À partir de Kitchike, réserve autochtone du sud du Québec, l’artiste multidisciplinaire Louis-Karl Picard-Sioui a créé un univers imaginaire peuplé de personnages haut en couleur et extrêmement riche en possibilités fictionnelles. L’écrivain a publié en 2017 son premier recueil de nouvelles, Chroniques de Kitchike : la grande débarque (Éditions Hannenorak) et, pour la scène, il en a extirpé le fabuleux Pierre Wabush, quarantenaire qui parle et boit trop, agit peu… mais n’en pense pas moins !
La pièce L’Enclos de Wabush, disponible en webdiffusion, nous fait entrer dans le crâne de ce personnage truculent qui a le sarcasme facile mais cache mal, par contre, la honte d’un passé peu édifiant. Le beau Pierre est le garçon manqué d’un père manquant et d’une mère alcoolique. Coureur de jupons invétéré et ami pas toujours très fiable, il fait le mal plutôt bien, même si c’est, dit-il, involontaire. Ni tout blanc, ni tout noir, comme on peut le voir dans ses nombreuses aventures.
En cours de spectacle, l’on saisira qu’il est sous l’emprise d’un trickster (personnage mythique immortel, sorte de filou sorcier qui s’amuse à piéger les vivant·es). Le récit se déroule dans un « multivers » (par opposition à univers) fantastique. Pierre Wabush y revivra plusieurs épisodes de son passé, plus ou moins récents, qui l’amèneront peu à peu à comprendre, et le public avec lui, d’où il vient et qui il est réellement.
Victime de racisme à l’école, le petit Wabush a grandi en devenant réfractaire à toute forme d’autorité et de politicailleries, ce qui le marginalisera davantage rendu à l’âge adulte. Sa vie aura notamment été marquée par la crise d’Oka. La séquence qui s’y rattache est particulièrement révélatrice du racisme systémique qui avait cours à l’époque.
Les couches narratives se multiplient au point de nous perdre par moments, mais le tout est relevé, heureusement, par un climat des plus ludiques et un humour grinçant omniprésent. On s’amusera à entendre les expressions « latrines psychiques », « Les mocassins hurlants », du nom d’un groupe de musique, et « Champlain transsidéral », personnage en costume d’époque qui agit comme coryphée. Que l’on soit blanc ou autochtone, rien n’échappe à l’œil de faucon caustique de Louise-Karl Picard-Sioui.
Personnages colorés
Les personnages principaux sont également fort colorés, et magnifiquement interprétés par Charles Bender (Pierre Wabush), Marco Poulin (le trickster) et Joanie Guérin (le coryphée). En soutien, Marie-Josée Bastien, René Rousseau et Émily Séguin jouent d’autres archétypes tout aussi bien définis. Tout ce petit monde se déploie dans une superbe scénographie signée Max-Otto Fauteux.
La mise en scène tire le meilleur des comédien·nes et d’un espace de jeu somme toute réduit. La captation vidéo n’offre rien de très original, mis à part quelques animations de courte durée. Ceci dit, il ne servait à rien aux metteurs en scène, Daniel Brière et Dave Jenniss, d’ajouter à la complexité du propos.
La pièce raconte la vie de Pierre Wabush, prisonnier de son enclos cérébral en quelque sorte. Mais est-ce vraiment lui qui se rappelle tous ses souvenirs ou ne serait-ce pas le trickster qui manipule son esprit ? Les tableaux réalistes, mettant en scène les membres de sa famille, ses amis et ses ennemis, ont-elles vraiment lieu ? Sont-elles plutôt le fruit de l’imagination de Wabush ou, encore, de son fripon trickster ? Même les réponses qui surviennent à la fin du spectacle ne sont pas claires à ce sujet.
