Revoir des espaces scénographiques, adapter des ambiances sonores, troquer la représentation pour la captation… Ce sont quelques-uns des nombreux défis auxquels ont dû faire face les artisans et artisanes de la scène au cours de la dernière année. Les concepteurs et conceptrices Cédric Delorme-Bouchard, Audrey Thériault et Odile Gamache témoignent.
Force est de constater que bien des choses ont changé au fil des derniers mois, ce qui était problématique au printemps ne l’étant plus nécessairement et vice versa. « Entre le début de la pandémie, où on apprenait tous et toutes un peu à découvrir au jour le jour ce qui se passait, et aujourd’hui, un an plus tard, il y a une nouvelle réalité et on commence à voir comment elle fonctionne. », explique d’emblée Cédric Delorme-Bouchard, concepteur lumière, scénographe et metteur en scène travaillant actuellement sur diverses productions québécoises, dont Corps titan (titre de survie) et Ceux qui se sont évaporés au Théâtre d’Aujourd’hui.
Cette nouvelle réalité, il l’expérimente depuis l’automne et, dans son cas, les choses se dessinent plutôt bien : « Je suis assez positif et je pense qu’on le vit tous et toutes très différemment. Je suis très heureux et très chanceux de pouvoir continuer à créer et, depuis le mois de septembre, j’ai trouvé un nouveau rythme de création normal. Ce temps d’arrêt a aussi donné l’occasion de penser à des projets auxquels on n’aurait pas nécessairement songé ».
Garder la foi
La scénographe et conceptrice de costumes, Odile Gamache, affirme qu’un des plus importants défis de la création en ces temps de pandémie est l’adaptation. Par exemple, elle a dû modifier à maintes reprises le décor de la pièce Seeker, qui devait être présentée à la Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui et qui a été déplacée à la salle principale en raison des contraintes liées à la COVID-19 : « J’ai dû passer d’un petit à un grand espace, avec la même jauge de 70 personnes. On a donc décidé de revoir la scénographie et de faire quelque chose de complètement différent. On a opté pour un décor bifrontal super vertical et, finalement, le théâtre est revenu sur sa décision. En ce moment même, on se trouve à refaire la conception une autre fois ». Elle ajoute : « Ce ne sont pas des deuils de projets, ce sont plus des deuils de mindset. C’est ça qui est le plus énergivore. »
Il est aussi parfois difficile pour les travailleurs et travailleuses de la scène de devoir intégrer chaque nouvelle contrainte. « Je me souviens d’un pique-nique au début de la pandémie où les techniciens et techniciennes autour de moi commençaient à se réorienter et parlaient de changer de carrière. Il y a eu toute une vague de gens qui doutaient de leur place, et c’était quand même inquiétant de sentir cette grande fragilité-là les troubler. Dans mon cas, l’été a été l’occasion de réaffirmer ma foi, confie Gamache. Je me suis redemandée c’était quoi mon but dans la société et s’il fallait que je me réoriente pour aller travailler dans des CHSLD, mais tout ce chemin-là m’a fait prendre conscience du caractère essentiel de l’art. Je me suis dit que j’allais continuer, peu importe ce qu’il allait advenir. »
Plusieurs de ces esprits créatifs poursuivent donc leurs activités avec la motivation et l’espoir de jours meilleurs. Ils se servent du temps à leur disposition pour parfaire leurs projets et persistent à entretenir le dialogue avec les metteurs et metteuses en scène. En ce qui concerne la récipiendaire du Prix Françoise-Graton, elle a eu l’occasion de travailler à l’élaboration du spectacle Le Magasin avec Philippe Cyr, qui devrait prendre vie à l’Usine C en 2021-2022 et qui se veut principalement une création scénographique.
Et si nombre de spectacles ont été reportés à une date ultérieure, d’autres ont pris vie sous forme de webdiffusion ou de balado, une nouvelle réalité à laquelle les concepteurs et conceptrices ont également dû s’habituer. « J’ai eu la chance de participer à des projets « spécial pandémie », mais je préfère de loin travailler à créer une œuvre qui sera diffusée devant public et qui verra le jour plus tard. Je me raccroche beaucoup à cette vision que le Prospero a voulu amener cette année, soit de prioriser le travail des artistes plutôt que de vouloir à tout prix nourrir ses spectateurs et spectatrices, même si ce sont ceux et celles qui garantissent un certain revenu au théâtre », indique Delorme-Bouchard.
C’est une façon de voir les choses que partage également Odile Gamache : « Le plus tough, c’est que tu dois quand même t’assurer de concevoir un espace qui peut accueillir du public parce que c’est la condition que pose le gouvernement pour l’obtention de financement. Moi, j’aurais aimé ça, tant qu’à essayer de faire du web, complètement plonger là-dedans, puis voir ce qu’on peut y trouver et ce qu’on peut apprendre. Mais on se retrouve un peu à faire du demi-théâtre, demi-captation parce qu’encore une fois, on n’a pas de décision claire à savoir si on peut accueillir du public ou non. Tout devient vraiment très « demi-mesure » et c’est ça qui est le plus difficile. J’aurais fait de la recherche toute l’année, ou j’aurais fait du web ou de la réalité virtuelle avec une gang de scénographes pour voir ce qu’il est possible d’en tirer. »
Et le futur, lui ?
