Live Stream Arielle F : Transgenre virtuel
Avec ce projet, le plasticien et vidéaste Simon Senn propose une conférence-démonstration sur une expérience transgenre inédite. Le jeu commence par l’achat sur le web du corps virtuel d’une jeune femme. Senn se l’est procuré pour un prix dérisoire sur un site spécialisé. Il s’équipe aussitôt de technologies qui lui permettent de « revêtir » cet avatar pour l’animer en direct.
L’artiste disparaît alors dans la peau d’Arielle, nom fictif de l’avatar, et c’est désormais elle qui bouge et vit à sa place. Par cette peau de remplacement, par ce corps-femme, le performeur se métamorphose en abolissant la barrière entre le réel et le virtuel; l’image d’abord superposée devient enveloppe totale. L’homme et père de famille se fait ainsi femme et père de famille. Il se dit traversé d’un frisson lorsqu’il explore en détail ce corps étranger. En effet, il demeure maître de cette image virtuelle et l’apprivoisement se fait rapidement, puisque ce corps n’offre aucune résistance. Il est subjugué par cet ébranlement et décide de trouver la femme de chair devenue numérique. D’abord perplexe, la jeune Britannique accepte finalement de rencontrer Simon et s’impliquera peu à peu comme partenaire de ce théâtre surréel.
L’appropriation d’une personne, même dans sa forme virtuelle, soulève des questions éthiques sérieuses. Jusqu’où peut-on aller avec un avatar ? Quelles sont les limites morales et légales ? Car les avatars, clones numériques, sont à ce point précis qu’ils peuvent se substituer aux personnes réelles à qui on pourrait alors prêter n’importe quel propos. Comment désormais distinguer le vrai du faux ? Le créateur d’Arielle dit avoir vécu de l’intérieur ce troublant glissement de dépossession pour s’insérer dans le corps d’une autre et s’en servir comme interface de ses propres désirs.
Avec Live Stream Arielle F, Simon Senn retrace le parcours qu’il a suivi au cours de cette expérience perturbante. On le sent de plus en plus heureux en habitant simultanément deux enveloppes charnelles, le regard et les manipulations dupant le cerveau. La matière palpable et la projection numérique fusionnent dans la perception des sens en effaçant la frontière des genres. Avec ses filles, il va désormais acheter des fringues et du maquillage. Il devient l’interprète de ce nouvel humain.
En développant de manière linéaire sa trame narrative, où se mêlent les mondes réels et virtuels, la fiction prend possession de notre imaginaire. La construction didactique glisse lentement vers une autre réalité où les barrières traditionnelles s’estompent. Les technologies accessibles, envahissant nos vies à travers les écrans, nous amènent à douter de notre propre chair. Il y a dans cette métamorphose un ravissement coupable, teinté d’un malaise devant ce devenir ambigu.
Conception et mise en scène : Simon Senn. Avec Simon Senn, Arielle F. et un corps virtuel. Une production de la Compagnie Simon Senn, en coproduction avec le Théâtre Vidy-Lausanne – Le Grütli et le Centre de production et de diffusion des Arts vivants – Théâtre du Loup, présentée en webdiffusion à l’occasion du Carrefour international de théâtre jusqu’au 12 juin 2021.
L’Usine de théâtre potentiel : Dom Juan déboulonné
L’Usine de théâtre potentiel, dans la lignée de l’Oulipo, a mis en place une infrastructure théâtrale scénographique (un seul décor) et temporelle (90 minutes). Le public est invité à choisir l’improvisation qui s’y tiendra à partir d’une liste de propositions quant au sujet et à son traitement. La structure, hier, offrait ainsi une possibilité de 125 spectacles différents. Le public a opté pour une relecture du Dom Juan de Molière au goût du jour. Que seraient devenus aujourd’hui les personnages classiques ?
À cette trame dramatique s’ajoute des contraintes formelles que les improvisateurs et improvisatrices doivent respecter : sur des écrans, visibles aussi du public, on indique où ils et elles doivent se tenir, ainsi que la durée de leurs répliques.
Évidemment, Dom Juan en prend pour son rhume. L’amoral séducteur, l’athée, le meurtrier qui ne respecte aucune loi, se transforme ici en prédateur sexuel, tout aussi immoral que jadis. Sa femme Elvire et sa mère cherchent par tous les moyens – et avec les conseils de… Denise Bombardier – à éradiquer de la surface de la terre cette race impie. Elvire accouche d’un garçon qui deviendra rapidement le clone de son père. Quelle horreur ! Désespérée, elle tuera son enfant pour briser le cycle infernal des abuseurs de femmes.
