L’heure est grave pour les artistes et artisan∙es de théâtre. Leurs représentant∙es ont rencontré des membres du cabinet de la ministre de la Culture, Nathalie Roy, la semaine dernière pour parler de l’avenir de leur art mis en péril par la crise sanitaire.
La fermeture des salles entraîne une réalité plus douloureuse que lors des vagues pandémiques précédentes : les annulations de spectacles sont aussi, sinon plus, nombreuses que les reports puisque les programmations sont déjà prêtes pour 2022-2023 et, dans certains cas, 2023-2024. La congestion risque donc de perdurer longtemps.
Parmi les participant∙es au rendez-vous du ministère de la Culture, la directrice du Conseil québécois du théâtre (CQT), Catherine Voyer-Léger, croit que l’annonce de la réouverture serait imminente, même si les différences entre les disciplines artistiques ralentissent le processus. « Le gouvernement met tous les exploitants de salle, cinémas et théâtres, dans le même paquet, souligne-t-elle. Ça me fait penser à l’expression « diviser pour mieux régner ». Pendant qu’on se chicane entre nous au sujet des jauges et du port du masque, les choses ne bougent pas. Même en théâtre, les gens ne sont pas tous d’accord entre eux. Je comprends l’idée de rouvrir rapidement, mais les salles éprouvent des problèmes de personnel malade en raison de la pandémie. On entend le cri du cœur des artistes, mais il faut mettre des balises en place avant la réouverture. »
Le milieu théâtral réclame une vision à long terme du gouvernement tenant compte des différents contextes. Le CQT souhaite s’attaquer à l’effet d’entonnoir qu’occasionnent les reports et les annulations de spectacles. « On a aussi rencontré le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, pour réfléchir à la diffusion dans des contextes atypiques, explique Voyer-Léger. Lors de la Journée mondiale du théâtre 2021, c’était le sujet à l’ordre du jour. On n’a jamais réussi à en parler parce qu’on a trop le nez collé sur la pandémie. Ça fait un an qu’on essaie de le faire. »
Mais comment continuer le travail avec des programmations qui débordent sur des années à venir ? Comment écrire, créer, planifier et produire devant un panorama théâtral complètement bouché?
Des spectacles repensés… ou discartés
Michelle Parent et son Pirata Théâtre ont carrément annulé la pièce 100 secondes avant minuit, déjà reportée deux fois auparavant. « L’horizon était déjà passablement congestionné en raison des premiers reports de spectacles en 2020 et 2021. Les saisons sont bouclées jusqu’en 2024 présentement. Personne ne sait quand on pourra jouer un spectacle qui est déjà prêt. Ça fait peur. »
Pirata Théâtre crée des spectacles où intervient la réalité pour ne pas dire l’actualité – 100 secondes… traitait de la crise environnementale – avec des acteurs et actrices professionnel∙les, des non-acteurs et non-actrices où chacun·e des interprètes se joue lui-même ou elle-même. « En cours de route, des artistes ont dû quitter pour une raison ou une autre. Ça exige une réécriture complète parce que c’est toute une trame qui part avec cette personne. La pièce prévue en 2020 était complètement différente de celle qu’on allait jouer cette année. L’actualité et la pandémie ont changé l’angle de la création. »
Pour ne pas voir tout le travail de cinq années s’évanouir dans la nature, Michelle Parent a décidé de réaliser un documentaire sur sa démarche artistique. « J’ai un genre de réflexe acquis qui vient de la précarité de notre milieu et du fait qu’on doit se battre pour monter un show. La pandémie met à jour les conditions chaotiques du théâtre. Je me suis toujours battue pour pouvoir présenter mes spectacles. Je n’ai jamais joué en sachant que j’allais être payée, et ce, depuis 12 ans. »
Elle croit toujours à l’importance du théâtre et à sa capacité de rassembler. Mais la crise l’amène à penser que la communauté théâtrale devra réfléchir davantage à l’avenir. « C’est difficile pour tout le monde, la pandémie, mais il faut analyser le sens de ce qu’on fait en théâtre et comment on le fait. Plus personne ne voudra être programmé en janvier à partir de maintenant. »
Ouvrir ses ornières
De son côté, le nouveau directeur artistique du Théâtre Prospero, Philippe Cyr, confirme la congestion en vue des prochaines saisons. Pour cette raison, il tente de ne pas prendre de décisions précipitées en se laissant une certaine marge de manœuvre. « La fermeture des théâtres n’est pas une solution viable. Toutes sortes de choses peuvent être faites. L’année dernière, on a pu présenter des spectacles avec des jauges réduites et des règles très sévères. Le milieu est capable d’accueillir les gens de manière sécuritaire, plus sérieusement que bien des grandes surfaces commerciales. »