« Je pense que la roue va reprendre, mais il va falloir être patient », soutient la conceptrice sonore Audrey Thériault. « En ce moment, on est chanceux et chanceuses. On a des capitaines de théâtre qui tiennent le flambeau et aussitôt qu’ils et elles ont une chance de voir s’il y a moyen de transformer un projet, ils et elles le font. Mon souhait, c’est qu’on se rappelle de ce qu’on a appris de la pandémie. Personnellement, collectivement, mondialement, je nous souhaite de nous souvenir des apprentissages qu’on aura faits pendant deux ans. Probablement que ça va inspirer des artistes à créer autrement et à adopter de nouvelles façons de faire. » Pour le moment, elle poursuit l’adaptation sonore du Magicien d’Oz, qui sera présenté devant public en décembre 2021 par le Théâtre Advienne que pourra. Elle collabore aussi à quelques projets du Théâtre de l’Œil Ouvert. Elle se réjouit donc de pouvoir continuer à produire du matériel scolaire qui rejoindra les jeunes.
C’est le spectacle Intérieur de Maurice Maeterlinck qu’a très hâte de voir prendre vie (à l’Usine C) Cédric Delorme-Bouchard, même s’il sait que ce n’est pas imminent, considérant l’incertitude dans laquelle est plongé le milieu culturel : « C’est un casse-tête pour les théâtres de rassembler tous les acteurs et toutes les actrices d’une œuvre en chantier. C’est difficile de savoir si on en fera partie ou non. Est-ce que je vais être en mesure de fournir la même somme de temps et d’implication pour un même projet ? Est-ce qu’on va continuer de travailler avec les mêmes gens ? »
Certes, ce ne sera pas évident pour les théâtres de trouver le bon moment pour réunir à nouveau les équipes de travail originales, mais ils tenteront sans aucun doute le tout pour le tout pour y arriver, et useront de persévérance afin de mettre en valeur le talent des nombreux créateurs et nombreuses créatrices de la province. Comme le résume si bien Odile Gamache : « si les artistes, en ce moment, ne croient pas en leur médium, ne tiennent pas leur bateau, qui va le faire ? ».
Revoir des espaces scénographiques, adapter des ambiances sonores, troquer la représentation pour la captation… Ce sont quelques-uns des nombreux défis auxquels ont dû faire face les artisans et artisanes de la scène au cours de la dernière année. Les concepteurs et conceptrices Cédric Delorme-Bouchard, Audrey Thériault et Odile Gamache témoignent.
Force est de constater que bien des choses ont changé au fil des derniers mois, ce qui était problématique au printemps ne l’étant plus nécessairement et vice versa. « Entre le début de la pandémie, où on apprenait tous et toutes un peu à découvrir au jour le jour ce qui se passait, et aujourd’hui, un an plus tard, il y a une nouvelle réalité et on commence à voir comment elle fonctionne. », explique d’emblée Cédric Delorme-Bouchard, concepteur lumière, scénographe et metteur en scène travaillant actuellement sur diverses productions québécoises, dont Corps titan (titre de survie) et Ceux qui se sont évaporés au Théâtre d’Aujourd’hui.
Cette nouvelle réalité, il l’expérimente depuis l’automne et, dans son cas, les choses se dessinent plutôt bien : « Je suis assez positif et je pense qu’on le vit tous et toutes très différemment. Je suis très heureux et très chanceux de pouvoir continuer à créer et, depuis le mois de septembre, j’ai trouvé un nouveau rythme de création normal. Ce temps d’arrêt a aussi donné l’occasion de penser à des projets auxquels on n’aurait pas nécessairement songé ».
