auteur Simon Boulerice, qui a ressenti le besoin de lancer une page professionnelle lorsqu’il a atteint le nombre maximum d’amis Facebook, c’est-à-dire 5000.
La comédienne Marilou Morin a suivi un chemin différent. Dès la fin de sa formation en théâtre, en 2011, l’artiste a pensé à son image en ligne : « C’est une question que je me suis posée d’emblée. J’ai réalisé que je devais être joignable en tout temps, et ce, sur toutes les plateformes. » Celle qui s’est illustrée auprès du public jeunesse dès le début de sa carrière a dû rapidement se créer une page professionnelle : « Je devais constamment me censurer à cause du jeune âge de certains de mes “amis”. Si je n’avais joué qu’au théâtre, je pense que ce besoin se serait présenté éventuellement, mais moins tôt dans ma carrière. » Selon Isabelle Bleau, attachée de presse – notamment dans le milieu du théâtre –, ce sont surtout les artistes qu’on retrouve au petit et au grand écran qui font face à la nécessité de se créer une page Facebook professionnelle : « Ce sont eux qui vivent un débordement des fans sur leur compte personnel ! » .
Est-ce primordial d’être en ligne pour un artiste de théâtre ? Olivier Morin, du Théâtre du Futur, ne le croit pas : « C’est utile, mais pas nécessaire. C’est un outil qui peut être pertinent. » Surtout lorsque l’enveloppe réservée à la promotion d’une production est petite ! Pour son plus récent spectacle, Les Secrets de la vérité, présenté au Théâtre Aux Écuries, la troupe a investi les réseaux sociaux. « Nous sommes plus présents quand nous sommes en production, explique Olivier Morin. Entre les spectacles, on n’a pas de stratégie. Je pense que lorsqu’on n’a rien à dire, on est mieux de se la fermer ! » Est-ce pour cette raison qu’il n’a pas de page professionnelle à son propre nom ? « À quoi bon ? Ça ne se bouscule pas au portillon pour devenir ami Facebook avec Olivier Morin ! Il y a beaucoup de gens qui se mettent en scène dans les réseaux sociaux, et j’ai l’impression que ce culte de la personnalité peut affecter le milieu. Certains diffuseurs pourraient, par exemple, aller chercher tel ou tel comédien parce qu’il a une meilleure portée en ligne », avance-t-il.
Marie-Pierre Longpré, assistante et responsable des relations de presse à l’Agence Micheline Saint-Laurent, indique que les demandes pour les artistes très actifs sur les réseaux sociaux sortent de plus en plus des sentiers battus. Par exemple, un comédien peut être payé pour promouvoir un produit ou indiquer qu’il est à tel ou tel événement : « À notre agence, on n’exige pas du tout qu’un artiste soit présent en ligne. Si c’est le cas, il risque de se faire approcher pour divers contrats de promotion. C’est difficile pour nous de savoir ce qu’on accepte ou non. » Marilou Morin est, elle aussi, bien consciente de cette nouvelle réalité dont on parle encore peu : « Si j’étais plus présente sur les réseaux sociaux, est-ce que j’aurais plus de contrats ? Peut-être ! C’est un outil qui, au même titre qu’un autre, peut m’aider à obtenir plus de visibilité. »
Du côté des sites internet
Alors qu’on remarque que le terrain est loin d’être investi de manière égale dans les réseaux sociaux, c’est le même son de cloche du côté des sites internet consacrés aux artistes de théâtre. Les agences d’artistes, par exemple, mettent un point d’honneur à garder à jour les pages consacrées aux interprètes. « C’est une première impression qui peut faire toute la différence pour un artiste », avance Marie-Pierre Longpré.