Il ne rejette pas l’idée d’une forme d’états généraux sur le théâtre pour « nommer les choses qui vont plus ou moins bien dans notre milieu et qui sont accentuées par la pandémie ». Il considère cependant qu’il est possible d’améliorer la situation à plus court terme. « Il y a une écologie profondément ancrée, qui est basée sur des modes de fonctionnement, de subvention et de production. Mais c’est l’occasion de commencer à poser de petits gestes pour changer la donne. La pandémie soulève la question de la décroissance dans tous les secteurs d’activité. Comment l’appliquer en théâtre ? Nous sommes évalués à l’inverse. Plus il y a de spectateurs et de spectatrices, plus il a de productions, plus il y a d’activité. Il y a lieu de remettre en question les choses, surtout devant la fatigue et le stress des gens. »
Les trois intervenants estiment que le théâtre trouve peu d’écho auprès d’un gouvernement qui pense en termes d’économie et de production, même en culture. « Ça commence quand le rideau s’ouvre pour eux, note Catherine Voyer-Léger. Nous réclamons des investissements massifs en bourses individuelles, en laboratoires et en recherche-création pour que les artistes puissent travailler quand ils et elles ne sont pas programmé·es. Quand la pandémie va finir, la situation financière ne sera pas facile et j’ai bien peur que notre secteur y goûte, surtout en année électorale. »
Philippe Cyr insiste sur le mal-être bien réel des artistes et artisan∙e∙s. « Ça fonctionne à l’espoir et à la passion, le théâtre, mais les choses s’effondrent en absence de la possibilité de présenter son travail. Il y a un réel exode. Après le départ de plusieurs technicien·nes et travailleurs travailleuses culturel·les, cette vague-ci risque de toucher les artistes et les artisan∙es. On ne peut pas se permettre, dans un moment de pénurie de main-d’œuvre, de les perdre. Les fermetures de salles accélèrent ce mouvement. »
Michelle Parent conclut en disant que le théâtre manque d’amour, en fait. « Le théâtre est peu présent dans notre société. Est-ce qu’il faut se lever et aller manifester ? Peut-être qu’il faut faire du théâtre partout. Pour ce gouvernement, la culture est une industrie. Le théâtre ne fait pas le poids contre tout le reste. C’est un choix économique. Tout ce qu’il essaie de sauver, c’est l’économie. On le voit bien. »
L’heure est grave pour les artistes et artisan∙es de théâtre. Leurs représentant∙es ont rencontré des membres du cabinet de la ministre de la Culture, Nathalie Roy, la semaine dernière pour parler de l’avenir de leur art mis en péril par la crise sanitaire.
La fermeture des salles entraîne une réalité plus douloureuse que lors des vagues pandémiques précédentes : les annulations de spectacles sont aussi, sinon plus, nombreuses que les reports puisque les programmations sont déjà prêtes pour 2022-2023 et, dans certains cas, 2023-2024. La congestion risque donc de perdurer longtemps.
Parmi les participant∙es au rendez-vous du ministère de la Culture, la directrice du Conseil québécois du théâtre (CQT), Catherine Voyer-Léger, croit que l’annonce de la réouverture serait imminente, même si les différences entre les disciplines artistiques ralentissent le processus. « Le gouvernement met tous les exploitants de salle, cinémas et théâtres, dans le même paquet, souligne-t-elle. Ça me fait penser à l’expression « diviser pour mieux régner ». Pendant qu’on se chicane entre nous au sujet des jauges et du port du masque, les choses ne bougent pas. Même en théâtre, les gens ne sont pas tous d’accord entre eux. Je comprends l’idée de rouvrir rapidement, mais les salles éprouvent des problèmes de personnel malade en raison de la pandémie. On entend le cri du cœur des artistes, mais il faut mettre des balises en place avant la réouverture. »
Le milieu théâtral réclame une vision à long terme du gouvernement tenant compte des différents contextes. Le CQT souhaite s’attaquer à l’effet d’entonnoir qu’occasionnent les reports et les annulations de spectacles. « On a aussi rencontré le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, pour réfléchir à la diffusion dans des contextes atypiques, explique Voyer-Léger. Lors de la Journée mondiale du théâtre 2021, c’était le sujet à l’ordre du jour. On n’a jamais réussi à en parler parce qu’on a trop le nez collé sur la pandémie. Ça fait un an qu’on essaie de le faire. »
Mais comment continuer le travail avec des programmations qui débordent sur des années à venir ? Comment écrire, créer, planifier et produire devant un panorama théâtral complètement bouché?