Garder la foi
La scénographe et conceptrice de costumes, Odile Gamache, affirme qu’un des plus importants défis de la création en ces temps de pandémie est l’adaptation. Par exemple, elle a dû modifier à maintes reprises le décor de la pièce Seeker, qui devait être présentée à la Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui et qui a été déplacée à la salle principale en raison des contraintes liées à la COVID-19 : « J’ai dû passer d’un petit à un grand espace, avec la même jauge de 70 personnes. On a donc décidé de revoir la scénographie et de faire quelque chose de complètement différent. On a opté pour un décor bifrontal super vertical et, finalement, le théâtre est revenu sur sa décision. En ce moment même, on se trouve à refaire la conception une autre fois ». Elle ajoute : « Ce ne sont pas des deuils de projets, ce sont plus des deuils de mindset. C’est ça qui est le plus énergivore. »
Il est aussi parfois difficile pour les travailleurs et travailleuses de la scène de devoir intégrer chaque nouvelle contrainte. « Je me souviens d’un pique-nique au début de la pandémie où les techniciens et techniciennes autour de moi commençaient à se réorienter et parlaient de changer de carrière. Il y a eu toute une vague de gens qui doutaient de leur place, et c’était quand même inquiétant de sentir cette grande fragilité-là les troubler. Dans mon cas, l’été a été l’occasion de réaffirmer ma foi, confie Gamache. Je me suis redemandée c’était quoi mon but dans la société et s’il fallait que je me réoriente pour aller travailler dans des CHSLD, mais tout ce chemin-là m’a fait prendre conscience du caractère essentiel de l’art. Je me suis dit que j’allais continuer, peu importe ce qu’il allait advenir. »
Plusieurs de ces esprits créatifs poursuivent donc leurs activités avec la motivation et l’espoir de jours meilleurs. Ils se servent du temps à leur disposition pour parfaire leurs projets et persistent à entretenir le dialogue avec les metteurs et metteuses en scène. En ce qui concerne la récipiendaire du Prix Françoise-Graton, elle a eu l’occasion de travailler à l’élaboration du spectacle Le Magasin avec Philippe Cyr, qui devrait prendre vie à l’Usine C en 2021-2022 et qui se veut principalement une création scénographique.
Et si nombre de spectacles ont été reportés à une date ultérieure, d’autres ont pris vie sous forme de webdiffusion ou de balado, une nouvelle réalité à laquelle les concepteurs et conceptrices ont également dû s’habituer. « J’ai eu la chance de participer à des projets « spécial pandémie », mais je préfère de loin travailler à créer une œuvre qui sera diffusée devant public et qui verra le jour plus tard. Je me raccroche beaucoup à cette vision que le Prospero a voulu amener cette année, soit de prioriser le travail des artistes plutôt que de vouloir à tout prix nourrir ses spectateurs et spectatrices, même si ce sont ceux et celles qui garantissent un certain revenu au théâtre », indique Delorme-Bouchard.
C’est une façon de voir les choses que partage également Odile Gamache : « Le plus tough, c’est que tu dois quand même t’assurer de concevoir un espace qui peut accueillir du public parce que c’est la condition que pose le gouvernement pour l’obtention de financement. Moi, j’aurais aimé ça, tant qu’à essayer de faire du web, complètement plonger là-dedans, puis voir ce qu’on peut y trouver et ce qu’on peut apprendre. Mais on se retrouve un peu à faire du demi-théâtre, demi-captation parce qu’encore une fois, on n’a pas de décision claire à savoir si on peut accueillir du public ou non. Tout devient vraiment très « demi-mesure » et c’est ça qui est le plus difficile. J’aurais fait de la recherche toute l’année, ou j’aurais fait du web ou de la réalité virtuelle avec une gang de scénographes pour voir ce qu’il est possible d’en tirer. »
Et le futur, lui ?
« Je pense que la roue va reprendre, mais il va falloir être patient », soutient la conceptrice sonore Audrey Thériault. « En ce moment, on est chanceux et chanceuses. On a des capitaines de théâtre qui tiennent le flambeau et aussitôt qu’ils et elles ont une chance de voir s’il y a moyen de transformer un projet, ils et elles le font. Mon souhait, c’est qu’on se rappelle de ce qu’on a appris de la pandémie. Personnellement, collectivement, mondialement, je nous souhaite de nous souvenir des apprentissages qu’on aura faits pendant deux ans. Probablement que ça va inspirer des artistes à créer autrement et à adopter de nouvelles façons de faire. » Pour le moment, elle poursuit l’adaptation sonore du Magicien d’Oz, qui sera présenté devant public en décembre 2021 par le Théâtre Advienne que pourra. Elle collabore aussi à quelques projets du Théâtre de l’Œil Ouvert. Elle se réjouit donc de pouvoir continuer à produire du matériel scolaire qui rejoindra les jeunes.
C’est le spectacle Intérieur de Maurice Maeterlinck qu’a très hâte de voir prendre vie (à l’Usine C) Cédric Delorme-Bouchard, même s’il sait que ce n’est pas imminent, considérant l’incertitude dans laquelle est plongé le milieu culturel : « C’est un casse-tête pour les théâtres de rassembler tous les acteurs et toutes les actrices d’une œuvre en chantier. C’est difficile de savoir si on en fera partie ou non. Est-ce que je vais être en mesure de fournir la même somme de temps et d’implication pour un même projet ? Est-ce qu’on va continuer de travailler avec les mêmes gens ? »
Certes, ce ne sera pas évident pour les théâtres de trouver le bon moment pour réunir à nouveau les équipes de travail originales, mais ils tenteront sans aucun doute le tout pour le tout pour y arriver, et useront de persévérance afin de mettre en valeur le talent des nombreux créateurs et nombreuses créatrices de la province. Comme le résume si bien Odile Gamache : « si les artistes, en ce moment, ne croient pas en leur médium, ne tiennent pas leur bateau, qui va le faire ? ».