La transition dans le temps présent et sa relecture dans l’ère #metoo condamne, comme en son temps, Dom Juan aux feux de l’enfer. Non pas par l’Église comme jadis, mais par la société des femmes. En effet, la posture de Sganarelle reste la même. Sa veulerie l’empêche encore de trahir son maître. De même, l’avocat engagé pour mener la terrible vengeance d’Elvire, ne pourra rien faire, le système judiciaire ne lui offrant aucune prise. C’est là où l’on voit que la bonne volonté est insuffisante pour résoudre les problèmes de fond.
La démesure du projet de L’Usine de théâtre potentiel constitue un formidable défi pour les comédiennes et les comédiens qui s’y risquent. Ils et elles sont impressionnant·es dans leur mise en scène d’un personnage mythique. Mais la distanciation retenue de Joëlle Paré-Beaulieu plaçait le personnage d’Elvire en porte-à-faux, entre la rage vengeresse et une étrange mélancolie silencieuse, et offrait peu de prise à ses partenaires de jeu.
Il reste 124 autres versions possibles pour apprécier cette Usine. Il faut explorer ce big data que même ces créateurs et ces créatrices du Théâtre de la Ligue Nationale d’Improvisation ne connaissent pas encore. À suivre…
Mise en scène : François-Étienne Paré. Conseils dramaturgiques : Alexandre Cadieux. Scénographie : Jonas Veroff Bouchard. Costumes : Catherine Gauthier. Éclairages : Cédric Delorme-Bouchard. Musique : Éric Desranleau. Interactivité : Folklore – Atelier numérique (Marc-Antoine Jacques et David Mongeau-Petitpas). Direction technique : Catherine Sabourin. Assistance à la mise en scène et régie : Dominique Cuerrier. Avec Frédéric Blanchette, Mathieu Lepage, Marie Michaud, Joëlle Paré-Beaulieu et Simon Rousseau. Une production du Théâtre de la Ligue Nationale d’Improvisation, présentée à la Bordée, à l’occasion du Carrefour international de théâtre, jusqu’au 11 juin 2021.
Live Stream Arielle F : Transgenre virtuel
Avec ce projet, le plasticien et vidéaste Simon Senn propose une conférence-démonstration sur une expérience transgenre inédite. Le jeu commence par l’achat sur le web du corps virtuel d’une jeune femme. Senn se l’est procuré pour un prix dérisoire sur un site spécialisé. Il s’équipe aussitôt de technologies qui lui permettent de « revêtir » cet avatar pour l’animer en direct.
L’artiste disparaît alors dans la peau d’Arielle, nom fictif de l’avatar, et c’est désormais elle qui bouge et vit à sa place. Par cette peau de remplacement, par ce corps-femme, le performeur se métamorphose en abolissant la barrière entre le réel et le virtuel; l’image d’abord superposée devient enveloppe totale. L’homme et père de famille se fait ainsi femme et père de famille. Il se dit traversé d’un frisson lorsqu’il explore en détail ce corps étranger. En effet, il demeure maître de cette image virtuelle et l’apprivoisement se fait rapidement, puisque ce corps n’offre aucune résistance. Il est subjugué par cet ébranlement et décide de trouver la femme de chair devenue numérique. D’abord perplexe, la jeune Britannique accepte finalement de rencontrer Simon et s’impliquera peu à peu comme partenaire de ce théâtre surréel.
L’appropriation d’une personne, même dans sa forme virtuelle, soulève des questions éthiques sérieuses. Jusqu’où peut-on aller avec un avatar ? Quelles sont les limites morales et légales ? Car les avatars, clones numériques, sont à ce point précis qu’ils peuvent se substituer aux personnes réelles à qui on pourrait alors prêter n’importe quel propos. Comment désormais distinguer le vrai du faux ? Le créateur d’Arielle dit avoir vécu de l’intérieur ce troublant glissement de dépossession pour s’insérer dans le corps d’une autre et s’en servir comme interface de ses propres désirs.
Avec Live Stream Arielle F, Simon Senn retrace le parcours qu’il a suivi au cours de cette expérience perturbante. On le sent de plus en plus heureux en habitant simultanément deux enveloppes charnelles, le regard et les manipulations dupant le cerveau. La matière palpable et la projection numérique fusionnent dans la perception des sens en effaçant la frontière des genres. Avec ses filles, il va désormais acheter des fringues et du maquillage. Il devient l’interprète de ce nouvel humain.
