Critiques

Nous nous sommes tant aimés : Souvenirs de graduation

© François Larivière

Dans son nouvel écrin qu’est le Centre de création de Boisbriand, le Petit Théâtre du Nord présente un spectacle qui sent l’été, la légèreté et les jardins bien entretenus. Nous nous sommes tant aimés de Simon Boulerice, mis en scène par Charles Dauphinais, convient bien à ce moment de la pandémie où, délesté·es de certaines entraves et doté·es de quelques permissions supplémentaires, nous nous retrouvons à célébrer les beaux jours avec une fébrilité que personne ne souhaite contenir.

Steve (Sébastien Gauthier) reçoit sur sa terrasse ses invité·es : Lancelot (Luc Bourgeois), Méo (Mélanie Saint-Laurent) et Lucie (Louise Cardinal). Trente ans après l’après-bal de graduation qui a eu lieu au même endroit, la gang du secondaire se réunit pour de joyeuses retrouvailles. La première à prendre la parole n’est pourtant pas visible d’eux et d’elles; il s’agit de Maryse (Marie-Hélène Thibault) qui, tout en faisant partie de la même promotion, ne fait pas partie dudit groupe, « tricoté serré ». Elle qui les conseillait, à l’époque, au club vidéo où elle travaillait, reste sur le côté droit de la scène devant son micro, en voix off, ou plus ou moins. Elle égrènera ses réflexions durant toute la durée de la pièce, commentant les répliques des personnages et bonifiant leurs propos de références cinématographiques ou musicales.

Tout dans cette pièce évoque la nostalgie, pour la génération X et la frange la plus âgée de la génération du millénaire, des banlieues d’un Québec blanc et hétérosexuel des années 1990. Les personnages sont à l’avenant : Méo, coiffeuse et vedette de séries de téléréalité, veut à tout prix occuper le centre de l’attention en parlant fort et en portant sa robe de bal (qui lui va mieux qu’à l’époque). Steve est l’homo banlieusus au grand cœur, ancien jock de l’école, coqueluche de ces dames, désormais as du barbecue et de tous les plaisirs de la cour arrière. Lancelot est l’artiste raté qui habite chez son bro Steve et qui cumule les petits contrats qui n’arrivent pas à le faire vivre. Lucie est l’ancienne sportive pragmatique devenue enseignante au primaire (elle est d’ailleurs la professeure du fils de Méo).

Et Maryse ? Maryse prend son temps. Au début, elle raconte l’histoire des autres, semblable en cela à celle qu’elle était à la polyvalente trois décennies plus tôt : la fille timide, invisible, un peu différente, qui n’appartient à aucun groupe. On apprendra plus tard qu’elle habite sur la même rue que Steve, gravitant de sa présence discrète autour de ce groupe d’ami·es qu’elle avait tant aimé·es, de loin, en satellite.

© François Larivière

Ce que cachent les rires

Les références aux hymnes pop de ces années, que ce soit Pump Up the Jam de Technotronic, Vogue de Madonna, Straight Up de Paula Abdul ou encore The Power de Snap, s’enchaînent dans une bande sonore qui ferait pâlir d’envie le meilleur des VJ de MuchMusic. La maison de Steve, en arrière-plan, sert aussi d’écran sur lequel sont diffusés des extraits de vidéoclips et de films.

Très vite, une gêne se dessine derrière la joie trop grandiloquente des personnages, gêne qui fait hésiter le rythme de la pièce dans son premier quart (silences un peu trop longs, jeu hésitant) et qui laisse bientôt place à une tension de plus en plus grande. Le vernis lisse et allègre de ces retrouvailles se craquelle graduellement à force de sous-entendus sur le passé de Steve, de lectures à haute voix de mots écrits dans l’album de fin d’année, de conversations plus que vives entre Méo et Lucie… Jusqu’à ce retour en arrière qui nous replonge dans ce fameux après-bal, et qui nous révèle l’erreur de jugement répugnante commise par ces jeunes et le traumatisme qu’a subi Maryse.

Mis à part ce premier quart, où la fable tarde à prendre son élan, le rythme de la pièce est excellent, prenant. On remarque à peine le changement qui apparaît peu à peu, alors que Maryse, malgré son rôle de commentatrice – très drôle d’ailleurs –, prend petit à petit le contrôle de l’action. Il y a là tout un discours sous-jacent sur les apparences, l’innocence parfois cruelle de la jeunesse, la fin des illusions et les conséquences à long terme de gestes irréfléchis.

Une belle pièce entraînante et bon enfant, bien desservie par une distribution convaincante et attachante, qui touche à des enjeux actuels malgré un cadre par moments trop anecdotique. Voilà une bonne occasion d’aller à la rencontre du Petit Théâtre du Nord.

© François Larivière

Nous nous sommes tant aimés

Texte : Simon Boulerice. Mise en scène : Charles Dauphinais. Décors : Loïc Lacroix Hoy. Assistance aux décors : Clémentine Verhaegen. Costumes : Valentina Vargas. Conseils coiffure : Isabel Cardin. Éclairages : Marie-Aube St-Amand Duplessis. Musique : Patrice d’Aragon. Vidéo : Robin Kittel-Ouimet. Assistance à la vidéo : Marguerite Hudon. Assistance à la mise en scène et régie : Martine Richard. Direction technique : Ghislain Dufour. Direction de la production : Emmanuelle Nappert. Avec Marie-Hélène Thibault, Louise Cardinal, Luc Bourgeois, Sébastien Gauthier et Mélanie Saint-Laurent. Une production du Petit Théâtre du Nord, présentée au Centre de création de Boisbriand jusqu’au 14 août 2021.