Critiques

Re : Incarnation : Questions de vie… et de mort

© Blandine Soulage

Quel coup d’envoi percutant pour la 16e édition du Festival TransAmériques que cette prise d’assaut de la vaste scène du Théâtre Jean-Duceppe par 10 danseurs et danseuses africain·es, vêtu·es de tenues colorées et disparates, accompagné·es de deux musiciens, dans une chorégraphie enlevante, au rythme effréné, ponctuée de solos, de duos et de trios, livrée avec une énergie vive et envoûtante ! Or, ce qui s’amorce en affichant des allures festives se transmue rapidement en des tableaux plus sombres. Car, telle une allégorie reflétant l’histoire du continent africain, perclus de stigmates sociopolitiques mais déterminé à renaître, Re : Incarnation traite d’abord de la naissance, puis de la mort et enfin de la résurrection. En ce sens, il n’est pas anodin que le chorégraphe nigérian Qudus Onikeku ait élaboré son spectacle de concert avec des danseurs et danseuses de la jeune génération (débusqué·es sur les réseaux sociaux), celle pour qui et grâce à qui tous les espoirs sont permis.

Quel coup envoi percutantHerve Veronese

Ce partenariat créatif donne vie à un style mariant les influences traditionnelles à celles des danses de rue, sans oublier la danse contemporaine et même un brin de pantomime. La fluidité rivalise avec la syncope, l’impétuosité avec la maîtrise dans cette gestuelle hybride et véhémente. Sur des airs d’afrobeat dynamiques, mais aussi sur des mélodies plus lentes, voire méditatives – aux percussions se superposent des notes de trompette et de guitare, entre autres, livrées en direct sur scène –, les numéros se succéderont, abordant divers types de détresse. L’un sera ostracisé par sa bande, un autre succombera à l’appel irrépressible des substances illicites, tandis qu’un autre sera en proie à ce que l’on devine représenter les démons de la maladie mentale. Toujours, ils et elles seront rejoint·es par une procession de personnages étranges, masqués, voilés ou coiffés de couvre-chefs étonnants, munis de bâtons de mages et défilant en cortège, créatures d’outre-tombe venues porter secours aux malheureux et malheureuses… ou plutôt abréger leurs souffrances.

Humanité en fusion

Les éclairages savent soutenir le contenu narratif de la chorégraphie et mettre en valeur les maquillages et les costumes bigarrés. Notons, par ailleurs, que le cercle de lumière rouge, dans lequel s’engouffre la troupe à la fin de la partie consacrée à la mort, marque symboliquement la présence de l’une des danseuses, décédée au cours de la création du spectacle. Un ajout touchant, et en parfaite cohérence avec le propos de Re : Incarnation.

Quel coup envoi percutantHerve Veronese

La principale ombre entachant ce flamboyant tableau s’avère l’enfilade de maximes (et, inévitablement, de lieux communs) énoncées par l’une des interprètes (Une famille unie est une famille forte, Qui abuse de sa bonne fortune verra sa chance lui échapper…) entre les deuxième et troisième parties, qui détonne face à la finesse des messages et définitions projetées en fond de scène au fil de la représentation (sur les différences, la mort, la renaissance…). Cet intermède permet néanmoins aux danseurs et danseuses de s’enduire d’un pigment noir saturé qui, lorsque que les illumine soudain un projecteur, donne au groupe arborant des parures de tête cornues, l’air d’un rassemblement de diablotin·es. Un effet saisissant.

Les mouvements se feront alors plus frénétiques, viscéraux, voire primitifs, au sens où ils semblent illustrer les pulsions humaines brutes, sans polissage ni censure. Cette bacchanale délicieusement cauchemardesque fascine, hypnotise et va jusqu’à semer le frêle espoir que la fin ne serait pas tant à redouter, puisqu’elle ne serait, peut-être, qu’un prélude au recommencement.

Re : Incarnation

Conception et direction artistique : Qudus Onikeku. Cocréation et interprétation : Wisdom Bethel, Addy Daniel, Patience Ebute, Esther Essien, Joshua Gabriel, Faith Okoh, Angela Okolo, Busalo Olowu, Adila Omotosho et Obiajulu Sunday Ozegbe. Musique : Victor Ademofe et Olatunde Obajeun. Lumières : Mathew Yusuf. Costumes : Wack NG. Vidéo : Isaac Lartey. Une production de QDance Company, en coproduction avec YK Projects (Paris), la Biennale de la danse (Lyon), Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris), Les Halles de Schaerbeek (Bruxelles), le Théâtre Paul-Éluard (Bezons), Escales danse en Val-d’Oise et le Théâtre national de Bretagne (Renne), présentée à l’occasion du Festival TransAmériques au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 28 mai 2022.