Entrevues

Théâtre et pandémie : Pendant ce temps en Ontario…

© Courtoisie

Au Québec, les résidences et les laboratoires de création en présentiel ont atténué quelque peu les effets de la crise pandémique sur la santé mentale et financière des artistes et des artisan·es de la scène. Il en va autrement en Ontario. Portrait du théâtre franco-ontarien au pays de Doug Ford.

Les communautés franco-ontariennes se battent depuis toujours pour maintenir et renforcer leurs institutions. L’élection du gouvernement conservateur de Ford a jeté un voile opaque sur les espoirs de la minorité linguistique de la province. Et la crise pandémique ajoute une couche supplémentaire de vives inquiétudes dans le milieu du théâtre.

« Le gouvernement Trudeau a mis l’épaule à la roue depuis son arrivée en poste pour les artistes. Même chose au niveau municipal, mais du côté du gouvernement de Doug Ford, il y a une incompréhension totale. Le premier ministre nous voit comme un village d’irréductibles Gaulois dans sa province », confie Pierre-Antoine Lafon-Simard, metteur en scène et directeur artistique du Théâtre du Trillium à Ottawa.

La directrice artistique du Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO), à Sudbury, Marie-Pierre Proulx, abonde dans le même sens. « En Ontario, c’est un poids deux mesures. Les tournages se font partout, mais pour ce qui est des arts de la scène, c’est interdit. Depuis le début, au TNO, on s’est montré·es patient·es, mais on se sent paralysé·es. On ne peut pas grand-chose pour faire avancer les projets. Ce qu’on entend de nos associations, c’est qu’il n’y a même pas de dialogue avec le gouvernement. »

La dramaturge Mishka Lavigne a eu un peu plus de chance puisqu’elle travaille dans les deux langues. Elle rappelle, cependant, que le Conseil des arts de l’Ontario a subi plusieurs coupes dans son budget sous l’actuel gouvernement. La crise aura des conséquences à long terme sur les programmations théâtrales, un effet domino qui pourrait durer de cinq à dix ans, selon elle.

Sa nouvelle pièce Copeaux (Prix Jacques-Poirier 2021 du Salon du livre de l’Outaouais), présentée quelques soirs l’an dernier avant le confinement, risque de ne pas être reprise et sa résidence d’écriture à Banff a été annulée, mais elle a reçu un soutien financier du CBC Creative Relief Fund, un programme qui n’existe pas à Radio-Canada.

« L’appel d’offres a reçu 9 000 projets, mais seulement 120 ont été retenus, explique-t-elle. C’est de la scénarisation pour un pilote de série télévisée. Je fais également des traductions et des productions de radio numérique. J’ai envoyé aussi une demande de subvention pour un nouveau grand projet. En tant qu’autrice, je me retrouve dans une situation où je ne suis pas en danger contrairement aux concepteurs, conceptrices, technicien·nes ou comédien·nes. On les a oublié·es. »

© Scène nationale du son

Changer de métier ?

Cette situation est la même au Québec, ce qui en a poussé certain·es à mettre de côté leur pratique artistique. Dans le petit marché franco-ontarien, on s’en doute, les solutions ne tombent pas du ciel.

« La crise a été une claque en pleine face, avoue le comédien Jonathan Charlebois qui, heureusement, œuvre aussi comme menuisier. Je me suis dit que j’étais loin d’être essentiel. Je me suis remis en question. Est-ce que mon métier va vraiment m’amener quelque part ? Si on est capable de vivre un an sans le théâtre, qu’est-ce qui va se passer avec le financement des arts. Pour moi, ça reste un besoin le fait de travailler en groupe et de jouer sur scène. »