En développant de manière linéaire sa trame narrative, où se mêlent les mondes réels et virtuels, la fiction prend possession de notre imaginaire. La construction didactique glisse lentement vers une autre réalité où les barrières traditionnelles s’estompent. Les technologies accessibles, envahissant nos vies à travers les écrans, nous amènent à douter de notre propre chair. Il y a dans cette métamorphose un ravissement coupable, teinté d’un malaise devant ce devenir ambigu.
Live Stream Arielle F
Conception et mise en scène : Simon Senn. Avec Simon Senn, Arielle F. et un corps virtuel. Une production de la Compagnie Simon Senn, en coproduction avec le Théâtre Vidy-Lausanne – Le Grütli et le Centre de production et de diffusion des Arts vivants – Théâtre du Loup, présentée en webdiffusion à l’occasion du Carrefour international de théâtre jusqu’au 12 juin 2021.
L’Usine de théâtre potentiel : Dom Juan déboulonné
L’Usine de théâtre potentiel, dans la lignée de l’Oulipo, a mis en place une infrastructure théâtrale scénographique (un seul décor) et temporelle (90 minutes). Le public est invité à choisir l’improvisation qui s’y tiendra à partir d’une liste de propositions quant au sujet et à son traitement. La structure, hier, offrait ainsi une possibilité de 125 spectacles différents. Le public a opté pour une relecture du Dom Juan de Molière au goût du jour. Que seraient devenus aujourd’hui les personnages classiques ?
À cette trame dramatique s’ajoute des contraintes formelles que les improvisateurs et improvisatrices doivent respecter : sur des écrans, visibles aussi du public, on indique où ils et elles doivent se tenir, ainsi que la durée de leurs répliques.
Évidemment, Dom Juan en prend pour son rhume. L’amoral séducteur, l’athée, le meurtrier qui ne respecte aucune loi, se transforme ici en prédateur sexuel, tout aussi immoral que jadis. Sa femme Elvire et sa mère cherchent par tous les moyens – et avec les conseils de… Denise Bombardier – à éradiquer de la surface de la terre cette race impie. Elvire accouche d’un garçon qui deviendra rapidement le clone de son père. Quelle horreur ! Désespérée, elle tuera son enfant pour briser le cycle infernal des abuseurs de femmes.
La transition dans le temps présent et sa relecture dans l’ère #metoo condamne, comme en son temps, Dom Juan aux feux de l’enfer. Non pas par l’Église comme jadis, mais par la société des femmes. En effet, la posture de Sganarelle reste la même. Sa veulerie l’empêche encore de trahir son maître. De même, l’avocat engagé pour mener la terrible vengeance d’Elvire, ne pourra rien faire, le système judiciaire ne lui offrant aucune prise. C’est là où l’on voit que la bonne volonté est insuffisante pour résoudre les problèmes de fond.
La démesure du projet de L’Usine de théâtre potentiel constitue un formidable défi pour les comédiennes et les comédiens qui s’y risquent. Ils et elles sont impressionnant·es dans leur mise en scène d’un personnage mythique. Mais la distanciation retenue de Joëlle Paré-Beaulieu plaçait le personnage d’Elvire en porte-à-faux, entre la rage vengeresse et une étrange mélancolie silencieuse, et offrait peu de prise à ses partenaires de jeu.
Il reste 124 autres versions possibles pour apprécier cette Usine. Il faut explorer ce big data que même ces créateurs et ces créatrices du Théâtre de la Ligue Nationale d’Improvisation ne connaissent pas encore. À suivre…
L’Usine de théâtre potentiel
Mise en scène : François-Étienne Paré. Conseils dramaturgiques : Alexandre Cadieux. Scénographie : Jonas Veroff Bouchard. Costumes : Catherine Gauthier. Éclairages : Cédric Delorme-Bouchard. Musique : Éric Desranleau. Interactivité : Folklore – Atelier numérique (Marc-Antoine Jacques et David Mongeau-Petitpas). Direction technique : Catherine Sabourin. Assistance à la mise en scène et régie : Dominique Cuerrier. Avec Frédéric Blanchette, Mathieu Lepage, Marie Michaud, Joëlle Paré-Beaulieu et Simon Rousseau. Une production du Théâtre de la Ligue Nationale d’Improvisation, présentée à la Bordée, à l’occasion du Carrefour international de théâtre, jusqu’au 11 juin 2021.