Les mots chargés de Michel Tremblay résonnent dans la salle de spectacle du Théâtre du Rideau Vert. Des mots à la fois cruels et beaux qui livrent sans détour la vérité d’une famille modeste et, en apparence, sans histoire. Mais dans cette production, les émotions que ces mots peuvent contenir ne retentissent que trop faiblement, ce qui ne rend pas justice à cette œuvre phare.
Après une courte accroche dont le sens sera compris ultérieurement, se dévoile un décor qui ne trahit pas d’emblée l’époque dans laquelle l’action se déroule, mais plutôt la condition sociale des protagonistes. Le rose orangé côtoie le bleu gris à travers des strates qui forment une double pièce aux allures de caverne tantôt froide, tantôt chaleureuse. Fébrile, une mère attend de pied ferme son fils. Elle veut parler avec lui. Quelques jours plus tôt, son Claude, qui écrit depuis l’enfance, lui a fait lire sa toute première œuvre théâtrale. Dans ce drame inventé, la mère a reconnu son nom, sa robe qui se confond aux murs du logement, sa fille et puis son mari. Pour le reste, soit le discours, la psychologie et l’intrigue, elle réfute toute ressemblance.
La confrontation commence et nous entraîne dans un tango où la réalité frôle, se colle et se mélange à la fabulation. Les personnages fictifs de Claude s’invitent dans la discussion qu’il tient avec sa famille. Sa perception est incarnée alors que celles de sa mère Madeleine, de son père Alex et de sa sœur Mariette sont argumentées. Qu’on se cache, s’expose, se sauve ou se révèle, rien n’est épargné pour faire entendre sa voix… pour imposer son silence. Ce chassé-croisé habile et rythmé entre l’impression, le souvenir et la réalité traite de divers sujets tabous, dont un potentiel inceste, l’adultère ainsi que la dépendance économique et affective de la femme. Cela produit évidemment l’effet d’une bombe au sein du clan hétéroclite habitué à beaucoup parler tout en se disant bien peu.
Sujets d’actualité voilés par le yéyé
Le récit soulève nombre de questionnements dont celui des droits et des libertés d’un·e auteur·e à décrire et à réinventer son entourage. On y aborde également la place qu’on réserve à l’art ou à l’intelligence dans nos collectivités. Le texte, bien qu’écrit il y a près de 35 ans maintenant, ne manque certes pas de référents à la situation sociale actuelle. Que l’on songe aux informations fallacieuses, aux mondes virtuels, aux réalités augmentées ou bien encore aux dénonciations d’agresseurs, d’agresseuses et à leurs tentatives de calomnier les victimes. Le vrai et le faux s’affrontent dans nos vies comme sur cette scène.
Malheureusement, on n’est pas arrivé pas à actualiser la production, qui s’avère vieillotte dans sa facture hyperréaliste et appuyée. Bien sûr, l’action se situe au cœur des années 1960, mais il manque quand même cruellement de modernisme au traitement qu’on accorde à cette pièce importante de la dramaturgie québécoise. Le vrai monde ? nous est présentée ici comme un divertissement à la sauce Broadway, ce qui lui enlève un peu de sa profondeur. La mise en scène statique propose certains face-à-face intéressants entre le « vrai » et le « faux », mais ne va guère plus loin dans les possibles transitions d’un univers à l’autre. La scénographie se colle adroitement à cet esprit exempt d’éclat, qui ne réinvente rien. Le tout se dynamise tout de même à la fin sans pour autant nous offrir les moments de grâce auxquels on s’attend de cette œuvre. On ne parle pas ici d’une interprétation, mais d’une lecture convenue, bien qu’efficace, de la pièce de Tremblay.
Malgré cela, les comédien·nes livrent des prestations sans faille. On constate leurs talents tout du long et particulièrement lorsqu’elles et ils lancent certaines répliques devenues des références. Entre autres, notons la phrase coup de poing de Madeleine 1, « Si t’as jamais entendu le vacarme que fait mon silence, Claude, t’es pas un vrai écrivain », fort bien rendue par Isabelle Drainville. Madeleine Péloquin, Michel Charette et François Chénier ne sont pas en reste avec leurs incarnations des Madeleine 2, Alex 1 et Alex 2. Quant aux interprètes des enfants, Charles-Alexandre Dubé, Charli Arcouette et Catherine-Audrey Lachapelle, il et elles suivent le bal de façon exemplaire. Toutes ces performances justes et inspirées constituent d’ailleurs l’intérêt principal de ce spectacle. Dommage que le reste ne les soutienne pas plus. On s’y rend donc pour la beauté des mots et du jeu.
Texte : Michel Tremblay. Mise en scène : Henri Chassé. Décors : Loïc Lacroix Hoy. Costumes : Cynthia St-Gelais. Accessoires : Karine Cusson. Éclairages : Lucie Bazzo. Musique : Jean Gaudreau. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Avec Charli Arcouette, Michel Charette, François Chénier, Isabelle Drainville, Charles-Alexandre Dubé, Catherine-Audrey Lachapelle et Madeleine Péloquin. Une production du Théâtre du Rideau Vert présentée jusqu’au 6 juin 2021.
