Depuis 15 ans, le Théâtre Talisman offre des traductions d’œuvres de dramaturges francophones aux publics anglophones à Montréal et en tournée. Catherine Chabot (Table rase/Clean Slate) et Sarah Berthiaume (Yukonstyle), pour ne nommer qu’elles, ont bénéficié de ce mandat axé sur l’ouverture à l’autre. Pour célébrer ses 15 ans, le Talisman a commandé, pour la première fois, une pièce bilingue aux autrices Hoda Adra et Kalale Dalton. Avec des résultats mitigés.
Tamara (Lesly Velazquez) et Beth (Emilee Veluz) sont deux voisines néo-montréalaises qui se sentent plus ou moins bien acceptées dans la société québécoise. La première est joueuse de basket-ball, la deuxième écrit une pièce sur les Filles du Roy. Les deux femmes sont elles-mêmes les personnages d’un spectacle que doivent créer les quatre anges d’Habibi – référence à la série télévisée des années 1970 Charlie’s Angels – et relèvent, ultimement, de la plume des véritables autrices qui interviennent aussi dans le récit.
Double mise en abyme, donc, autour de thèmes – dont chacun aurait mérité une pièce à lui seul – comme le féminisme, le multiculturalisme, la culture québécoise, le racisme et la réalité des femmes des minorités visibles. À trop embrasser…
L’écriture à quatre mains assume bien le brin de folie de cette proposition, s’avérant tantôt incisive, comique à d’autres moments et, quelques fois, poétique. Le texte soulève des questions sur le féminisme intersectionnel, l’identité et la diversité autant qu’il critique la Loi 21 ou qu’il célèbre les différences culturelles trempées dans le hummus, cette « sauce poutine végane ».
Le récit fragmenté s’inscrit dans une sorte de pièce à sketchs. Il part dans plusieurs directions, certaines plus ou moins atteintes d’ailleurs. Quoique drôle, bien écrite et bien dirigée, la scène de la chasse-galerie, par exemple, nous éloigne passablement des thèmes principaux. Tandis que d’autres, comme celle de la saine colère destructrice des anges contre les diktats contradictoires et tokénistes d’Habibi (personnage invisible, mais audible, qui veut que ses anges soient « politiquement engagés, mais sans parti pris »), visent en plein dans le mille.
Quadrature du cercle
Avec le recul, on constate la présence d’un propos nuancé (trop ?), mettant en scène les visions de personnages qui s’opposent, mais tentant quand même de réussir la quadrature du cercle. Cependant, les dialogues et les monologues font mouche quand ils décrivent de façon réaliste le quotidien ardu des membres de la diversité culturelle.
Les références historiques apparaissent superflues et les échanges sur le fond des enjeux soulevés, trop parcellaires. Chacune des répliques suivantes auraient mérité une attention plus grande : « On ne se réveille pas le matin en pensant : oh! que je suis diverse aujourd’hui ! » ; « Votre vécu est intéressant si et seulement si il représente une richesse pour le Québec. » ; « Comment t’as appris que t’étais une fille la première fois ? Quand j’ai été harcelée. »
Heureusement, la mise en scène de Sophie Gee est inventive malgré la distanciation sociale, les quatre interprètes – auxquelles s’ajoutent Chadia Kikondjo, Aida Sabra, et France Rolland (voix d’Habibi) –, franchement énergiques, la scénographie, simple et efficace, les chorégraphies de Claudia Chan Tak, de qualité, l’utilisation de la vidéo, fort bienvenue et les costumes de Sophie El Assaad, délirants. Soulignons leur mélange amusant de motifs multiculturels fusionnés avec une esthétique bédéesque dans un style « superhéroïnes Power Rangers ».
En diffusion web, ce spectacle de plus de 100 minutes souffre de longueurs, à cause, notamment, d’une prise de son parfois bancale, et malgré le fait que les angles de caméra changent tout au long de la pièce. Comme spectateurs et spectatrices, nous sommes placé·es devant l’impossibilité, pour les autrices, de tisser et d’attacher parfaitement tous les sujets ; capables d’autodérision, elles en rient elles-mêmes dans le texte.
Par contre, il se dégage ceci d’important à la fin de cette proposition plutôt sympathique : le constat des réelles difficultés, pernicieuses et par ailleurs bien documentées, que vivent les femmes des minorités visibles au Québec.
Au moment où le gouvernement québécois refuse de reconnaître le racisme systémique et le droit fondamental des Premières Nations à s’occuper de leurs propres enfants, Habibi’s Angels : Commission Impossible nous dit que le chemin sera long avant de contrecarrer les clichés, l’indifférence, voire le mépris qui affligent depuis trop longtemps celles qui ne sont pas nées ici, n’ont pas un patronyme « de souche » ou sont autochtones, celles qui se sentent toujours exclues dans une société qui se targue d’être accueillante et tolérante, et où, finalement, « deux solitudes en ont engendré mille ».
Texte : Hoda Adra et Kalale Dalton. Traduction : Gabrielle Chapdelaine et Simon Brown. Mise en scène : Sophie Gee. Chorégraphies : Claudia Chan Tak. Scénographie : Lyne Paquette. Éclairages : Leticia Hamaoui. Costumes : Sophie El Assaad. Bande son : Marie Elena Stoodley. Vidéo : Amelia Scott. Régie : Alessandra Tom. Dramaturge : Josianne Dulong Savignac. Assistance scénographique : Zoe Roux. Direction de production : Emmanuelle Brousseau. Direction technique : Sophie Bergeron. Avec Chadia Kikondjo, Aida Sabra, Lesly Velazquez, Emilee Veluz et France Rolland (voix). Une production de Taslisman Theatre disponible en webdiffusion les 2 et 6 décembre 2020.
