Élaborée sous le commissariat de l’éminente juriste Louise Arbour, ex-juge de la Cour suprême du Canada, entre autres accomplissements, la cinquième édition du Scriptarium s’ouvre sur un tribunal désert, pris d’assaut par des personnages biscornus, sous les éclairages habiles d’Ariane Roy. Sont-ce des saltimbanques nécessiteux et nécessiteuses ? Ou des personnes sans domicile fixe souffrant de désordres mentaux ? Ou encore simplement des clown·es ? Reste qu’ils et elles s’expriment en charabia, sont vêtu·es de hardes carnavalesques, qu’ils et elles s’esclaffent à l’énoncé de la présomption d’innocence et font farce de tout élément de ce décor judiciaire. Ceux et celles qui sont peu friand·es du genre choisi pour ce prélude attendront plus ou moins patiemment que l’on passe à autre chose, ce qui adviendra, heureusement.
En fait, différents tons se succéderont dans cet opus composé à 16 mains adolescentes et orchestré par la codirectrice artistique du Théâtre Le Clou, Monique Gosselin, ce qui exigera de la polyvalence, voire une certaine virtuosité de la part du quatuor de comédien·nes. Les dramaturges en herbe font un procès des causes qui leur tiennent à cœur, dénoncent sous forme de plaidoyers, d’accusations et de débats les injustices qui les courroucent. Si certaines litiges peinent à convaincre de leur portée (comme les allégations d’exigences outrancières de la part du système scolaire québécois qui empêchent les étudiant·es de paresser au lit le matin), d’autres se révèlent incontestablement pertinentes. C’est le cas de l’affrontement oratoire entre un rédacteur en chef et une journaliste, celle-ci soutenant que les travailleuses du sexe sont délibérément invisibilisées, qu’elles n’ont pas droit de parole sur la place publique et notamment dans les médias. On s’incline, d’une part, devant la maturité de telles considérations et, d’autre part, devant la richesse de l’argumentaire.
Dissidence
Évidemment, la formule argumentative peut difficilement être dissociée d’un certain didactisme… qui se pare à l’occasion d’une aura moralisatrice. Est-ce que la leçon passe mieux parce qu’elle assénée par des adolescent·es qui, au demeurant, désirent éveiller les sensibilités aux injustices afin de voir évoluer la société qui sera la leur ? Sans doute. Dans cette optique, on pardonnera bien davantage l’itération d’observations qui relèvent désormais de lieux communs – dont le fait que les options de costumes offertes aux femmes, à l’Halloween, comportent pratiquement toutes la sexualisation à outrance de leurs corps – parce qu’il s’agit de prises de conscience de citoyen·nes en début de parcours qui tentent de les transmettre à leurs semblables. Il est même rassurant de constater leur indignation.
Qui plus est, certaines saynètes visent juste. Si la confrontation d’un jeune aux préjugés de ses grands-parents en ce qui concerne les quêtes identitaires liées au genre s’avère amusante – et tout particulièrement les apartés du narrateur –, l’histoire de l’hôtelier accusé de discrimination pour avoir refusé l’accès de son établissement à une personne autochtone, par la suite retrouvée morte de froid dans le stationnement, conjugue efficacité formelle et puissance du propos. En effet, s’y liguent contre le scélérat des manifestant·es des Premières Nations, les autorités policières ainsi que sa propre employée, qui s’expriment tous et toutes par la voix d’instruments de musique (respectivement le violon, la flûte et le gazou). Il est franchement touchant d’entrevoir, dans ce tableau, que si l’on s’unit pour dénoncer (et condamner légalement !) les abus, l’oppresseur·e perd enfin son pouvoir d’oppression.
Le Scriptarium 2022 poursuit ensuite sa mutation tonale et s’achève sur une note tragique en abordant les attentats de l’assassin samouraï ayant eu lieu le soir de l’Halloween 2020 à Québec. C’est, en fait, le katana, l’arme du crime, qui prend la parole pour plaider en faveur d’une prise en compte accrue de la santé mentale des individus perpétrant des actes criminels. Un texte audacieux, sensible… et potentiellement polémique. Une chute que le début du spectacle était loin de laisser présager et que l’on apprécie d’autant plus.
Texte : Tarek Beyaz, Maya Boissonneau, Chloé Brassard, Roman de Courville Nicol-Harvey, Sacha Fontaine, Lula Lepage, Rime Moussa et Mickaela Nduwimana. Mise en scène : Monique Gosselin. Commissariat : Louise Arbour. Dramaturgie : Éric Noël et Monique Gosselin. Assistance à la mise en scène : Ariane Roy. Scénographie : Josée Bergeron-Proulx. Costumes : Margot Lacoste. Assistance aux costumes : Mayumi Ide-Bergeron. Éclairages : Ariane Roy. Conception sonore et musicale : Sarah Leblanc-Gosselin. Vidéo : Pierre-Luc Hamelin. Avec Yann Aspirot, Maude Bouchard, Geneviève Labelle et Félix Lahaye. Une production du Théâtre Le Clou, en collaboration le Théâtre Denise-Pelletier et le Théâtre Jeunesse Les Gros Becs, présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 6 mai 2022, puis du 11 au 13 mai 2022.