N’empêche, on conçoit que le monde de Kitchike renferme des trésors narratifs, réels ou imaginaires, s’éloignant à la vitesse de la lumière des stéréotypes et d’un certain folklore à propos des us et coutumes des membres des Premières Nations. L’Enclos de Wabush est d’une originalité fort bienvenue à notre époque où les conflits identitaires continuent de faire rage.
C’est un spectacle intelligent, souvent hilarant, qui mérite de donner à nos esprits trop rationnels 1h40 de congé.
Texte : Louis-Karl Picard-Sioui. Mise en scène : Daniel Brière et Dave Jenniss. Conseiller dramaturgique : Alexis Martin. Assistance à la mise en scène et régie : Marilou Huberdeau. Scénographie : Max-Otto Fauteux. Éclairages : Renaud Pettigrew. Costumes : Claire Geoffrion. Conception sonore : Alexander MacSween. Conception vidéo : Lionel Arnould. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland-Provost et Josée Pellerin. Accessoires : Fany Mc Crae. Direction de production : Cynthia Bouchard-Gosselin. Direction technique : Catherine Moisan. Assistance à la direction technique : Lindsay Morneau. Réalisation de la captation vidéo : Daniel Brière. Images de la captation vidéo : Sylvio Arriola et Claude Précourt. Captation audio : Louis Desparois, François Tremblay et Louis Aka Trudel. Montage vidéo : Sylvio Arriola. Conseils, recherches et suivis en écoresponsabilité : Écoscéno – Marianne Lavoie. Coupe et couture : Mathieu Audy. Musiques originales : Black Bear. Construction du décor : Atelier Ovation. Construction accessoire télévision : Alexandre Paquet. Construction du drone : Jean-Philippe Dalcourt. Avec Marie-Josée Bastien, Charles Bender, Joanie Guérin, Marco Poulin, René Rousseau et Émily Séguin. Une production du Nouveau Théâtre Expérimental et d’Ondinnok, en codiffusion avec le Festival international Présence autochtone, présentée en webdiffusion jusqu’au 4 juillet 2021.
À partir de Kitchike, réserve autochtone du sud du Québec, l’artiste multidisciplinaire Louis-Karl Picard-Sioui a créé un univers imaginaire peuplé de personnages haut en couleur et extrêmement riche en possibilités fictionnelles. L’écrivain a publié en 2017 son premier recueil de nouvelles, Chroniques de Kitchike : la grande débarque (Éditions Hannenorak) et, pour la scène, il en a extirpé le fabuleux Pierre Wabush, quarantenaire qui parle et boit trop, agit peu… mais n’en pense pas moins !
La pièce L’Enclos de Wabush, disponible en webdiffusion, nous fait entrer dans le crâne de ce personnage truculent qui a le sarcasme facile mais cache mal, par contre, la honte d’un passé peu édifiant. Le beau Pierre est le garçon manqué d’un père manquant et d’une mère alcoolique. Coureur de jupons invétéré et ami pas toujours très fiable, il fait le mal plutôt bien, même si c’est, dit-il, involontaire. Ni tout blanc, ni tout noir, comme on peut le voir dans ses nombreuses aventures.
En cours de spectacle, l’on saisira qu’il est sous l’emprise d’un trickster (personnage mythique immortel, sorte de filou sorcier qui s’amuse à piéger les vivant·es). Le récit se déroule dans un « multivers » (par opposition à univers) fantastique. Pierre Wabush y revivra plusieurs épisodes de son passé, plus ou moins récents, qui l’amèneront peu à peu à comprendre, et le public avec lui, d’où il vient et qui il est réellement.
Victime de racisme à l’école, le petit Wabush a grandi en devenant réfractaire à toute forme d’autorité et de politicailleries, ce qui le marginalisera davantage rendu à l’âge adulte. Sa vie aura notamment été marquée par la crise d’Oka. La séquence qui s’y rattache est particulièrement révélatrice du racisme systémique qui avait cours à l’époque.