Des spectacles repensés… ou discartés
Michelle Parent et son Pirata Théâtre ont carrément annulé la pièce 100 secondes avant minuit, déjà reportée deux fois auparavant. « L’horizon était déjà passablement congestionné en raison des premiers reports de spectacles en 2020 et 2021. Les saisons sont bouclées jusqu’en 2024 présentement. Personne ne sait quand on pourra jouer un spectacle qui est déjà prêt. Ça fait peur. »
Pirata Théâtre crée des spectacles où intervient la réalité pour ne pas dire l’actualité – 100 secondes… traitait de la crise environnementale – avec des acteurs et actrices professionnel∙les, des non-acteurs et non-actrices où chacun·e des interprètes se joue lui-même ou elle-même. « En cours de route, des artistes ont dû quitter pour une raison ou une autre. Ça exige une réécriture complète parce que c’est toute une trame qui part avec cette personne. La pièce prévue en 2020 était complètement différente de celle qu’on allait jouer cette année. L’actualité et la pandémie ont changé l’angle de la création. »
Pour ne pas voir tout le travail de cinq années s’évanouir dans la nature, Michelle Parent a décidé de réaliser un documentaire sur sa démarche artistique. « J’ai un genre de réflexe acquis qui vient de la précarité de notre milieu et du fait qu’on doit se battre pour monter un show. La pandémie met à jour les conditions chaotiques du théâtre. Je me suis toujours battue pour pouvoir présenter mes spectacles. Je n’ai jamais joué en sachant que j’allais être payée, et ce, depuis 12 ans. »
Elle croit toujours à l’importance du théâtre et à sa capacité de rassembler. Mais la crise l’amène à penser que la communauté théâtrale devra réfléchir davantage à l’avenir. « C’est difficile pour tout le monde, la pandémie, mais il faut analyser le sens de ce qu’on fait en théâtre et comment on le fait. Plus personne ne voudra être programmé en janvier à partir de maintenant. »
Ouvrir ses ornières
De son côté, le nouveau directeur artistique du Théâtre Prospero, Philippe Cyr, confirme la congestion en vue des prochaines saisons. Pour cette raison, il tente de ne pas prendre de décisions précipitées en se laissant une certaine marge de manœuvre. « La fermeture des théâtres n’est pas une solution viable. Toutes sortes de choses peuvent être faites. L’année dernière, on a pu présenter des spectacles avec des jauges réduites et des règles très sévères. Le milieu est capable d’accueillir les gens de manière sécuritaire, plus sérieusement que bien des grandes surfaces commerciales. »
Il ne rejette pas l’idée d’une forme d’états généraux sur le théâtre pour « nommer les choses qui vont plus ou moins bien dans notre milieu et qui sont accentuées par la pandémie ». Il considère cependant qu’il est possible d’améliorer la situation à plus court terme. « Il y a une écologie profondément ancrée, qui est basée sur des modes de fonctionnement, de subvention et de production. Mais c’est l’occasion de commencer à poser de petits gestes pour changer la donne. La pandémie soulève la question de la décroissance dans tous les secteurs d’activité. Comment l’appliquer en théâtre ? Nous sommes évalués à l’inverse. Plus il y a de spectateurs et de spectatrices, plus il a de productions, plus il y a d’activité. Il y a lieu de remettre en question les choses, surtout devant la fatigue et le stress des gens. »
Les trois intervenants estiment que le théâtre trouve peu d’écho auprès d’un gouvernement qui pense en termes d’économie et de production, même en culture. « Ça commence quand le rideau s’ouvre pour eux, note Catherine Voyer-Léger. Nous réclamons des investissements massifs en bourses individuelles, en laboratoires et en recherche-création pour que les artistes puissent travailler quand ils et elles ne sont pas programmé·es. Quand la pandémie va finir, la situation financière ne sera pas facile et j’ai bien peur que notre secteur y goûte, surtout en année électorale. »
Philippe Cyr insiste sur le mal-être bien réel des artistes et artisan∙e∙s. « Ça fonctionne à l’espoir et à la passion, le théâtre, mais les choses s’effondrent en absence de la possibilité de présenter son travail. Il y a un réel exode. Après le départ de plusieurs technicien·nes et travailleurs travailleuses culturel·les, cette vague-ci risque de toucher les artistes et les artisan∙es. On ne peut pas se permettre, dans un moment de pénurie de main-d’œuvre, de les perdre. Les fermetures de salles accélèrent ce mouvement. »
Michelle Parent conclut en disant que le théâtre manque d’amour, en fait. « Le théâtre est peu présent dans notre société. Est-ce qu’il faut se lever et aller manifester ? Peut-être qu’il faut faire du théâtre partout. Pour ce gouvernement, la culture est une industrie. Le théâtre ne fait pas le poids contre tout le reste. C’est un choix économique. Tout ce qu’il essaie de sauver, c’est l’économie. On le voit bien. »