La folie poétique et contagieuse du Festival Phénomena est à toute épreuve et ce n’est pas une pandémie qui y changera quoi que ce soit. L’événement interdisciplinaire, fondé par le collectif Les Filles électriques et sa directrice artistique D. Kimm, bat son plein jusqu’au 23 octobre et célèbre sa neuvième édition sous le thème, bien choisi, de la résilience. La plupart des spectacles ont évidemment été transposés en ligne et en vidéo mais, pour garder vivante l’âme de cette manifestation annuelle d’artistes inclassables, deux performances ont été filmées à la Sala Rossa, son quartier général. Passons en revue quelques trouvailles.
Match
Petit plaisir cérébral : la marionnettiste réputée Marcelle Hudon et le musicien Bernard Falaise, à la feuille de route tout aussi impressionnante, se renvoient la balle dans une vidéo composée de quatre parties où chaque pièce est répétée deux fois, de même que chaque bande sonore, mais dans un ordre différent. L’ambiance est parfois menaçante et parfois ludique, selon la combinaison.
L’expérimentation, basée sur la relation entre musique et image, est attrayante et surréaliste, et surtout elle fonctionne : l’environnement sonore de Falaise modifie entièrement, d’une fois à l’autre, la tension présente dans chaque pièce au point que l’on oublie à l’occasion qu’il s’agit bien de la même.
C’est avec bonheur que l’on voit Hudon animer avec minutie les objets et les marionnettes de ses mains expertes. Le gros plan de son visage recouvert d’un masque de luchador mexicain restera un petit moment imprimé sur notre rétine.
À travers l’agonie d’un hanneton et sa tentative de réanimation avec un soufflet en origami, l’apparition d’un OVNI en carton dans une forêt et les évolutions de personnages créés par la marionnettiste, dans son studio, on devine facilement la grande complicité des deux artistes qui se sont visiblement bien amusé·es sur leurs terrains de jeu respectifs.
Match
Musique : Bernard Falaise. Marionnettes et théâtre d’ombres : Marcelle Hudon. Disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 20 octobre 2020.
Deaf performances Cabaret de performances sourdes
Vu son succès l’année dernière, le Deaf performances Cabaret de performances sourdes est de retour pour une deuxième année consécutive. Cette fois-ci, D. Kimm a accompagné trois artistes sourd·es dans la création de vidéo-poèmes en langue des signes québécoise. Mains de Hodan Youssouf, Mes chapitres magiques de Jennifer Manning et le très actuel COVID-19 à Montréal de Theara Yim nous plongent dans un univers où le corps en mouvement devient parole articulée, mais aussi canevas pour les images évoquées par ces interprètes qui ont trop peu souvent l’occasion de s’exprimer sur « scène ».
Le ton de COVID-19 à Montréal, dans lequel Theara Yim relate, par petites saynètes tirées du quotidien, l’arrivée du virus dans la métropole est à la fois lyrique et légèrement angoissant. La pièce permet surtout d’appréhender l’expérience de l’artiste dans cette situation que nous vivons, chacun·e, différemment.
Comme la performance précédente, Mes chapitres magiques est accompagné de sous-titres et d’animations en arrière-plan (l’effet fond d’écran Zoom est à travailler) qui reflètent les propos en langue des signes. Dans un poème proche de la danse, qui se répète dans la variation, Jennifer Manning marque la distinction entre entendre la musique du monde et ressentir sa beauté. Le refrain de ce poème traitant du mouvement de la Terre tient du rituel jubilatoire et on se prend à vouloir rejoindre l’artiste dans sa danse.
Avec Mains, Hodan Youssouf offre une création plus minimale, mais peut-être aussi plus assumée et plus complexe. Pas de sous-titres ici, ce qui pousse à se concentrer sur les mains. Le propos, ici, relève davantage d’une présentation de la créatrice, de son affirmation en tant que femme noire sourde, et des obstacles de la communication entre elle et le reste de sa famille. Une belle performance par une artiste qu’on aimerait beaucoup revoir.
Conception et interprétation : Theara Yim. Arts médiatiques : Sera Kassab. Œil extérieur : Pamela E Witcher. Caméra : Caroline Hayeur. Disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 19 octobre 2020.
Conception et interprétation : Jennifer Manning. Arts médiatiques : Sera Kassab. Œil extérieur : Pamela E Witcher. Caméra : Caroline Hayeur. Disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 19 octobre 2020.
Conception et interprétation : Hodan Youssouf. Arts médiatiques : Sera Kassab. Œil extérieur : Pamela E Witcher. Caméra : Caroline Hayeur. Disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 19 octobre 2020.
