Julie entre en scène telle une furie déchaînée, le ton haut juché. Avec ce débit rapide et survolté qui trahit un profond mal-être. Unique fille d’un riche homme d’affaires, drapée d’une superbe enfantine, ses désirs sont des ordres. Elle manipule son entourage tels de petits chiots qui doivent s’exécuter sur commande. La soirée se passe dans la cuisine du chalet de son père avec deux des employé·es de celui-ci, les deux formant un couple et dont l’un… ou l’une… est l’amant·e de Julie. La rencontre tourne autour d’un poste de direction pour lequel Jean a posé sa candidature. Mais Julie, la belle et privilégiée Julie, a décidé qu’elle veut aussi ce poste. Pour sa part, Christine, secrétaire de direction et fiancée de Jean, se plie aux demandes de l’insouciante jeune fille pour préserver une sorte de statu quo dans la compagnie.
S’engage alors un jeu périlleux entre Jean et Julie, où les désidératas de l’un et l’autre s’opposent. En utilisant son statut de fille du patron à qui tout est dû, Julie déclenche un tsunami autour d’elle. Pour les subalternes, un questionnement s’impose : Comment échapper à la tyrannie des privilégié·es ? Comment saper ce pouvoir illégitime qu’apportent la richesse et la beauté ? Comment se faire valoir par son seul mérite ? Aime-moi parce que rien n’arrive aborde ces questions toujours actuelles comme une forme de violence qui entraîne des réactions en chaîne sur le terrain de la séduction et de l’érotisme, du mensonge et des demi-vérités, du subterfuge, de la ruse, de la trahison.
Se croyant dans son plein droit d’obtenir tout ce qu’elle veut, sans tenir compte de ses « esclaves », quantité négligeable, Julie ouvre une boîte de Pandore qui libère les forces de survie de tous et de toutes. L’injustice est mère de tous les vices. La jeune femme sera broyée par ce syndrome de dieu qu’elle affiche sans retenue.
Lutte de classe et lutte de genre
Au début de chaque représentation, on tire au sort pour déterminer qui dans le couple interprétera l’amant·e et le ou la fiancé·e. Pour la première, Gabriel Fournier a joué l’amant de Julie. Que ce soit l’un ou l’autre, le texte et la mise en scène restent identiques. L’autrice et metteure en scène veut ainsi réfléchir sur les effets de genre. Est-ce que le pouvoir de séduction opère de la même façon chez les hommes et les femmes ? Et comment cela est-il perçu par le public ? Aura-t-il plus de bienveillance envers l’un ou l’autre des personnages selon le genre de son interprète ? À la fin, une courte séquence reprend l’avant-dernière scène en inversant les rôles de Jean et Christine. Cette dernière, en amante, revêt les habits de la conquête et laisse présager un comportement aussi torve que son pendant masculin. Évidemment, nous n’avons pas assisté à la représentation intégrale des rôles inversés. Mais l’exercice vaudrait le déplacement.
Librement inspiré de Mademoiselle Julie d’August Strindberg, ce premier texte de Gabrielle Ferron, dont elle signe la mise en scène, convainc par sa maturité. Solidement arrimés, le texte et la mise en scène installent une tension latente dont le point culminant s’abolira dans une sorte de gouffre aquatique. La pièce est portée par un impeccable trio de jeunes interprètes déjà remarqués sur les scènes de la Capitale. Ariane Bellavance-Fafard (prix Nicky-Roy) campe une Julie en pleine déroute, jouant de ses atouts, de sa fragilité, de son indécise ambition, avalée par sa naïveté. Catherine Côté livre une fiancée servile, très consciente de son attitude, mais bien décidée à avaliser toutes les cruautés pour maintenir son statut. Gabriel Fournier (prix Janine-Angers) incarne un Jean valsant entre assurance virile et recul stratégique, animé par une ruse démoniaque. Une belle leçon sur ces choses malodorantes et pourtant si présentes autour de nous.
Texte et mise en scène : Gabrielle Ferron. Assistance à la mise en scène : Marie-Ève Lussier-Gariépy. Direction de production : Aube Forest-Dion et Auréliane Macé. Chorégraphie : Olivier Arteau. Concepteurs et conceptrices : David B. Ricard, Maude Groleau et Marianne Lebel. Mentorat : Isabelle Hubert et Maryse Lapierre. Avec Ariane Bellavance-Fafard, Catherine Côté et Gabriel Fournier. Une production de L’Apex Théâtre, présentée au Théâtre Premier Acte jusqu’au 5 mars 2022.