Depuis 15 ans, le Théâtre Talisman offre des traductions d’œuvres de dramaturges francophones aux publics anglophones à Montréal et en tournée. Catherine Chabot (Table rase/Clean Slate) et Sarah Berthiaume (Yukonstyle), pour ne nommer qu’elles, ont bénéficié de ce mandat axé sur l’ouverture à l’autre. Pour célébrer ses 15 ans, le Talisman a commandé, pour la première fois, une pièce bilingue aux autrices Hoda Adra et Kalale Dalton. Avec des résultats mitigés.
Tamara (Lesly Velazquez) et Beth (Emilee Veluz) sont deux voisines néo-montréalaises qui se sentent plus ou moins bien acceptées dans la société québécoise. La première est joueuse de basket-ball, la deuxième écrit une pièce sur les Filles du Roy. Les deux femmes sont elles-mêmes les personnages d’un spectacle que doivent créer les quatre anges d’Habibi – référence à la série télévisée des années 1970 Charlie’s Angels – et relèvent, ultimement, de la plume des véritables autrices qui interviennent aussi dans le récit.
Double mise en abyme, donc, autour de thèmes – dont chacun aurait mérité une pièce à lui seul – comme le féminisme, le multiculturalisme, la culture québécoise, le racisme et la réalité des femmes des minorités visibles. À trop embrasser…
L’écriture à quatre mains assume bien le brin de folie de cette proposition, s’avérant tantôt incisive, comique à d’autres moments et, quelques fois, poétique. Le texte soulève des questions sur le féminisme intersectionnel, l’identité et la diversité autant qu’il critique la Loi 21 ou qu’il célèbre les différences culturelles trempées dans le hummus, cette « sauce poutine végane ».
Le récit fragmenté s’inscrit dans une sorte de pièce à sketchs. Il part dans plusieurs directions, certaines plus ou moins atteintes d’ailleurs. Quoique drôle, bien écrite et bien dirigée, la scène de la chasse-galerie, par exemple, nous éloigne passablement des thèmes principaux. Tandis que d’autres, comme celle de la saine colère destructrice des anges contre les diktats contradictoires et tokénistes d’Habibi (personnage invisible, mais audible, qui veut que ses anges soient « politiquement engagés, mais sans parti pris »), visent en plein dans le mille.
Quadrature du cercle
Avec le recul, on constate la présence d’un propos nuancé (trop ?), mettant en scène les visions de personnages qui s’opposent, mais tentant quand même de réussir la quadrature du cercle. Cependant, les dialogues et les monologues font mouche quand ils décrivent de façon réaliste le quotidien ardu des membres de la diversité culturelle.
Les références historiques apparaissent superflues et les échanges sur le fond des enjeux soulevés, trop parcellaires. Chacune des répliques suivantes auraient mérité une attention plus grande : « On ne se réveille pas le matin en pensant : oh! que je suis diverse aujourd’hui ! » ; « Votre vécu est intéressant si et seulement si il représente une richesse pour le Québec. » ; « Comment t’as appris que t’étais une fille la première fois ? Quand j’ai été harcelée. »
Heureusement, la mise en scène de Sophie Gee est inventive malgré la distanciation sociale, les quatre interprètes – auxquelles s’ajoutent Chadia Kikondjo, Aida Sabra, et France Rolland (voix d’Habibi) –, franchement énergiques, la scénographie, simple et efficace, les chorégraphies de Claudia Chan Tak, de qualité, l’utilisation de la vidéo, fort bienvenue et les costumes de Sophie El Assaad, délirants. Soulignons leur mélange amusant de motifs multiculturels fusionnés avec une esthétique bédéesque dans un style « superhéroïnes Power Rangers ».
En diffusion web, ce spectacle de plus de 100 minutes souffre de longueurs, à cause, notamment, d’une prise de son parfois bancale, et malgré le fait que les angles de caméra changent tout au long de la pièce. Comme spectateurs et spectatrices, nous sommes placé·es devant l’impossibilité, pour les autrices, de tisser et d’attacher parfaitement tous les sujets ; capables d’autodérision, elles en rient elles-mêmes dans le texte.
Par contre, il se dégage ceci d’important à la fin de cette proposition plutôt sympathique : le constat des réelles difficultés, pernicieuses et par ailleurs bien documentées, que vivent les femmes des minorités visibles au Québec.
Au moment où le gouvernement québécois refuse de reconnaître le racisme systémique et le droit fondamental des Premières Nations à s’occuper de leurs propres enfants, Habibi’s Angels : Commission Impossible nous dit que le chemin sera long avant de contrecarrer les clichés, l’indifférence, voire le mépris qui affligent depuis trop longtemps celles qui ne sont pas nées ici, n’ont pas un patronyme « de souche » ou sont autochtones, celles qui se sentent toujours exclues dans une société qui se targue d’être accueillante et tolérante, et où, finalement, « deux solitudes en ont engendré mille ».
Habibi’ Angels : Commission impossible
Texte : Hoda Adra et Kalale Dalton. Traduction : Gabrielle Chapdelaine et Simon Brown. Mise en scène : Sophie Gee. Chorégraphies : Claudia Chan Tak. Scénographie : Lyne Paquette. Éclairages : Leticia Hamaoui. Costumes : Sophie El Assaad. Bande son : Marie Elena Stoodley. Vidéo : Amelia Scott. Régie : Alessandra Tom. Dramaturge : Josianne Dulong Savignac. Assistance scénographique : Zoe Roux. Direction de production : Emmanuelle Brousseau. Direction technique : Sophie Bergeron. Avec Chadia Kikondjo, Aida Sabra, Lesly Velazquez, Emilee Veluz et France Rolland (voix). Une production de Taslisman Theatre disponible en webdiffusion les 2 et 6 décembre 2020.