Les couches narratives se multiplient au point de nous perdre par moments, mais le tout est relevé, heureusement, par un climat des plus ludiques et un humour grinçant omniprésent. On s’amusera à entendre les expressions « latrines psychiques », « Les mocassins hurlants », du nom d’un groupe de musique, et « Champlain transsidéral », personnage en costume d’époque qui agit comme coryphée. Que l’on soit blanc ou autochtone, rien n’échappe à l’œil de faucon caustique de Louise-Karl Picard-Sioui.
Personnages colorés
Les personnages principaux sont également fort colorés, et magnifiquement interprétés par Charles Bender (Pierre Wabush), Marco Poulin (le trickster) et Joanie Guérin (le coryphée). En soutien, Marie-Josée Bastien, René Rousseau et Émily Séguin jouent d’autres archétypes tout aussi bien définis. Tout ce petit monde se déploie dans une superbe scénographie signée Max-Otto Fauteux.
La mise en scène tire le meilleur des comédien·nes et d’un espace de jeu somme toute réduit. La captation vidéo n’offre rien de très original, mis à part quelques animations de courte durée. Ceci dit, il ne servait à rien aux metteurs en scène, Daniel Brière et Dave Jenniss, d’ajouter à la complexité du propos.
La pièce raconte la vie de Pierre Wabush, prisonnier de son enclos cérébral en quelque sorte. Mais est-ce vraiment lui qui se rappelle tous ses souvenirs ou ne serait-ce pas le trickster qui manipule son esprit ? Les tableaux réalistes, mettant en scène les membres de sa famille, ses amis et ses ennemis, ont-elles vraiment lieu ? Sont-elles plutôt le fruit de l’imagination de Wabush ou, encore, de son fripon trickster ? Même les réponses qui surviennent à la fin du spectacle ne sont pas claires à ce sujet.
N’empêche, on conçoit que le monde de Kitchike renferme des trésors narratifs, réels ou imaginaires, s’éloignant à la vitesse de la lumière des stéréotypes et d’un certain folklore à propos des us et coutumes des membres des Premières Nations. L’Enclos de Wabush est d’une originalité fort bienvenue à notre époque où les conflits identitaires continuent de faire rage.
C’est un spectacle intelligent, souvent hilarant, qui mérite de donner à nos esprits trop rationnels 1h40 de congé.
L’Enclos de Wabush
Texte : Louis-Karl Picard-Sioui. Mise en scène : Daniel Brière et Dave Jenniss. Conseiller dramaturgique : Alexis Martin. Assistance à la mise en scène et régie : Marilou Huberdeau. Scénographie : Max-Otto Fauteux. Éclairages : Renaud Pettigrew. Costumes : Claire Geoffrion. Conception sonore : Alexander MacSween. Conception vidéo : Lionel Arnould. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland-Provost et Josée Pellerin. Accessoires : Fany Mc Crae. Direction de production : Cynthia Bouchard-Gosselin. Direction technique : Catherine Moisan. Assistance à la direction technique : Lindsay Morneau. Réalisation de la captation vidéo : Daniel Brière. Images de la captation vidéo : Sylvio Arriola et Claude Précourt. Captation audio : Louis Desparois, François Tremblay et Louis Aka Trudel. Montage vidéo : Sylvio Arriola. Conseils, recherches et suivis en écoresponsabilité : Écoscéno – Marianne Lavoie. Coupe et couture : Mathieu Audy. Musiques originales : Black Bear. Construction du décor : Atelier Ovation. Construction accessoire télévision : Alexandre Paquet. Construction du drone : Jean-Philippe Dalcourt. Avec Marie-Josée Bastien, Charles Bender, Joanie Guérin, Marco Poulin, René Rousseau et Émily Séguin. Une production du Nouveau Théâtre Expérimental et d’Ondinnok, en codiffusion avec le Festival international Présence autochtone, présentée en webdiffusion jusqu’au 4 juillet 2021.