Élaborée sous le commissariat de l’éminente juriste Louise Arbour, ex-juge de la Cour suprême du Canada, entre autres accomplissements, la cinquième édition du Scriptarium s’ouvre sur un tribunal désert, pris d’assaut par des personnages biscornus, sous les éclairages habiles d’Ariane Roy. Sont-ce des saltimbanques nécessiteux et nécessiteuses ? Ou des personnes sans domicile fixe souffrant de désordres mentaux ? Ou encore simplement des clown·es ? Reste qu’ils et elles s’expriment en charabia, sont vêtu·es de hardes carnavalesques, qu’ils et elles s’esclaffent à l’énoncé de la présomption d’innocence et font farce de tout élément de ce décor judiciaire. Ceux et celles qui sont peu friand·es du genre choisi pour ce prélude attendront plus ou moins patiemment que l’on passe à autre chose, ce qui adviendra, heureusement.
En fait, différents tons se succéderont dans cet opus composé à 16 mains adolescentes et orchestré par la codirectrice artistique du Théâtre Le Clou, Monique Gosselin, ce qui exigera de la polyvalence, voire une certaine virtuosité de la part du quatuor de comédien·nes. Les dramaturges en herbe font un procès des causes qui leur tiennent à cœur, dénoncent sous forme de plaidoyers, d’accusations et de débats les injustices qui les courroucent. Si certaines litiges peinent à convaincre de leur portée (comme les allégations d’exigences outrancières de la part du système scolaire québécois qui empêchent les étudiant·es de paresser au lit le matin), d’autres se révèlent incontestablement pertinentes. C’est le cas de l’affrontement oratoire entre un rédacteur en chef et une journaliste, celle-ci soutenant que les travailleuses du sexe sont délibérément invisibilisées, qu’elles n’ont pas droit de parole sur la place publique et notamment dans les médias. On s’incline, d’une part, devant la maturité de telles considérations et, d’autre part, devant la richesse de l’argumentaire.
Dissidence
Évidemment, la formule argumentative peut difficilement être dissociée d’un certain didactisme… qui se pare à l’occasion d’une aura moralisatrice. Est-ce que la leçon passe mieux parce qu’elle assénée par des adolescent·es qui, au demeurant, désirent éveiller les sensibilités aux injustices afin de voir évoluer la société qui sera la leur ? Sans doute. Dans cette optique, on pardonnera bien davantage l’itération d’observations qui relèvent désormais de lieux communs – dont le fait que les options de costumes offertes aux femmes, à l’Halloween, comportent pratiquement toutes la sexualisation à outrance de leurs corps – parce qu’il s’agit de prises de conscience de citoyen·nes en début de parcours qui tentent de les transmettre à leurs semblables. Il est même rassurant de constater leur indignation.
Qui plus est, certaines saynètes visent juste. Si la confrontation d’un jeune aux préjugés de ses grands-parents en ce qui concerne les quêtes identitaires liées au genre s’avère amusante – et tout particulièrement les apartés du narrateur –, l’histoire de l’hôtelier accusé de discrimination pour avoir refusé l’accès de son établissement à une personne autochtone, par la suite retrouvée morte de froid dans le stationnement, conjugue efficacité formelle et puissance du propos. En effet, s’y liguent contre le scélérat des manifestant·es des Premières Nations, les autorités policières ainsi que sa propre employée, qui s’expriment tous et toutes par la voix d’instruments de musique (respectivement le violon, la flûte et le gazou). Il est franchement touchant d’entrevoir, dans ce tableau, que si l’on s’unit pour dénoncer (et condamner légalement !) les abus, l’oppresseur·e perd enfin son pouvoir d’oppression.
Le Scriptarium 2022 poursuit ensuite sa mutation tonale et s’achève sur une note tragique en abordant les attentats de l’assassin samouraï ayant eu lieu le soir de l’Halloween 2020 à Québec. C’est, en fait, le katana, l’arme du crime, qui prend la parole pour plaider en faveur d’une prise en compte accrue de la santé mentale des individus perpétrant des actes criminels. Un texte audacieux, sensible… et potentiellement polémique. Une chute que le début du spectacle était loin de laisser présager et que l’on apprécie d’autant plus.
Le Scriptarium 2022
Texte : Tarek Beyaz, Maya Boissonneau, Chloé Brassard, Roman de Courville Nicol-Harvey, Sacha Fontaine, Lula Lepage, Rime Moussa et Mickaela Nduwimana. Mise en scène : Monique Gosselin. Commissariat : Louise Arbour. Dramaturgie : Éric Noël et Monique Gosselin. Assistance à la mise en scène : Ariane Roy. Scénographie : Josée Bergeron-Proulx. Costumes : Margot Lacoste. Assistance aux costumes : Mayumi Ide-Bergeron. Éclairages : Ariane Roy. Conception sonore et musicale : Sarah Leblanc-Gosselin. Vidéo : Pierre-Luc Hamelin. Avec Yann Aspirot, Maude Bouchard, Geneviève Labelle et Félix Lahaye. Une production du Théâtre Le Clou, en collaboration le Théâtre Denise-Pelletier et le Théâtre Jeunesse Les Gros Becs, présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 6 mai 2022, puis du 11 au 13 mai 2022.