Critiques

Festival international des arts de la marionnette à Saguenay : Une offre diversifiée

© Studio Matusiak

Joe 5 : Monde informatisé et déshumanisation

En cette période de pandémie, le volet international du Festival international des arts de la marionnette à Saguenay (FIAMS), constitué de six productions, est présenté en ligne. Parmi celles-ci nous est offert Joe 5, un spectacle des Pays-Bas en anglais (sans sous-titres français), qui nous amène dans un monde dystopique gouverné par des créatures extraterrestres. Un monde cosmique où des bruits électroniques dirigent les mouvements de Joe 5 (le seul humain en vue), et qui est fait de différentes parties qu’il parcourt grâce à des jeux de lumières.

Quatre personnages (des marionnettes à l’intérieur desquelles l’artiste insère le bras) viennent visiter l’homme, dont deux sont animées de bonnes intentions : Deta, un être à l’intelligence artificielle qui nous rappelle l’application Siri de nos téléphones cellulaires, ainsi que le sosie de Joe 5, auquel l’interprète prête sa voix par le truchement de la ventriloquie, et avec qui il confronte cet univers où la technologie a remplacé l’humanité… dans l’espoir de conserver le peu qu’il lui reste. Mais ce monde informatisé et hostile met fin à cette union par un geste violent qui nous laisse estomaqué·es. La marionnette aura la tête tranchée, ce qui éliminera toute possibilité d’aide qui pourrait être apportée au héros, gardant ainsi l’homme dépendant du monde électronique. Deux autres créatures, malveillantes celles-ci, font ensuite leur apparition.

L’ingéniosité technique de ce spectacle est époustouflante, de même que l’intelligence de la mise en scène, qui réussit à créer un univers nébuleux, mystérieux et effrayant. L’interprète de ce solo, Josse Vessies, est remarquable dans sa manipulation organique des marionnettes. Joe 5 nous pousse à nous questionner sur le monde d’aujourd’hui, sur le sens de la vie et sur le contrôle qu’exerce l’informatique sur l’existence humaine.

Joe 5

Mise en scène, concept et direction : Duda Paiva. Dramaturgie : Kim Kooiman. Marionnettes : Duda Paiva et Andre Mello. Scénographie : STMSND. Musique et vidéo : Wilco Alkema. Lumières : Mark Verhoef. Décor : Daniel Patijn. Costumes : Aziz Bekkaoui. Costumes : Aziz Bekkaoui. Décor et costume studio : Kingma Outside. Regard extérieur : Preben Faye-Schjøll. Enregistrement de la captation vidéo : Ederson Xavier, sous la direction artistique de Duda Paiva. Assistance à la caméra assistant : Ilija Surla. Avec Josse Vessies. Une production de Marijana Mikolcic, présentée en ligne, à l’occasion du Festival international des arts de la marionnette à Saguenay, jusqu’au 1er août 2021.

Spartacus : Ferrailles et combat

© Sylvain Liagre

Des esclaves en cage, un espace comparable à une arène antique, u2ne atmosphère sèche et poussiéreuse : l’audience s’assoit et fait désormais partie de la pièce. Spartacus, présenté par la compagnie française le Théâtre La Licorne raconte l’histoire bien connue du gladiateur d’origine thrace à l’origine d’un important soulèvement populaire contre la République romaine.

Le premier gladiateur fait son entrée sur l’aire de jeu, minuscule, suivi d’un gigantesque animal sauvage prêt à le dévorer, tous deux fabriqués en métal et manipulés à l’aide de tiges. Plusieurs autres luttes violentes et sanglantes s’en suivent, dont une avec un immense éléphant. À travers les combats et les défaites, les chants lyriques des patriciens rendent les scènes encore plus dramatiques. Le public, toujours inclus dans la représentation, doit parfois abaisser ou lever le pouce soit pour demander la mort ou la grâce du guerrier. Jusqu’à ce que les esclaves se révoltent et que Spartacus se tourne vers l’auditoire pour crier : « Vous avez assez vu de couler de sang ? »

Fabriqués eux aussi de matériaux de ferrailles, de petits bateaux viennent en aide aux insurgé·es. Or, l’empereur poursuivra Spartacus et celui-ci sera finalement capturé, puis amené dans l’amphithéâtre, où il essayera d’expliquer son point de vue, mais en vain : le despote l’accusera de lui avoir infligé humiliation, honte et déshonneur.