Cabaret secret
Filmée à la Sala Rossa, cette revue de Cirquantique, coopérative de femmes créée en 2012 promouvant les artistes émergent·es du cirque et du burlesque, fait profondément regretter la fermeture des lieux physiques de représentation. Le public – idéalement adulte et plutôt averti – se régalera de six numéros empreints de sensualité décalée. Cabaret secret est un freak show comme on les aime, où l’inquiétante étrangeté côtoie la poésie et la transcendance. Une véritable réussite.
Valérie Doucet ouvre le bal avec un solo qui donne le ton. La contorsionniste surprend par sa délicatesse tout en travaillant les micromouvements, plus secs, qui déconstruisent l’amplitude de ses gestes. DVD et Sonic Boom, deux b-boys de la compagnie Montréal Street Dancer, proposent un duo de breakdance qui détend l’atmosphère. Toutes deux vêtues d’un masque de dentelle et d’un maillot noirs, jambes nues, cheveux tressés, Daïna Michaud, artiste de cirque et directrice artistique de Cirquantique, et La Petitefleur, performeuse contorsionniste, présentent, à travers une performance solide et précise, un couple surprenant, sensuel et ténébreux. Heaven Genderfuck suit dans un numéro de boylesque enjoué, à la fois aguichant et clownesque.
Les quatre premières pièces nous mènent à l’apothéose que forment les deux dernières. Mélodie Martin Couture et Heidi Blais, femmes fortes suspendues par les cheveux, explorent la gémellité et l’élévation de l’âme à coups d’effets particulièrement soignés. Magnifique. Enfin, Roxy Torpedo et Dante nous laissent sans voix avec un numéro à la fois intime et grandiose où se mêlent le fétichisme du cuir et le shibari. Absolument envoûtant.
Ne manquent que la fumée, les verres qui tintent dans l’obscurité, l’afflux de sang dans les mains qui applaudissent et la chaleur émanant des éclairages, de la scène, du public et des corps…
Artistes de cirque : Valérie Doucet, Mélodie Martin Couture et Heidi Blais, Daïna Michaud et La Petitefleur. Performance : Heaven Genderfuck, Roxy Torpedo et Dante. Danse : DVD et Sonik Boom (Montréal Street Dancer). Éclairages : Lucie Bazzo. Une coproduction de Cirquantique et du Festival Phénomena disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 22 octobre 2020.
La folie poétique et contagieuse du Festival Phénomena est à toute épreuve et ce n’est pas une pandémie qui y changera quoi que ce soit. L’événement interdisciplinaire, fondé par le collectif Les Filles électriques et sa directrice artistique D. Kimm, bat son plein jusqu’au 23 octobre et célèbre sa neuvième édition sous le thème, bien choisi, de la résilience. La plupart des spectacles ont évidemment été transposés en ligne et en vidéo mais, pour garder vivante l’âme de cette manifestation annuelle d’artistes inclassables, deux performances ont été filmées à la Sala Rossa, son quartier général. Passons en revue quelques trouvailles.
Match
Petit plaisir cérébral : la marionnettiste réputée Marcelle Hudon et le musicien Bernard Falaise, à la feuille de route tout aussi impressionnante, se renvoient la balle dans une vidéo composée de quatre parties où chaque pièce est répétée deux fois, de même que chaque bande sonore, mais dans un ordre différent. L’ambiance est parfois menaçante et parfois ludique, selon la combinaison.
L’expérimentation, basée sur la relation entre musique et image, est attrayante et surréaliste, et surtout elle fonctionne : l’environnement sonore de Falaise modifie entièrement, d’une fois à l’autre, la tension présente dans chaque pièce au point que l’on oublie à l’occasion qu’il s’agit bien de la même.
C’est avec bonheur que l’on voit Hudon animer avec minutie les objets et les marionnettes de ses mains expertes. Le gros plan de son visage recouvert d’un masque de luchador mexicain restera un petit moment imprimé sur notre rétine.
À travers l’agonie d’un hanneton et sa tentative de réanimation avec un soufflet en origami, l’apparition d’un OVNI en carton dans une forêt et les évolutions de personnages créés par la marionnettiste, dans son studio, on devine facilement la grande complicité des deux artistes qui se sont visiblement bien amusé·es sur leurs terrains de jeu respectifs.
Match
Musique : Bernard Falaise. Marionnettes et théâtre d’ombres : Marcelle Hudon. Disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 20 octobre 2020.
Deaf performances Cabaret de performances sourdes
Vu son succès l’année dernière, le Deaf performances Cabaret de performances sourdes est de retour pour une deuxième année consécutive. Cette fois-ci, D. Kimm a accompagné trois artistes sourd·es dans la création de vidéo-poèmes en langue des signes québécoise. Mains de Hodan Youssouf, Mes chapitres magiques de Jennifer Manning et le très actuel COVID-19 à Montréal de Theara Yim nous plongent dans un univers où le corps en mouvement devient parole articulée, mais aussi canevas pour les images évoquées par ces interprètes qui ont trop peu souvent l’occasion de s’exprimer sur « scène ».
