L’épopée de la pièce À quelle heure on est mort ? commence au milieu des années 1980, lorsqu’un jeune Martin Faucher décide d’éplucher la bibliographie de Réjean Ducharme pour en tirer un spectacle devenu aujourd’hui mythique : À quelle heure on meurt ? Suivant la trame narrative du roman Le Nez qui voque, grâce aux iconiques personnages Mille Milles et Chateaugué, l’œuvre de Faucher se construit néanmoins d’à partir d’une multitude d’écrits de Ducharme, et c’est cet amalgame que le metteur en scène Frédéric Dubois remonte, en 2020, en collaboration avec les commédien·nes Gilles Renaud et Louise Turcot. Les représentations ayant été reportées puis annulées, pour cause de pandémie, c’est un tout autre objet qui nous arrive sur les planches du Quat’Sous cet automne. Tout juste sorti·es de l’école de théâtre, les jeunes interprètes Bozidar Krcevinac et Marie-Madeleine Sarr émergent des ruines d’un texte riche en histoire pour porter sur leurs épaules ces mots, laissés en héritage.
La voix de Louise Turcot résonne dans la salle. Elle raconte la pièce qui n’aura jamais eu lieu, ce que cette fin abrupte aura eu comme effet sur elle. Des extraits des répétitions entre Renaud et Turcot se superposent aux confidences; il et elle nous livrent Ducharme, sans être physiquement présent·es. Comme si la scène était un palimpseste, c’est au tour de Krcevinac et Sarr de réécrire l’histoire devant nous. Leur parole s’imbrique dans celle d’un théâtre passé pour faire renaître, par leurs corps mobiles, la poésie d’un texte iconique.
Debout devant l’effritement
C’est d’ailleurs cette tension, entre un passé inabouti et un présent sans cesse remis de l’avant, qui prendra place tout au long du récit. Si Mille Milles et Chateaugué semblent parfois pouvoir trouver un rythme et un souffle dans ce qu’elle et il racontent, leur élan est sans cesse réprimé par une « panne de courant », représentée par des sauts de lumière. Tout est alors à recommencer : la scène, leurs gestes, la recherche d’une raison de vivre malgré cette multitude de fins qui les assaillent. La fiction ne prend pas le dessus sur un présent qui les pousse à prendre conscience du lieu qui les entoure, des gestes posés. Mais jamais il et elle ne s’arrêtent de jouer, et quel jeu !
Si l’univers enfantin et cruel de Ducharme reprend aussi bien vie, c’est en bonne partie grâce au charisme, à l’aplomb et à l’assurance des deux jeunes interprètes. Ancré·es dans un réel palpable (constamment contraint·es, par exemple, de mesurer avec leurs bras les deux mètres réglementaires qui les séparent l’un·e de l’autre), il et elle se faufilent entre les répétitions des mots pour arriver à raconter Ducharme dans l’espace. Maniant l’absurde avec intelligence, Dubois dirige Sarr et Krcevinac de sorte à ce qu’il et elle ne fassent pas que poursuivre un travail déjà entamé, mais réécrivent sous nos yeux une partition qui leur appartient, honorant ainsi les comédiennes et comédiens d’expérience les ayant précédé·es.
Cette mise en scène du paradoxe entre la vie et la mort, entre la précarité du théâtre et sa force de survie, nous plonge, spectateurs et spectatrices, dans une poésie enivrante et touchante. Mis à part le décor dégarni, pauvre en symboles et en fantaisie, À quelle heure on est mort ? nous raconte avec habileté et sensibilité ce que c’est de créer, de prendre parole après les autres, de faire renaître de l’oubli les mots enterrés. Comme quoi le théâtre et la vie tanguent ensemble sur cette même fragile opposition entre la beauté des débuts et la fulgurance des fins.
Texte : Martin Faucher à partir de l’œuvre de Réjean Ducharme. Mise en scène : Frédéric Dubois. Dramaturgie et conseils artisitiques : Evelyne Londei-Shortall. Assistance mise en scène et régie : Emmanuelle Nappert. Décor : Annick La Bissonnière et Julie Charrette. Lumières : Renaud Pettigrew. Costumes : Linda Brunelle. Accessoires : Julie Charrette. Musique : Pascal Robitaille. Direction de production : Cynthia Bouchard-Gosselin. Direction technique : Rebecca Brouillard. Production et soutien artistique : Julie Marie Bourgeois. Avec Bozidar Krcevinac, Marie-Madeleine Sarr et les voix de Gilles Renaud et Louise Turcot. Une production du Théâtre des Fonds de Tiroirs, en codiffusion avec le Théâtre de Quat’Sous, présenté au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 30 octobre 2021.
