À l’occasion de son cycle consacré aux territoires féminins, Luce Pelletier, directrice artistique du Théâtre de l’Opsis, nous présente une figure majeure de la nouvelle scène théâtrale de l’Europe de l’Est : Nicoleta Esinencu. Avec That Moment – Le Pays des cons, premier texte de l’autrice à être monté au Québec, et basé sur des faits réels, nous découvrons une plume vitriolique qui dénonce de façon décapante les dérives de la Moldavie, pays de l’ex-URSS, aux prises avec une corruption endémique.
Dès l’entrée en salle, une impression oppressante envahit le public. Une immense toile, illustrant la façade d’un HLM de l’époque soviétique, recouvre entièrement l’espace scénique. Nous sommes au cœur de Chisinau, capitale de ce petit état européen, le plus pauvre du continent, enclavé entre l’Ukraine et la Roumanie, et à l’ombre de la puissante Russie. Surplombant l’immeuble à l’architecture surannée, on perçoit l’amorce du drapeau américain qui domine l’horizon comme un rêve inaccessible. Vu la perestroïka et les luttes politiques intestines, les moments heureux se font rares dans la récente histoire de la nation moldave. Même les brefs séjours au bord de la mer Noire, en territoire ukrainien, sont maintenant de vagues souvenirs semant la nostalgie, tant l’accès y est désormais difficile pour sa population.
Oeuvre frontale
Sur scène, cinq chaises sont disséminées. À tour de rôle, les interprètes, trois femmes, deux hommes, de générations différentes, viennent s’y asseoir. De leur îlot respectif, espace restreint et étouffant, à l’image des minuscules appartements que l’on devine à l’arrière-plan, chacun, chacune prend la parole, les regards ne se croisent jamais. Les dialogues n’ont pas lieu. Seules quelques déclamations à l’unisson nous rappellent que, jadis, le noyau familial et le tissu social ont déjà existé. S’adressant directement au public, ces individus exposent avec cynisme, colère, douleur, provocation, et même parfois avec candeur, les moments indécents d’une société en perdition, prête à tout pour satisfaire ses désirs les plus égoïstes. L’égocentrisme règne, l’appât du gain domine. Les valeurs humaines et collectives sont piétinées, car tout peut se vendre et tout peut s’acheter. Un diplôme universitaire, un emploi, une consultation médicale; tout se marchande. Le trafic d’organes est monnaie courante : un rein d’enfant pour un IPhone ? Pourquoi pas !
Le texte incisif est livré avec aplomb par toute la distribution. L’énergie physique qui soutient les répliques est également remarquable tant chaque geste, chaque mouvement est éloquent. Cette dimension atteint d’ailleurs son paroxysme alors que, la charge politique cinglante terminée, les acteurs et actrices, délesté·es de leur parole et de leur chaise, entament une chorégraphie impressionnante. Dans le seul moment de communion du spectacle, et au son d’une musique chaotique, tels des automates incapables de prendre leur destinée en main, ils et elles vont entrer en transe pour finalement se noyer dans l’obscurité d’une mer qui n’aura jamais été aussi noire…
À l’heure où les bottes russes se font entendre aux frontières de certaines démocraties fragiles, ce moment théâtral qui suscite la réflexion vaut assurément le détour.
That Moment – Le Pays des cons
Texte : Nicoleta Esinencu. Traduction : Alexandra Lazarescou. Mise en scène : Luce Pelletier. Assistance à la mise en scène : Martine Richard. Chorégraphie : Sylvain Émard. Scénographie : Olivier Landreville. Éclairages : Erwann Bernard. Costumes : Caroline Poirier. Conception sonore : Martin Tétreault. Maquillages : Sylvie Rolland-Provost. Direction de production et direction technique : Jean-Benoît Mongeau. Avec Christophe Baril, Sylvie De Morais-Nogueira, Caroline Lavigne, Daniel Parent et Laurianne St-Aubin. Une production du Théâtre de l’Opsis, présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 12 mars 2022.