Les mots chargés de Michel Tremblay résonnent dans la salle de spectacle du Théâtre du Rideau Vert. Des mots à la fois cruels et beaux qui livrent sans détour la vérité d’une famille modeste et, en apparence, sans histoire. Mais dans cette production, les émotions que ces mots peuvent contenir ne retentissent que trop faiblement, ce qui ne rend pas justice à cette œuvre phare.
Après une courte accroche dont le sens sera compris ultérieurement, se dévoile un décor qui ne trahit pas d’emblée l’époque dans laquelle l’action se déroule, mais plutôt la condition sociale des protagonistes. Le rose orangé côtoie le bleu gris à travers des strates qui forment une double pièce aux allures de caverne tantôt froide, tantôt chaleureuse. Fébrile, une mère attend de pied ferme son fils. Elle veut parler avec lui. Quelques jours plus tôt, son Claude, qui écrit depuis l’enfance, lui a fait lire sa toute première œuvre théâtrale. Dans ce drame inventé, la mère a reconnu son nom, sa robe qui se confond aux murs du logement, sa fille et puis son mari. Pour le reste, soit le discours, la psychologie et l’intrigue, elle réfute toute ressemblance.
La confrontation commence et nous entraîne dans un tango où la réalité frôle, se colle et se mélange à la fabulation. Les personnages fictifs de Claude s’invitent dans la discussion qu’il tient avec sa famille. Sa perception est incarnée alors que celles de sa mère Madeleine, de son père Alex et de sa sœur Mariette sont argumentées. Qu’on se cache, s’expose, se sauve ou se révèle, rien n’est épargné pour faire entendre sa voix… pour imposer son silence. Ce chassé-croisé habile et rythmé entre l’impression, le souvenir et la réalité traite de divers sujets tabous, dont un potentiel inceste, l’adultère ainsi que la dépendance économique et affective de la femme. Cela produit évidemment l’effet d’une bombe au sein du clan hétéroclite habitué à beaucoup parler tout en se disant bien peu.
Sujets d’actualité voilés par le yéyé
Le récit soulève nombre de questionnements dont celui des droits et des libertés d’un·e auteur·e à décrire et à réinventer son entourage. On y aborde également la place qu’on réserve à l’art ou à l’intelligence dans nos collectivités. Le texte, bien qu’écrit il y a près de 35 ans maintenant, ne manque certes pas de référents à la situation sociale actuelle. Que l’on songe aux informations fallacieuses, aux mondes virtuels, aux réalités augmentées ou bien encore aux dénonciations d’agresseurs, d’agresseuses et à leurs tentatives de calomnier les victimes. Le vrai et le faux s’affrontent dans nos vies comme sur cette scène.
Malheureusement, on n’est pas arrivé pas à actualiser la production, qui s’avère vieillotte dans sa facture hyperréaliste et appuyée. Bien sûr, l’action se situe au cœur des années 1960, mais il manque quand même cruellement de modernisme au traitement qu’on accorde à cette pièce importante de la dramaturgie québécoise. Le vrai monde ? nous est présentée ici comme un divertissement à la sauce Broadway, ce qui lui enlève un peu de sa profondeur. La mise en scène statique propose certains face-à-face intéressants entre le « vrai » et le « faux », mais ne va guère plus loin dans les possibles transitions d’un univers à l’autre. La scénographie se colle adroitement à cet esprit exempt d’éclat, qui ne réinvente rien. Le tout se dynamise tout de même à la fin sans pour autant nous offrir les moments de grâce auxquels on s’attend de cette œuvre. On ne parle pas ici d’une interprétation, mais d’une lecture convenue, bien qu’efficace, de la pièce de Tremblay.
Malgré cela, les comédien·nes livrent des prestations sans faille. On constate leurs talents tout du long et particulièrement lorsqu’elles et ils lancent certaines répliques devenues des références. Entre autres, notons la phrase coup de poing de Madeleine 1, « Si t’as jamais entendu le vacarme que fait mon silence, Claude, t’es pas un vrai écrivain », fort bien rendue par Isabelle Drainville. Madeleine Péloquin, Michel Charette et François Chénier ne sont pas en reste avec leurs incarnations des Madeleine 2, Alex 1 et Alex 2. Quant aux interprètes des enfants, Charles-Alexandre Dubé, Charli Arcouette et Catherine-Audrey Lachapelle, il et elles suivent le bal de façon exemplaire. Toutes ces performances justes et inspirées constituent d’ailleurs l’intérêt principal de ce spectacle. Dommage que le reste ne les soutienne pas plus. On s’y rend donc pour la beauté des mots et du jeu.
Le vrai monde ?
Texte : Michel Tremblay. Mise en scène : Henri Chassé. Décors : Loïc Lacroix Hoy. Costumes : Cynthia St-Gelais. Accessoires : Karine Cusson. Éclairages : Lucie Bazzo. Musique : Jean Gaudreau. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Avec Charli Arcouette, Michel Charette, François Chénier, Isabelle Drainville, Charles-Alexandre Dubé, Catherine-Audrey Lachapelle et Madeleine Péloquin. Une production du Théâtre du Rideau Vert présentée jusqu’au 6 juin 2021.