Avec son point de fuite en fond de plateau, le dispositif scénique de Courville nous aspire d’emblée dans la petite banlieue du même nom, à proximité de la spectaculaire chute Montmorency, à 15 kilomètres de Québec. Cette banlieue classique de l’après-guerre, développée à grand renfort de bungalows reprenant des modèles américains, est le théâtre de la tumultueuse adolescence de Simon Roberge, nouvellement orphelin et cégépien étudiant les arts.
Courville, c’est l’histoire de cet adolescent aux prises avec son explosion hormonale mise en parallèle avec les turbulences des années 1970. Sur fond historique de Guerre froide, culminant ici dans le célèbre match de hockey opposant Montréal à la Russie (1975), et de tension entre anglophones et francophones, la polarisation des antagonismes devient la trame du passage à l’âge adulte de Simon, vie politique et vie privée se faisant écho. Ainsi, la route du jeune ado est faite de vexations : l’intimidation à l’école, le décès de son père, l’éveil de sa sexualité, la perte de ses ami·es d’adolescence, l’incompréhension face aux comportements de sa mère, la découverte in extremis d’un secret de famille bouleversant.
Dans le petit bungalow familial, Simon doit céder sa chambre à son oncle et parrain qui vient s’installer après le décès de son père. Cet oncle rustre vient s’infiltrer entre Simon et sa mère avec sa vulgarité, sa duplicité, son manque de sensibilité, tout le contraire de son père adulé. Son territoire est désormais le sous-sol, où il dort sur un sofa. Il fabriquera sa vie à partir de cet espace confiné, y invitant ses rares ami·es, dont l’attractive Sophie, son âme sœur à la sexualité tout aussi indécise que la sienne.
Un double système narratif
Le démiurge Robert Lepage propose une narration en deux systèmes qui s’emboîtent l’un dans l’autre. Les personnages sont des marionnettes de taille variable manipulées à vue par des marionnettistes vêtu·es de noir. Le narrateur (Robert Lepage) assume tous les rôles comme dans le bunraku japonais classique : Simon, sa mère, son oncle et parrain, son amie Sophie, le bel Adonis sauveteur à la piscine publique, qui le ramènera à la vie et dont il est désespérément amoureux, bref celles-là et ceux-là mêmes qui lui donnent sa substance. Lepage est le ventriloque qui insuffle la vie à tous ces personnages. L’histoire glisse de sa voix vers les pantins, telle une présence omniprésente et omnipotente, tapie dans l’ombre, longeant les murs, apparaissant au-dessus d’eux, intervenant parfois directement sur leur corps désarticulé. Les manipulations sont précises et subtiles, si bien qu’on en oublie bientôt les ombres noires qui animent les marionnettes.
Et puis ce spectacle, déjà complet en soi, s’appuie sur une machinerie visuelle réglée au quart de tour dans une osmose pénétrante. En effet, la scène est coupée en deux par une plate-forme qui se soulève pour faire place à la chambre de Simon, au sous-sol. Lorsqu’elle est rabattue, la scène s’ouvre sur le rez-de-chaussée, le village, l’école, les rues, la piscine… Ces décors sont, de fait, des projections 2D dans lesquelles les marionnettes et Lepage racontent leur drame. Mentionnons ici le remarquable travail visuel de Félix Fradet-Faguy qui fait couler la chute Montmorency dans une image fixe, et fait ruisseler l’eau dans des grottes gigantesques. Subtile inclusion de l’animé dans le paysage. Plusieurs scènes sont de véritables tableaux vivants avec des effets saisissants. Les êtres de fiction, dont la vie ne tient qu’à un fil, déroulent leur tragédie dans une géographie immuable sous un jeu de lumières (signé Nicolas Descôteaux) impeccable.
Le passage du sous-sol au monde extérieur se fait par un escalier central, pivot des rencontres. La scénographie élaborée par Ariane Sauvé porte ainsi la métaphore des mondes secret et public, évoquant l’éclosion de la part cachée de Simon vers le grand jour.
La lenteur nous plonge dans une sorte d’envoûtement, alimenté par l’excellente trame sonore de Mathieu Doyon. Courville est un spectacle à déguster sans effort. Une introspection qui coule de source comme un long fleuve tranquille, mais perturbé par la chute vertigineuse de la rivière Montmorency, là où les corps parfois se jettent.
Texte, conception, mise en scène et interprétation : Robert Lepage. Conception et direction de création : Steve Blanchet. Assistance à la mise en scène : Francis Beaulieu. Manipulation des marionnettes : Wellesley Robertson III, Caroline Tanguay et Martin Vaillancourt. Coconception du décor : Ariane Sauvé. Conception et réalisation des marionnettes : Jean-Guy White et Céline White. Musique originale et conception sonore : Mathieu Doyon. Conception et réalisation des images : Félix Fradet-Faguy. Conception des éclairages : Nicolas Descôteaux. Conception des costumes : Virginie Leclerc. Conception des accessoires : Jeanne Lapierre. Une production d’Ex-Machina/Robert Lepage, présentée au Diamant jusqu’au 23 octobre 2021.