Pierre-Antoine Lafon-Simard partage ce questionnement. Il songe même à présenter un festival de films d’art. Il se demande, par ailleurs, comment un groupe d’individus qui consacrent leur vie à raconter des histoires peut se transformer en OBNL à caractère social avec des calendriers qui changent tous les jours. « J’ai une responsabilité sociale. Durant la pandémie, je me suis transformé en bureau de soutien pour près d’une centaine d’artistes de la région puisqu’ils et elles se trouvent sur nos carnets de paie : artistes et artisan·es, barmans, barmaids, placiers, placières technicien·nes. C’est tout un écosystème, auquel on ne pense pas toujours, qui s’est arrêté et que Netflix ne peut pas remplacer. »

Les théâtres ontariens, comme au Québec, ont pu rouvrir pendant quelques semaines l’automne dernier. Le reste du temps, la créativité des artistes aura permis de respirer un peu : capsules de laboratoire théâtral à la radio, cabarets extérieurs, activités virtuelles de contes pour des classes du primaire.

Même si, à Sudbury, la communauté francophone peut se réjouir de la construction d’un centre culturel qui regroupera plusieurs organismes œuvrant en français, les nuages s’accumulent dans le ciel théâtral.

« Nos lectures de textes en chantier ont représenté un vent de fraîcheur et nous ont permis de voir que si l’art continue, cela fait du bien à tout le monde, note Marie-Pierre Proulx. On essaie d’être créatifs et créatives avec les moyens dont on dispose. Beaucoup de nos artistes ont d’autres emplois, comme animateurs ou animatrices culturel·les ou dans la restauration. Ce qui m’inquiète davantage, c’est l’avenir. Que se passera-t-il dans un an ou deux quand ce sera le temps de renouveler les subventions au fonctionnement ? Est-ce qu’on devra faire face à des coupes difficiles ? »

Après la pandémie

Jonathan Charlebois a profité de la pandémie pour finir son baccalauréat en théâtre à l’Université d’Ottawa. Éternel optimiste, il croyait que la crise ne durerait pas longtemps, il s’est donc consacré à des projets personnels d’écriture, entre autres pour une websérie qui va se tourner « j’ignore quand dans les prochaines années. » L’incertitude se fait plus lourde avec le temps qui passe. « Je connais des collègues qui ont commencé un travail à temps complet dans une usine, mais qui, si ils ou elles se faisaient offrir un contrat de jeu, le prendraient. Des gens me disent de changer de métier, mais je trouve que ce serait ridiculiser l’art que je pratique. J’ai construit un chalet dans les cinq dernières années avec du matériel réutilisé et j’y ai passé plus d’un mois pour travailler sur mes propres projets. Le stress de la scène est parti, mais là, j’ai hâte de le retrouver en maudit. »

Le combat franco-ontarien se déroule sur plusieurs fronts à la fois, dominé, comme tous les autres, par des questions d’argent. Pierre-Antoine Lafon-Simard, qui jouit d’une résidence de création au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, espère que le public sera « électrifié » lors d’un éventuel retour.

« Je crois que les gens vont vouloir sortir de la maison, mais la crise économique qui va suivre la pandémie risque de les garder devant le petit écran ou, au théâtre, devant des vedettes, qu’ils voient à la télé et qui jouent dans une dramaturgie confortable. C’est tout ce qui est contemporain, et les jeunes, qui risquent d’encaisser. »

En outre, comme la passion identitaire des Franco-Ontarien·nes s’est amenuisée avec le temps, il estime que le public misera de moins en moins sur l’inconnu, le choquant, le dangereux. « Ma crainte, et on le voit dans le discours ambiant, c’est que beaucoup de gens tournent à droite. Le trumpisme reste fort, même ici. C’est une idéologie qui pose la question : à quoi ça sert un artiste et pourquoi le subventionner ? J’espère que les conservateurs ne retourneront pas au pouvoir. Notre destin est extrêmement lié à la politique en raison des crises qui s’en viennent. Je ne suis pas sûr que la culture va être un enjeu valorisé. C’est particulièrement vrai pour le théâtre franco-ontarien. »