On constate le souci du détail de cette production dans la confection des marionnettes, bien sûr, mais aussi dans le maquillage des personnages, par exemple par les cicatrices qui marquent le visage et le corps des esclaves. La scénographie et l’esthétique âpre s’harmonisent bien avec les propos véhiculés. En utilisant des marionnettes, aux sons de métaux claquants rappellent l’époque des armures et des boucliers, on raconte d’une autre façon ce grand classique, dont le sujet, la lutte des classes, ne perd jamais, malheureusement, de son actualité.

Spartacus

Texte, mise en scène et scénographie : Claire Dancoisne. Musique : Pierre Vasseur. Lumières : Hervé Gary. Conception des arènes : Ettore Marchica. Construction des arènes:  Raymond Blard, Jean-Marc Delannoy et Alex Herman. Avec (jeu) Gaëlle Fraysse, Gwenaël Przydatek et Maxence Vandevelde; (chant) Olivier Naveau et Jean-Michel Ankaoua. Une production du Théâtre La Licorne, présentée en ligne, à l’occasion du Festival international des arts de la marionnette à Saguenay, jusqu’au 1er août 2021.

Sogno di une notte di mezza estate (Songe d’une nuit d’été) : Jeux d’ombres et d’échelles

© Jonathan Gobbi

L’aspect visuel occupe une place prépondérante dans cette version de la comédie de William Shakespeare signée par le Teatro Gioco Vita d’Italie, fondé en 1971. C’est dans un monde merveilleux, tout en théâtre d’ombres, que l’histoire se déroule, sans qu’il n’y ait de véritable narration, hormis quelques panneaux en italien. Pour le reste, chorégraphies et pantomime se déploient sur fond de musique classique.

Les jeux d’échelles, de surimpression et d’abstraction nous fascinent par l’expérience esthétique spectaculaire qu’ils proposent. Les costumes et les masques sont originaux et nous ramènent à l’époque élisabéthaine. Ces costumes opulents, ces créatures mi-humaines, mi-animales, l’ambiance fantastique de ce monde homérique prennent tellement de place qu’on peut même parfois en oublier qu’une histoire nous est racontée. Si l’on ne connaît pas bien le destin de la reine Titania, de son mari Oberon, du fripon Puck et du quatuor de jeunes gens amoureux, il peut être difficile de suivre le récit et on peut se sentir facilement perdu·e. Ce Songe d’une nuit d’été serait-il un prétexte pour pouvoir créer une scénographie magistrale et un univers féerique ? Ce spectacle semble être un exercice de style. Quoi qu’il en soit, celui-ci est d’une beauté si sublime qu’elle lui suffit largement à plaire.

Sogno di une notte di mezza estate (Songe d’une nuit d’été)

Texte : Félix Mendelssohn-Bartholdy d’après William Shakespeare. Mise en scène : Fabrizio Montecchi. Chorégraphie : Walter Matteini. Décor : Fabrizio Montecchi. Silhouettes: Nicoletta Garioni. Une production du Teatro Gioco Vita, présentée en ligne, à l’occasion du Festival international des arts de la marionnette à Saguenay, jusqu’au 1er août 2021.

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À propos de

Marjolaine Mckenzie possède une formation en théâtre et a joué dans plusieurs productions. Elle a fondé sa propre compagnie de théâtre en 2005, Papu Auass, qui veut dire enfant rieur en langue innue. Elle écrit des textes et s’implique dans la co-création de projets artistiques. Présentement, elle est stagiaire à la revue JEU.