Avec son point de fuite en fond de plateau, le dispositif scénique de Courville nous aspire d’emblée dans la petite banlieue du même nom, à proximité de la spectaculaire chute Montmorency, à 15 kilomètres de Québec. Cette banlieue classique de l’après-guerre, développée à grand renfort de bungalows reprenant des modèles américains, est le théâtre de la tumultueuse adolescence de Simon Roberge, nouvellement orphelin et cégépien étudiant les arts.
Courville, c’est l’histoire de cet adolescent aux prises avec son explosion hormonale mise en parallèle avec les turbulences des années 1970. Sur fond historique de Guerre froide, culminant ici dans le célèbre match de hockey opposant Montréal à la Russie (1975), et de tension entre anglophones et francophones, la polarisation des antagonismes devient la trame du passage à l’âge adulte de Simon, vie politique et vie privée se faisant écho. Ainsi, la route du jeune ado est faite de vexations : l’intimidation à l’école, le décès de son père, l’éveil de sa sexualité, la perte de ses ami·es d’adolescence, l’incompréhension face aux comportements de sa mère, la découverte in extremis d’un secret de famille bouleversant.
Dans le petit bungalow familial, Simon doit céder sa chambre à son oncle et parrain qui vient s’installer après le décès de son père. Cet oncle rustre vient s’infiltrer entre Simon et sa mère avec sa vulgarité, sa duplicité, son manque de sensibilité, tout le contraire de son père adulé. Son territoire est désormais le sous-sol, où il dort sur un sofa. Il fabriquera sa vie à partir de cet espace confiné, y invitant ses rares ami·es, dont l’attractive Sophie, son âme sœur à la sexualité tout aussi indécise que la sienne.
Un double système narratif
Le démiurge Robert Lepage propose une narration en deux systèmes qui s’emboîtent l’un dans l’autre. Les personnages sont des marionnettes de taille variable manipulées à vue par des marionnettistes vêtu·es de noir. Le narrateur (Robert Lepage) assume tous les rôles comme dans le bunraku japonais classique : Simon, sa mère, son oncle et parrain, son amie Sophie, le bel Adonis sauveteur à la piscine publique, qui le ramènera à la vie et dont il est désespérément amoureux, bref celles-là et ceux-là mêmes qui lui donnent sa substance. Lepage est le ventriloque qui insuffle la vie à tous ces personnages. L’histoire glisse de sa voix vers les pantins, telle une présence omniprésente et omnipotente, tapie dans l’ombre, longeant les murs, apparaissant au-dessus d’eux, intervenant parfois directement sur leur corps désarticulé. Les manipulations sont précises et subtiles, si bien qu’on en oublie bientôt les ombres noires qui animent les marionnettes.
Et puis ce spectacle, déjà complet en soi, s’appuie sur une machinerie visuelle réglée au quart de tour dans une osmose pénétrante. En effet, la scène est coupée en deux par une plate-forme qui se soulève pour faire place à la chambre de Simon, au sous-sol. Lorsqu’elle est rabattue, la scène s’ouvre sur le rez-de-chaussée, le village, l’école, les rues, la piscine… Ces décors sont, de fait, des projections 2D dans lesquelles les marionnettes et Lepage racontent leur drame. Mentionnons ici le remarquable travail visuel de Félix Fradet-Faguy qui fait couler la chute Montmorency dans une image fixe, et fait ruisseler l’eau dans des grottes gigantesques. Subtile inclusion de l’animé dans le paysage. Plusieurs scènes sont de véritables tableaux vivants avec des effets saisissants. Les êtres de fiction, dont la vie ne tient qu’à un fil, déroulent leur tragédie dans une géographie immuable sous un jeu de lumières (signé Nicolas Descôteaux) impeccable.
Le passage du sous-sol au monde extérieur se fait par un escalier central, pivot des rencontres. La scénographie élaborée par Ariane Sauvé porte ainsi la métaphore des mondes secret et public, évoquant l’éclosion de la part cachée de Simon vers le grand jour.
La lenteur nous plonge dans une sorte d’envoûtement, alimenté par l’excellente trame sonore de Mathieu Doyon. Courville est un spectacle à déguster sans effort. Une introspection qui coule de source comme un long fleuve tranquille, mais perturbé par la chute vertigineuse de la rivière Montmorency, là où les corps parfois se jettent.
Courville
Texte, conception, mise en scène et interprétation : Robert Lepage. Conception et direction de création : Steve Blanchet. Assistance à la mise en scène : Francis Beaulieu. Manipulation des marionnettes : Wellesley Robertson III, Caroline Tanguay et Martin Vaillancourt. Coconception du décor : Ariane Sauvé. Conception et réalisation des marionnettes : Jean-Guy White et Céline White. Musique originale et conception sonore : Mathieu Doyon. Conception et réalisation des images : Félix Fradet-Faguy. Conception des éclairages : Nicolas Descôteaux. Conception des costumes : Virginie Leclerc. Conception des accessoires : Jeanne Lapierre. Une production d’Ex-Machina/Robert Lepage, présentée au Diamant jusqu’au 23 octobre 2021.