Julie entre en scène telle une furie déchaînée, le ton haut juché. Avec ce débit rapide et survolté qui trahit un profond mal-être. Unique fille d’un riche homme d’affaires, drapée d’une superbe enfantine, ses désirs sont des ordres. Elle manipule son entourage tels de petits chiots qui doivent s’exécuter sur commande. La soirée se passe dans la cuisine du chalet de son père avec deux des employé·es de celui-ci, les deux formant un couple et dont l’un… ou l’une… est l’amant·e de Julie. La rencontre tourne autour d’un poste de direction pour lequel Jean a posé sa candidature. Mais Julie, la belle et privilégiée Julie, a décidé qu’elle veut aussi ce poste. Pour sa part, Christine, secrétaire de direction et fiancée de Jean, se plie aux demandes de l’insouciante jeune fille pour préserver une sorte de statu quo dans la compagnie.
S’engage alors un jeu périlleux entre Jean et Julie, où les désidératas de l’un et l’autre s’opposent. En utilisant son statut de fille du patron à qui tout est dû, Julie déclenche un tsunami autour d’elle. Pour les subalternes, un questionnement s’impose : Comment échapper à la tyrannie des privilégié·es ? Comment saper ce pouvoir illégitime qu’apportent la richesse et la beauté ? Comment se faire valoir par son seul mérite ? Aime-moi parce que rien n’arrive aborde ces questions toujours actuelles comme une forme de violence qui entraîne des réactions en chaîne sur le terrain de la séduction et de l’érotisme, du mensonge et des demi-vérités, du subterfuge, de la ruse, de la trahison.
Se croyant dans son plein droit d’obtenir tout ce qu’elle veut, sans tenir compte de ses « esclaves », quantité négligeable, Julie ouvre une boîte de Pandore qui libère les forces de survie de tous et de toutes. L’injustice est mère de tous les vices. La jeune femme sera broyée par ce syndrome de dieu qu’elle affiche sans retenue.
Lutte de classe et lutte de genre
Au début de chaque représentation, on tire au sort pour déterminer qui dans le couple interprétera l’amant·e et le ou la fiancé·e. Pour la première, Gabriel Fournier a joué l’amant de Julie. Que ce soit l’un ou l’autre, le texte et la mise en scène restent identiques. L’autrice et metteure en scène veut ainsi réfléchir sur les effets de genre. Est-ce que le pouvoir de séduction opère de la même façon chez les hommes et les femmes ? Et comment cela est-il perçu par le public ? Aura-t-il plus de bienveillance envers l’un ou l’autre des personnages selon le genre de son interprète ? À la fin, une courte séquence reprend l’avant-dernière scène en inversant les rôles de Jean et Christine. Cette dernière, en amante, revêt les habits de la conquête et laisse présager un comportement aussi torve que son pendant masculin. Évidemment, nous n’avons pas assisté à la représentation intégrale des rôles inversés. Mais l’exercice vaudrait le déplacement.
Librement inspiré de Mademoiselle Julie d’August Strindberg, ce premier texte de Gabrielle Ferron, dont elle signe la mise en scène, convainc par sa maturité. Solidement arrimés, le texte et la mise en scène installent une tension latente dont le point culminant s’abolira dans une sorte de gouffre aquatique. La pièce est portée par un impeccable trio de jeunes interprètes déjà remarqués sur les scènes de la Capitale. Ariane Bellavance-Fafard (prix Nicky-Roy) campe une Julie en pleine déroute, jouant de ses atouts, de sa fragilité, de son indécise ambition, avalée par sa naïveté. Catherine Côté livre une fiancée servile, très consciente de son attitude, mais bien décidée à avaliser toutes les cruautés pour maintenir son statut. Gabriel Fournier (prix Janine-Angers) incarne un Jean valsant entre assurance virile et recul stratégique, animé par une ruse démoniaque. Une belle leçon sur ces choses malodorantes et pourtant si présentes autour de nous.
Aime-moi parce que rien n’arrive
Texte et mise en scène : Gabrielle Ferron. Assistance à la mise en scène : Marie-Ève Lussier-Gariépy. Direction de production : Aube Forest-Dion et Auréliane Macé. Chorégraphie : Olivier Arteau. Concepteurs et conceptrices : David B. Ricard, Maude Groleau et Marianne Lebel. Mentorat : Isabelle Hubert et Maryse Lapierre. Avec Ariane Bellavance-Fafard, Catherine Côté et Gabriel Fournier. Une production de L’Apex Théâtre, présentée au Théâtre Premier Acte jusqu’au 5 mars 2022.