Michel Marc Bouchard l’a bien compris. Il y a déjà 10 ans, le dramaturge a eu l’idée de lancer son propre site. Une initiative loin d’être répandue chez les auteurs de théâtre : « C’est une vitrine sur le monde ! On me demandait beaucoup d’informations, que ce soit les journalistes ou des étudiants, par exemple. En plus de présenter une biographie et des actualités, explique-t-il, mon site a aussi une certaine forme encyclopédique. Au lieu d’écrire mes mémoires, j’amasse des données sur cette plateforme ! » Autre incontournable : Wikipedia ! Non seulement Wikipedia est une encyclopédie participative largement utilisée par la communauté, les chercheurs et les étudiants, mais c’est aussi un site qui agit comme concentrateur d’informations, comme source de données pour une variété d’autres sites internet. C’est un élément phare de ce que l’on appelle le web des données liées et structurées. Une personnalité publique se doit d’y être référencée.
En plus d’être pertinentes, ces informations permettent d’améliorer la trace numérique d’individus, ce qu’on appelle la découvrabilité en ligne. Les artistes de tous horizons doivent composer avec le développement du web sémantique, une extension que l’organisme World Wide Web Consortium qualifie de toile d’informations pouvant être utilisées ou réutilisées par plusieurs instances comme, par exemple, les réseaux mondiaux de bibliothèques. À la base de ce système, on trouve les métadonnées, qui décrivent un contenu en ligne, que ce soit une œuvre, un spectacle, une chanson, etc. Le défi ? Créer des métadonnées en ayant en tête qu’un humain et un ordinateur doivent être en mesure de les comprendre. Un atout pour les artistes qui savent tirer parti de ces divers outils, comme l’identifiant ISNI, par exemple – qui permet une identification internationale des artistes ou organismes, auteurs ou contributeurs d’une œuvre artistique. Un monde vaste et complexe à explorer, qui doit être pris en compte dans les stratégies marketing des artistes.
Le théâtre, un milieu frileux ?
Alors que l’industrie de la musique, par exemple, est très représentée en ligne puisque c’est un de ses principaux modes de diffusion, le monde du théâtre se fait plus discret. Pourquoi ? « Est-ce que ce serait parce que le public ne réagit pas de la même façon ? s’interroge Daniel Meyer, attaché de presse depuis de nombreuses années. Les artistes de théâtre sont peut-être plus frileux, plus réservés. » Marilou Morin remarque le même phénomène : « J’ai l’impression que la représentation en ligne des artistes est parfois mal vue par le milieu théâtral. Peut-être parce que, lorsque le virage numérique a débuté, ce n’était pas toujours glorieux. Il y a eu des glissements et des maladresses dans les réseaux sociaux, par exemple. Est-ce qu’on est restés avec l’idée qu’une telle exposition tombe dans l’égotisme ? »
Le monde du théâtre accuse-t-il un retard par rapport à d’autres arts ? Pas selon Olivier Morin : « Je ne sens pas que le milieu traîne de la patte. Beaucoup de théâtres adoptent des stratégies en ligne très pertinentes. Je pense qu’il faut investir les réseaux sociaux et les sites internet en étant conscient de son but. Aussi, il faut se poser la question : est-ce possible de lever le nez sur cet espace public pour communiquer ? À moins d’avoir des moyens extérieurs phénoménaux, ça peut être intéressant d’utiliser ces outils. »
Comme il n’y a pas de méthode claire, les différents acteurs du monde théâtral avancent à tâtons dans le monde mystérieux du web. Si bien qu’un besoin de règlementation se fait sentir, selon Marilou Morin : « C’est parfois difficile de savoir ce qu’on peut partager ou pas. Des photos de coulisses par exemple, c’est attrayant pour le public. Il va certainement falloir inclure des clauses aux contrats des comédiens, éventuellement pour éviter de dévoiler des détails des productions avant les représentations. » Alors que les retombées réelles de la représentation en ligne demeurent dans le flou, une certitude subsiste : chacun peut explorer comme bon lui semble cet univers, qui va se structurer dans les prochaines années.