À l’occasion de son cycle consacré aux territoires féminins, Luce Pelletier, directrice artistique du Théâtre de l’Opsis, nous présente une figure majeure de la nouvelle scène théâtrale de l’Europe de l’Est : Nicoleta Esinencu. Avec That Moment – Le Pays des cons, premier texte de l’autrice à être monté au Québec, et basé sur des faits réels, nous découvrons une plume vitriolique qui dénonce de façon décapante les dérives de la Moldavie, pays de l’ex-URSS, aux prises avec une corruption endémique.
Dès l’entrée en salle, une impression oppressante envahit le public. Une immense toile, illustrant la façade d’un HLM de l’époque soviétique, recouvre entièrement l’espace scénique. Nous sommes au cœur de Chisinau, capitale de ce petit état européen, le plus pauvre du continent, enclavé entre l’Ukraine et la Roumanie, et à l’ombre de la puissante Russie. Surplombant l’immeuble à l’architecture surannée, on perçoit l’amorce du drapeau américain qui domine l’horizon comme un rêve inaccessible. Vu la perestroïka et les luttes politiques intestines, les moments heureux se font rares dans la récente histoire de la nation moldave. Même les brefs séjours au bord de la mer Noire, en territoire ukrainien, sont maintenant de vagues souvenirs semant la nostalgie, tant l’accès y est désormais difficile pour sa population.
Oeuvre frontale
Sur scène, cinq chaises sont disséminées. À tour de rôle, les interprètes, trois femmes, deux hommes, de générations différentes, viennent s’y asseoir. De leur îlot respectif, espace restreint et étouffant, à l’image des minuscules appartements que l’on devine à l’arrière-plan, chacun, chacune prend la parole, les regards ne se croisent jamais. Les dialogues n’ont pas lieu. Seules quelques déclamations à l’unisson nous rappellent que, jadis, le noyau familial et le tissu social ont déjà existé. S’adressant directement au public, ces individus exposent avec cynisme, colère, douleur, provocation, et même parfois avec candeur, les moments indécents d’une société en perdition, prête à tout pour satisfaire ses désirs les plus égoïstes. L’égocentrisme règne, l’appât du gain domine. Les valeurs humaines et collectives sont piétinées, car tout peut se vendre et tout peut s’acheter. Un diplôme universitaire, un emploi, une consultation médicale; tout se marchande. Le trafic d’organes est monnaie courante : un rein d’enfant pour un IPhone ? Pourquoi pas !
Le texte incisif est livré avec aplomb par toute la distribution. L’énergie physique qui soutient les répliques est également remarquable tant chaque geste, chaque mouvement est éloquent. Cette dimension atteint d’ailleurs son paroxysme alors que, la charge politique cinglante terminée, les acteurs et actrices, délesté·es de leur parole et de leur chaise, entament une chorégraphie impressionnante. Dans le seul moment de communion du spectacle, et au son d’une musique chaotique, tels des automates incapables de prendre leur destinée en main, ils et elles vont entrer en transe pour finalement se noyer dans l’obscurité d’une mer qui n’aura jamais été aussi noire…
À l’heure où les bottes russes se font entendre aux frontières de certaines démocraties fragiles, ce moment théâtral qui suscite la réflexion vaut assurément le détour.
That Moment – Le Pays des cons
Texte : Nicoleta Esinencu. Traduction : Alexandra Lazarescou. Mise en scène : Luce Pelletier. Assistance à la mise en scène : Martine Richard. Chorégraphie : Sylvain Émard. Scénographie : Olivier Landreville. Éclairages : Erwann Bernard. Costumes : Caroline Poirier. Conception sonore : Martin Tétreault. Maquillages : Sylvie Rolland-Provost. Direction de production et direction technique : Jean-Benoît Mongeau. Avec Christophe Baril, Sylvie De Morais-Nogueira, Caroline Lavigne, Daniel Parent et Laurianne St-Aubin. Une production du Théâtre de l’Opsis, présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 12 mars 2022.