Opinion

Le plus long entracte de ma vie

© Patrice Tremblay

Aujourd’hui, j’ai versé une larme parce que j’ai mal à mon théâtre.

J’m’ennuie de mon vieil ami de toujours.
J’m’ennuie de l’odeur de la scène, de l’aveuglement causé par les projecteurs, de vivre un moment éphémère avec mes partenaires de jeu et avec un public.

J’m’ennuie qu’on me dise de déballer mes bonbons avant que ça commence.
J’m’ennuie d’aller voir des gens exposer toute leur vulnérabilité, leur cœur et leur travail devant une salle. J’m’ennuie de trouver une pièce trop longue et de ne plus savoir comment me placer, sans déranger personne, sur mon siège où je n’ai pas assez d’espace pour mes jambes de 8 km.

J’m’ennuie de rire, de pleurer, de vivre seulement par cette rencontre.

J’m’ennuie des textes théâtraux. J’m’ennuie de voir autre chose que des séries sur Netflix pis des films sur mon divan, qui est finalement moins confortable que j’pensais, à force d’être assise dessus tout l’temps.

J’m’ennuie des silences puissants qui veulent tout dire. J’m’ennuie des costumes, des décors, des éclairages, de la musique, qui me font entrer dans un autre univers, l’instant d’une soirée.

J’m’ennuie d’admirer des gens qui sont incroyables sur scène.
J’m’ennuie d’avoir le trac.
J’m’ennuie de jouer avec le public.
J’m’ennuie de jouer avec mes collègues.
J’m’ennuie de dépasser mes limites, de croire que quelque chose est impossible et de travailler si fort que je finis par réussir.
J’m’ennuie de sentir mon corps vibrer.
J’m’ennuie de dire les mots des autres.

Le théâtre me manque.
La scène me manque.
Le public me manque.

Oui, on est capable de se réinventer en ligne, mais ce ne sera jamais pareil à ce qu’on peut vivre lors d’un spectacle en vrai. L’écran crée une barrière, un mur, où certaines choses ne peuvent pas être reçues. C’est exactement la même différence entre faire un souper de Noël en live et en faire un via une plateforme de visioconférence. Il manque le contact humain. Un acteur, une actrice a besoin de jouer avec son public, de ce lien direct avec lui. C’est ce qui crée la magie sur scène : entendre la respiration d’une salle comble, avoir des rires, des pleurs ou même la sonnerie d’un téléphone mal fermé. Ce sont de petites choses comme celles-là qui font en sorte qu’à chaque représentation, chaque soir, c’est différent. Pour être honnête, je trouve ça beau et ça me manque.

Les arts vivants nous font vivre des expériences qui sortent de l’ordinaire parce que chaque instant est unique et vrai.
Les arts vivants rassemblent des groupes de gens qui ne se seraient peut-être jamais croisés, mais qui, pour le temps d’une soirée, sont ensemble.
Les arts vivants permettent une immersion dans un autre monde, un autre univers, une autre époque.
Les arts vivants sont différents et c’est pour ça qu’on les aime tant.

Se faire aller la créativité alors qu’on est enfermé dans les mêmes quatre murs pendant une année, ce n’est pas facile. Y’a eu des moments sombres où je ne voyais pas d’issue, où je ne trouvais pas l’utilité d’imaginer un projet qui pourrait être joué, parce que dieu seul sait quand est-ce que nous aurons ce privilège à nouveau. Par contre, chacune de mes noirceurs venait avec une renaissance lumineuse. Comme un deuxième souffle qui rallume ma flamme pour me permettre de continuer d’y croire et d’avancer. Présentement, je ne joue pas sur une scène, mais j’y pense vraiment très fort et j’écris. C’est mon moyen de continuer de créer sans me sentir limitée.

J’ai hâte que ça recommence. J’espère que ça se peut. Sinon, je voudrais qu’on se fabrique des armures de plexiglas pour qu’on puisse s’enfermer tous et toutes ensemble en sécurité. Je voudrais qu’on s’enroule dans des enveloppes de pellicule plastique pour se protéger des postillons d’émotions d’acteurs et d’actrices en manque de jeu. Je voudrais qu’on devienne des astronautes anti-virus à la recherche d’arts vivants.

J’ai hâte de voir tout ce que les gens n’ont pas pu dire au cours de la dernière année, artistiquement parlant, même si je dois me dissoudre dans le Purell juste avant.

Je sens que ça va être beau, fort et vraiment émouvant.

J’nous aime, j’vous aime.
À bientôt, j’espère.

Raphaëlle Cyr-Bayeur

À propos de

Raphaëlle Cyr-Bayeur est une jeune comédienne ayant complété une formation en interprétation à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM en 2020. Elle travaille présentement sur divers projets artistiques.