Le ton de COVID-19 à Montréal, dans lequel Theara Yim relate, par petites saynètes tirées du quotidien, l’arrivée du virus dans la métropole est à la fois lyrique et légèrement angoissant. La pièce permet surtout d’appréhender l’expérience de l’artiste dans cette situation que nous vivons, chacun·e, différemment.
Comme la performance précédente, Mes chapitres magiques est accompagné de sous-titres et d’animations en arrière-plan (l’effet fond d’écran Zoom est à travailler) qui reflètent les propos en langue des signes. Dans un poème proche de la danse, qui se répète dans la variation, Jennifer Manning marque la distinction entre entendre la musique du monde et ressentir sa beauté. Le refrain de ce poème traitant du mouvement de la Terre tient du rituel jubilatoire et on se prend à vouloir rejoindre l’artiste dans sa danse.
Avec Mains, Hodan Youssouf offre une création plus minimale, mais peut-être aussi plus assumée et plus complexe. Pas de sous-titres ici, ce qui pousse à se concentrer sur les mains. Le propos, ici, relève davantage d’une présentation de la créatrice, de son affirmation en tant que femme noire sourde, et des obstacles de la communication entre elle et le reste de sa famille. Une belle performance par une artiste qu’on aimerait beaucoup revoir.
COVID-19 à Montréal
Conception et interprétation : Theara Yim. Arts médiatiques : Sera Kassab. Œil extérieur : Pamela E Witcher. Caméra : Caroline Hayeur. Disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 19 octobre 2020.
Mes chapitres magiques
Conception et interprétation : Jennifer Manning. Arts médiatiques : Sera Kassab. Œil extérieur : Pamela E Witcher. Caméra : Caroline Hayeur. Disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 19 octobre 2020.
Mains
Conception et interprétation : Hodan Youssouf. Arts médiatiques : Sera Kassab. Œil extérieur : Pamela E Witcher. Caméra : Caroline Hayeur. Disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 19 octobre 2020.
Cabaret secret
Filmée à la Sala Rossa, cette revue de Cirquantique, coopérative de femmes créée en 2012 promouvant les artistes émergent·es du cirque et du burlesque, fait profondément regretter la fermeture des lieux physiques de représentation. Le public – idéalement adulte et plutôt averti – se régalera de six numéros empreints de sensualité décalée. Cabaret secret est un freak show comme on les aime, où l’inquiétante étrangeté côtoie la poésie et la transcendance. Une véritable réussite.
Valérie Doucet ouvre le bal avec un solo qui donne le ton. La contorsionniste surprend par sa délicatesse tout en travaillant les micromouvements, plus secs, qui déconstruisent l’amplitude de ses gestes. DVD et Sonic Boom, deux b-boys de la compagnie Montréal Street Dancer, proposent un duo de breakdance qui détend l’atmosphère. Toutes deux vêtues d’un masque de dentelle et d’un maillot noirs, jambes nues, cheveux tressés, Daïna Michaud, artiste de cirque et directrice artistique de Cirquantique, et La Petitefleur, performeuse contorsionniste, présentent, à travers une performance solide et précise, un couple surprenant, sensuel et ténébreux. Heaven Genderfuck suit dans un numéro de boylesque enjoué, à la fois aguichant et clownesque.
Les quatre premières pièces nous mènent à l’apothéose que forment les deux dernières. Mélodie Martin Couture et Heidi Blais, femmes fortes suspendues par les cheveux, explorent la gémellité et l’élévation de l’âme à coups d’effets particulièrement soignés. Magnifique. Enfin, Roxy Torpedo et Dante nous laissent sans voix avec un numéro à la fois intime et grandiose où se mêlent le fétichisme du cuir et le shibari. Absolument envoûtant.
Ne manquent que la fumée, les verres qui tintent dans l’obscurité, l’afflux de sang dans les mains qui applaudissent et la chaleur émanant des éclairages, de la scène, du public et des corps…
Cabaret secret
Artistes de cirque : Valérie Doucet, Mélodie Martin Couture et Heidi Blais, Daïna Michaud et La Petitefleur. Performance : Heaven Genderfuck, Roxy Torpedo et Dante. Danse : DVD et Sonik Boom (Montréal Street Dancer). Éclairages : Lucie Bazzo. Une coproduction de Cirquantique et du Festival Phénomena disponible sur le site web du Festival Phénomena jusqu’au 22 octobre 2020.