Critiques

Arts de la scène et numérique

© Julie Artacho

Le numérique. Oserions-nous encore, en 2018, évoquer l’électrique de façon aussi générique que nous le faisons pour le numérique? Comme le faisait remarquer à juste titre Tammy Lee, instigatrice du projet web sémantique La Culture crée, lors du Forum des innovations culturelles de Québec d’avril 2018, le numérique sera dans dix ans un phénomène entièrement intégré à nos vies et il est peu probable que nous nous y référerons de façon aussi peu nuancée.

Les nouvelles technologies de l’information et des communications sont déjà partout. Partout? S’il y a un secteur de pratique artistique qui résiste encore au phénomène, ou s’y penche avec réticence, il semble bien que ce soit les arts de la scène. Dans leur étude préparatoire au Forum du droit d’auteur à l’ère numérique (Chantier sur l’adaptation des droits d’auteur à l’ère numérique. État des lieux du secteur Arts de la scène, Montréal, INRS, 2015), Guillaume Sirois et Guy Bellavance, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), se penchaient sur les arts de la scène à l’ère numérique et y allaient de l’affirmation suivante: «Le milieu reste, en fait, peu mobilisé encore autour de ces questions, considérées comme relativement marginales en regard de la production en salle.»

Or, comment imaginer que ces technologies, qui ont fait voler en éclat 60% de l’économie de la filière de l’enregistrement sonore, qui ravissent désormais la part congrue des budgets des ménages en matière de fréquentation de la culture, n’auront pas d’impact sur les arts de la scène? S’il est depuis longtemps utilisé pour la création artistique, le numérique se révèle être également un formidable outil pour l’étude du public et la communication avec celui-ci. Il pourrait fondamentalement transformer la relation entre le spectateur et le théâtre.

Pour mettre la table, comme on dit, nous sommes allés rencontrer les équipes chargées du numérique au Conseil des arts du Canada et au Conseil des arts et des lettres du Québec, ainsi que leurs directeur et directrice, afin de les entendre sur les nouveaux programmes mis en place pour le numérique. On parle de changement de paradigmes, de mutualisation des données, de partage d’expertise et de développement de public. Nous avons également, comme le préconise la démarche numérique, consulté des experts: Josée Plamondon explique l’archivage des données des arts de la scène, alors que Catherine Mathys présente le projet de partenariat du Quartier des spectacles. Marie-Claude Brière rend compte de son expérience de téléprésence à Gaspé avec la station Scénic, un dispositif mis en place par la Société des arts technologiques.

Pour explorer le numérique en scène, Mélanie Carpentier s’est entretenue avec trois chorégraphes que le numérique, en intégrant leur processus de création, a menées à repenser leur pratique: Karine Ledoyen, Marie-Claude Poulin et Isabelle Van Grimde (dont les danseuses Sophie Breton et Chi Long sont en couverture de ce numéro). Louis-Philippe Labrèche, en s’entretenant avec Robert Faguy, du studio LANTISS, à Québec et Alexis Ouellette-Rivest, concepteur d’éclairages et directeur technique de Vyv (studio de haute technologie), retrace l’évolution rapide des moyens technologiques en scène – projecteur vidéo, mapping – et s’interroge sur la place de l’acteur confronté à ces équipements. Julie-Michèle Morin livre une réflexion sur la révolution du transhumanisme, en s’appuyant sur deux spectacles, Les robots font-ils l’amour? d’Angela Konrad et Post Humains de Dominique Leclerc et Édith Patenaude. Enfin, Mélissa Pelletier fait le point sur le marketing de soi en ligne: comment gérer son image publique dans les réseaux sociaux et ailleurs sur le web, de la page Facebook au site Internet, des métadonnées à la découvrabilité.

Nous aurions pu, bien sûr, emprunter bien d’autres voies qui s’ouvraient à nous. Le sujet est vaste et les autoroutes de l’information très fréquentées. Disons que ce dossier est un premier état des lieux du numérique dans le secteur des arts vivants, un survol des extraordinaires possibilités que nous promet la technologie. Et, comme tout change si vite, il faudra très vite penser à une mise à jour…

Jean-Robert Bisaillon et Michelle Chanonat

Jean-Robert Bisaillon

À propos de

Membre du Laboratoire Arts et société terrains et théories de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), il travaille activement sur les métadonnées musicales.