L’épopée de la pièce À quelle heure on est mort ? commence au milieu des années 1980, lorsqu’un jeune Martin Faucher décide d’éplucher la bibliographie de Réjean Ducharme pour en tirer un spectacle devenu aujourd’hui mythique : À quelle heure on meurt ? Suivant la trame narrative du roman Le Nez qui voque, grâce aux iconiques personnages Mille Milles et Chateaugué, l’œuvre de Faucher se construit néanmoins d’à partir d’une multitude d’écrits de Ducharme, et c’est cet amalgame que le metteur en scène Frédéric Dubois remonte, en 2020, en collaboration avec les commédien·nes Gilles Renaud et Louise Turcot. Les représentations ayant été reportées puis annulées, pour cause de pandémie, c’est un tout autre objet qui nous arrive sur les planches du Quat’Sous cet automne. Tout juste sorti·es de l’école de théâtre, les jeunes interprètes Bozidar Krcevinac et Marie-Madeleine Sarr émergent des ruines d’un texte riche en histoire pour porter sur leurs épaules ces mots, laissés en héritage.
La voix de Louise Turcot résonne dans la salle. Elle raconte la pièce qui n’aura jamais eu lieu, ce que cette fin abrupte aura eu comme effet sur elle. Des extraits des répétitions entre Renaud et Turcot se superposent aux confidences; il et elle nous livrent Ducharme, sans être physiquement présent·es. Comme si la scène était un palimpseste, c’est au tour de Krcevinac et Sarr de réécrire l’histoire devant nous. Leur parole s’imbrique dans celle d’un théâtre passé pour faire renaître, par leurs corps mobiles, la poésie d’un texte iconique.
Debout devant l’effritement
C’est d’ailleurs cette tension, entre un passé inabouti et un présent sans cesse remis de l’avant, qui prendra place tout au long du récit. Si Mille Milles et Chateaugué semblent parfois pouvoir trouver un rythme et un souffle dans ce qu’elle et il racontent, leur élan est sans cesse réprimé par une « panne de courant », représentée par des sauts de lumière. Tout est alors à recommencer : la scène, leurs gestes, la recherche d’une raison de vivre malgré cette multitude de fins qui les assaillent. La fiction ne prend pas le dessus sur un présent qui les pousse à prendre conscience du lieu qui les entoure, des gestes posés. Mais jamais il et elle ne s’arrêtent de jouer, et quel jeu !
Si l’univers enfantin et cruel de Ducharme reprend aussi bien vie, c’est en bonne partie grâce au charisme, à l’aplomb et à l’assurance des deux jeunes interprètes. Ancré·es dans un réel palpable (constamment contraint·es, par exemple, de mesurer avec leurs bras les deux mètres réglementaires qui les séparent l’un·e de l’autre), il et elle se faufilent entre les répétitions des mots pour arriver à raconter Ducharme dans l’espace. Maniant l’absurde avec intelligence, Dubois dirige Sarr et Krcevinac de sorte à ce qu’il et elle ne fassent pas que poursuivre un travail déjà entamé, mais réécrivent sous nos yeux une partition qui leur appartient, honorant ainsi les comédiennes et comédiens d’expérience les ayant précédé·es.
Cette mise en scène du paradoxe entre la vie et la mort, entre la précarité du théâtre et sa force de survie, nous plonge, spectateurs et spectatrices, dans une poésie enivrante et touchante. Mis à part le décor dégarni, pauvre en symboles et en fantaisie, À quelle heure on est mort ? nous raconte avec habileté et sensibilité ce que c’est de créer, de prendre parole après les autres, de faire renaître de l’oubli les mots enterrés. Comme quoi le théâtre et la vie tanguent ensemble sur cette même fragile opposition entre la beauté des débuts et la fulgurance des fins.
À quelle heure on est mort ?
Texte : Martin Faucher à partir de l’œuvre de Réjean Ducharme. Mise en scène : Frédéric Dubois. Dramaturgie et conseils artisitiques : Evelyne Londei-Shortall. Assistance mise en scène et régie : Emmanuelle Nappert. Décor : Annick La Bissonnière et Julie Charrette. Lumières : Renaud Pettigrew. Costumes : Linda Brunelle. Accessoires : Julie Charrette. Musique : Pascal Robitaille. Direction de production : Cynthia Bouchard-Gosselin. Direction technique : Rebecca Brouillard. Production et soutien artistique : Julie Marie Bourgeois. Avec Bozidar Krcevinac, Marie-Madeleine Sarr et les voix de Gilles Renaud et Louise Turcot. Une production du Théâtre des Fonds de Tiroirs, en codiffusion avec le Théâtre de Quat’Sous, présenté au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 30 octobre 2021.