Critiques

Les Morts : Apprivoiser la fin

La mort arrive à la fin. À Espace Libre, c’est aussi le dernier sujet d’une trilogie du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE) ayant pour but de faire interagir des comédien·nes avec des Animaux (2016), des Bébés (2019) et, maintenant, de fidèles défunt·es. Dans les deux premiers spectacles, des animaux et des bébés occupaient la scène en temps réel. Pour ce qui est de la pièce Les Morts, il s’agit d’un solo du dramaturge et comédien Alexis Martin, accompagné de fantômes.

Marlène Gélineau Payette

Le défi est relevé avec intelligence par celui-ci en compagnie de son acolyte de toujours, le metteur en scène Daniel Brière. Ils ont favorisé, en raison de ce sujet évanescent, l’évocation plutôt que la réalité, les souvenirs et la poésie au lieu du quotidien et d’une langue vernaculaire.

Alexis Martin signe l’un de ses plus beaux textes avec Les Morts. Sa langue littéraire, poétique, occupe un espace-temps flottant au-dessus de la scène, comme des surtitres invisibles. C’est une rareté au théâtre québécois par les temps qui courent. Cette parole métaphorique fait parfois penser à la force des textes du Français Laurent Gaudé. Ce sera une pièce intéressante à lire.

Le récit tient en peu de choses, là n’est pas l’essentiel. Troublé, après avoir vu un chien se faire écraser par une voiture, un homme se retrouve comme par hasard devant la maison de son enfance, habitée désormais par sa tante. La porte étant ouverte, il entre et monte à l’étage retrouver son ancienne chambre. Las, il s’étend quelques instants et, durant son demi-sommeil, ses mort·es lui rendent visite.

Irréel

Le plateau présente une chambre tout à fait habituelle avec porte, lit, fenêtre et multiples accessoires, mais, au fil du récit, chacun de ces éléments prendra vie… habités par le visage et la voix des mort·es. Dans ce dispositif scénique beaucoup plus élaboré qu’il n’y paraît à première vue, c’est la bande sonore qui nous fait surtout entendre la voix du personnage comme si nous entrions dans sa tête. À d’autres moments, il s’exprime en direct, tel un écho de la vie… dans ce climat de mort ! L’irréel s’impose comme seule explication à ce qui se déroule devant nos yeux. Le son, les éclairages, la vidéo et même les accessoires y contribuent. Ils ont été conçus de façon à supporter, dans ce contexte surnaturel, la présence de revenant·es qui n’ont toutefois rien d’inquiétant.

Marlène Gélineau Payette

Il y a quelque chose de déséquilibrant dans cette proposition, le théâtre n’étant plus l’affaire de la littérature depuis longtemps. Le spectacle exige une écoute très attentive puisqu’il s’agit d’un discours fragmenté, tantôt halluciné, tantôt fantastique, provenant d’un personnage nageant entre conscience et inconscience.

Le texte se réfère parfois à L’Odyssée d’Homère et à cet Ulysse voyageur qui, comme le héros fatigué de la pièce, navigue entre les mondes à la recherche des sien·nes. Ici, le protagoniste entend son père, sa grand-mère et son frère décédé·es. Dans un imaginaire où les ombres s’agitent, où le vent parle, où les objets s’animent.

Daniel Brière dirige cet orchestre avec doigté. C’est un ensemble réglé au quart de tour avec de nombreux points d’ancrage technique. Alexis Martin a beau agir seul en scène, son jeu doit s’harmoniser à la bande sonore, à la musique, à la voix des spectres, aux accessoires qui bougent, aux projections vidéo. Sa prestation minimaliste cadre avec le propos du texte, qui n’a rien de naturaliste.

Les Morts ne font pas peur, ils et elles marchent avec nous, disent les artisan·es de ce spectacle difficile à suivre par moments, mais empreint d’un mystère qui colle à l’esprit.

Les morts

Texte et interprétation : Alexis Martin. Mise en scène : Daniel Brière. Assistance à la mise en scène : Alexandra Sutto. Scénographie : Karine Galarneau. Costumes : Claire Geoffrion. Accessoires : Alain Jenkins. Éclairages : Renaud Pettigrew. Musique : Alexander MacSween. Vidéo : ​Lionel Arnould. Intégration vidéo : Pierre Laniel. Conception sonore : Sylvain Bellemare. Régie : Jasmine Kamruzzaman. Une production du Nouveau Théâtre Expérimental, en accompagnement avec Écoscéno, présentée à Espace Libre jusqu’au 6 novembre 2021.