Critiques

Les Érotisseries : essais érotiques consensuels : Déconfiner le corps sexué

attendait Érotisseries faut dire© Hugo St-Laurent

On les attendait, ces Érotisseries et, il faut le dire, c’est probablement le spectacle à aller voir, après deux ans de confinement total ou partiel, pour toutes les personnes à qui la pandémie a fermé à double tour les portes baroques du plaisir charnel. Le contexte ne saurait être plus juste, d’autant plus que quelques jours avant la première, la Cour suprême des États-Unis avouait, à son corps défendant d’ailleurs, vouloir revenir sur sa décision dans le procès Roe c. Wade, prise il y a 50 ans, suivant ainsi ce fétiche récurrent des extrémistes religieux et religieuses qui consiste à nier aux femmes la liberté de disposer de leur propre corps.

Dans cette conjoncture, le spectacle de cirque pour adultes consentant·es de 18 ans et plus, orné du sous-titre Essais érotiques consensuels, prend l’allure d’un manifeste d’une extrême actualité, rappelant du même coup le caractère hautement politique de la sexualité. Mais qui dit politique ne dit pas forcément complet-cravate et discours ennuyeux, loin de là. C’est à une fête de la pulsion et du fantasme que nous convie Carmagnole à l’Espace Libre, toutes portes ouvertes. En seize tableaux de longueurs disparates, public « sec » (voyeur, passif) et public « mouillé » (participant aux numéros) se verront soumettre différentes visions et interprétations de l’érotisme dans une salle fumante pulsant sous les effets d’une trame sonore aux saveurs surtout électroniques, d’une efficacité remarquable.

attendait Érotisseries faut direHugo St-Laurent

Revisiter les classiques

Qui dit érotisme dit aussi cliché. Il est pourtant étonnant de constater à quel point les créatrices Éliane Bonin, Catherine Desjardins-Béland et Marie-Christine Simoneau ne sombrent à aucun moment dans la facilité ou la répétition. Chaque tableau, si court ou long soit-il, est façonné avec délicatesse et avec une attention pour chaque détail. Y verra-t-on l’éternelle femme vêtue de vinyle noir engoncée dans son corset ? Bien entendu. Cependant, l’archétype est réinvesti à l’aide d’éléments de décor et de costume relevant de la poésie surréaliste, qui font mouche. Strip-tease ? Scène de bain ? Évidemment, mais encore là, sans impression de déjà-vu-cent-fois. 

Parlons-en de cette scène de bain, particulièrement réussie. Après l’un des moments les plus hauts en couleur du spectacle, où plusieurs personnes du public sont conviées sur scène pour chanter Joyeux anniversaire à un·e quidam (le pauvre gâteau, amené en grande pompe, en aura vu de toutes les couleurs), la lumière se tamise et le bruit de l’eau qui tombe calme les esprits échauffés. Desjardins-Béland, absolument lumineuse du début à la fin, expose avec douceur et aplomb son intimité, ses fantasmes, ses orgasmes.

Les performeurs et performeuses sont dans une forme redoutable, et les tableaux, appuyés par de très beaux éclairages et une utilisation judicieuse de tout l’espace de jeu, les mettent adroitement en lumière. L’image de Bonin, dos au public, ondulant des muscles du dos tout en jouant avec une corde lisse, demeure une vision fascinante, bien que trop courte. De Simoneau, on retient le solo de fouets, d’une beauté à couper le souffle. Leurs crépitements hypersoniques font pâlir ses autres numéros d’artiste de feu, moins saisissants.

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De belles images, vraiment, et des artistes débordant·es d’énergie, pour un public qui ne doit pas avoir froid aux yeux. On regrette tout de même que les hommes soient relégués au rang de changeurs de décors, et essentiellement d’intermèdes comiques, durant les deux tiers du spectacle, mais en réfléchissant à l’actualité, on se dit que la gent masculine en a bien assez fait comme ça et qu’être discrète une fois de temps en temps ne devrait pas lui faire immensément de tort. 

Le monologue final d’Éliane Bonin, prononcé sans fard, d’une simplicité et d’une vulnérabilité désarmantes, frappe fort et rappelle que toute manifestation sexuelle consensuelle est une victoire pour la liberté d’expression et pour le droit de chaque individu au plaisir..

Les Érotisseries : essais érotiques consensuels

Création et interprétation : Catherine Desjardins-Béland, Éliane Bonin, Marie-Christine Simoneau, Antonin Desmarais-Godin et Hugo Julien. Conseils artistiques : Mathieu Riel et Stéphane Crête. Éclairages et direction technique : Gabrielle Garant. Musique : David Babin. Direction de production et régie : Marie-Jade Lemonde. Une création des Productions Carmagnole, présentée au Théâtre Espace Libre jusqu’au 21 mai 2022.