Critiques

Embrasse : Dernier cri

© Yves Renaud

Le Théâtre du Nouveau Monde entame ces jours-ci sa 70e saison avec Embrasse, le tout nouvel opus de Michel Marc Bouchard. À l’instar de plusieurs de ses autres œuvres, l’auteur y aborde un thème qui lui est cher : l’art salvateur face aux tourments intérieurs. L’univers de la mode étant ici la panacée préconisée.

Yves Renaud

Dans un coin reculé du Québec, aux confins d’un centre d’achats où la laideur domine, une mère et son fils tiennent un magasin de textiles. Béatrice et Hugo tentent désespérément d’insuffler un peu de beauté dans ce qui les entoure. Elle, séparée et déçue en amour, jette maladroitement tout son dévolu sur son garçon, passionné de haute couture qui idolâtre un maître émérite en la matière : Yves Saint-Laurent. À l’insu de sa mère, Hugo rêve de suivre les traces de son mentor en allant parfaire son talent dans un collège spécialisé au cœur de la grande ville. En attendant une réponse positive à sa demande d’admission, il manipule frénétiquement ciseaux et aiguilles dans son « bureau des songes » pour donner vie à des patrons invraisemblables.

Dans le patelin, l’existence hors norme de la petite famille dérange, d’autant plus que les voisin·es, surtout Maryse, enseignante à la polyvalente, entendent régulièrement des cris provenant de la maison suspecte. On soupçonne la mère d’être une marâtre. La réplique de la principale intéressée ne tarde pas à venir. Un bon midi, au beau milieu du centre commercial, tout bascule. Insultée par Maryse, Béatrice la frappe; il y a voie de fait. Hugo est honteux et dévasté. Y aura-t-il vengeance ?

Éloge à la beauté

Le drame de Michel Marc Bouchard se décline en 11 tableaux, la plupart présentés sous forme de monologues, comme autant de rapports de témoins appelés à la barre d’un procès, dont le public est le jury. Le décor épuré de Michael Gianfrancesco, habilement éclairé par Etienne Boucher, permet des passages fluides d’un lieu à un autre, alors que des pendrillons de tissus vaporeux découpent harmonieusement l’espace, rappelant subtilement le monde de la mode.

Yves Renaud

Et dans cette création où règne l’esthétisme et sourd une violence latente, Théodore Pellerin irradie la scène. Son visage d’enfant un peu naïf sur ce grand corps maladroit, face à un destin d’adulte difficile à assumer, est bouleversant. Son assurance et la précision de ses gestes de couturier lorsqu’il caresse et manipule mousseline, dentelle et velours sont tout autant impressionnantes. Anne-Marie Cadieux incarne une mère déterminée et au franc-parler. Ses charges émotives et ironiques donnent beaucoup de dynamisme, d’humour et de caractère aux nombreux échanges avec les autres protagonistes. Yves Jacques campe avec justesse un Yves Saint-Laurent dont la façade un peu pompeuse et froide laisse poindre une tendresse assumée. Alice Pascual, quant à elle, s’acquitte bien de son rôle d’institutrice tiraillée devant l’ambiguïté de la situation, ne sachant plus si elle doit jouer à la martyre ou au bourreau. Seul petit accroc à cette distribution sur mesure : le jeu décousu d’Anglesh Major dans la peau d’un policier s’avère peu convaincant.

Embrasse ne marquera peut-être pas la dramaturgie québécoise comme l’ont fait précédemment Les Feluettes,Les Muses orphelines ou encore Tom à la ferme, mais le personnage d’Hugo que crée avec maestria le surdoué Théodore Pellerin vaut assurément le détour.

Embrasse

Texte : Michel Marc Bouchard. Mise en scène : Eda Holmes. Décor : Michael Gianfrancesco. Costumes : Sébastien Dionne. Éclairages : Etienne Boucher. Conception vidéo : Thomas Payette. Musique : Alexander MacSween. Accessoires : Karine Cusson. Maquillages : Audrey Toulouse. Coiffures : Sarah Tremblay. Perruques : Rachel Tremblay. Assistance à la mise en scène et régie : Elaine Normandeau. Avec Anne-Marie Cadieux, Yves Jacques, Anglesh Major, Alice Pascual et Théodore Pellerin. Une coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et du Théâtre Centaur, présentée au TNM jusqu’au 16 octobre 2021.