En chantier depuis 2019, cette révérence offerte aux grandes chanteuses de la Belle Province ne constitue certainement pas le meilleur spectacle de la Série hommage du Cirque du Soleil, mais il se veut sans doute le plus poétique – suivi de Stone, consacré à l’univers de Luc Plamondon. Et une part de ces velléités lyriques fait mouche. Le décor onirique ravit, complété par des costumes déclinant plusieurs nuances de rouge, du vermillon au cramoisi, et la relecture de certaines chansons s’avère franchement heureuse. Cependant, à quelques exceptions près, le contenu circassien et dansé se révèle convenu, sans surprise ni élan de génie ou de créativité enlevante. S’y superpose, qui plus est, une trame narrative floue, à laquelle peinent à s’arrimer les pièces musicales sélectionnées.
Le programme de soirée promet une quête, celle d’une jeune reine devant guider son peuple (vers où ? pourquoi ?), orientée par des êtres mystérieux. Or ces ambitions narratives ne prennent que fort confusément forme sur scène. Ajoute à cette équivocité l’étrangeté des costumes qui amalgament des figures d’archevêques, de cerfs et même celle d’un homard, carapace de tissus dont se déleste une artiste voltigeuse suspendue par sa chevelure. En quoi cet univers déjanté est-il compatible avec « C.O.B.R.A. », « Mommy » et autres « I’m Alive » ? Difficile à dire, hélas !
Heureusement, pour la première fois depuis le début de cette série de spectacles, des chanteuses sont présentes sur scène et y interprètent les versions revampées de cette trame sonore éclectique : « Tous les cris les S.O.S. » aux ukulélés, « Le Début d’un temps nouveau » épousant des sonorités et un rythme festifs. Ces trois artistes vocales – dont la diversité culturelle et corporelle est bienvenue –, vêtues d’une combinaison ajustée et d’un chapeau rappelant la forme d’un coquelicot, apportent un surcroît d’âme à la production.
Il en va de même de la petite héroïne, Phoénix, qui chante « C’est zéro », de Julie Masse, à laquelle le jeune âge de l’interprète suggère une tout autre signification. Plutôt qu’à une rupture amoureuse, on pense spontanément à l’abandon par un parent, ce qui confère un pathétisme poignant et inattendu à ce classique du répertoire populaire québécois. Par ailleurs, il semble de bon ton, par les temps qui courent, d’inclure un·e ou des enfants à des spectacles. Sans compter, bien entendu, la comédie musicale Annie, c’était aussi le cas du décevant coup d’envoi du Festival Montréal complètement cirque, Après la nuit, et la prochaine saison de la Maison Théâtre prévoit quelques productions dont la distribution comporte des jeunes. Serions-nous face à une nouvelle tendance ?
Et le cirque dans tout ça ?
Après un numéro d’ouverture de trampo-mur livré certes dans les règles de l’art, mais sans innovation, ainsi qu’un solo de suspension par les cheveux dont l’originalité repose entièrement sur ce mode de suspension, on commence à apprivoiser la perspective selon laquelle le sixième opus de la Série hommage du Cirque du Soleil sera bien exécuté, mais n’emballera point – contrairement à d’autres, comme Tout écartillé par exemple, où l’on a pu assister à une véritable recherche, au dépassement des limites de l’art circassien. Alors débute un éblouissant duo de sphère, appareil semblable à deux cerceaux entrecroisés, accroché dans les airs. Sur fond de nuit étoilée et avec pour trame sonore « Entre l’ombre et la lumière » de Marie Carmen, deux artistes mongoles – que l’on verra plus tard se livrer à des prouesses de contorsion et d’équilibre – démontrent une souplesse, une élégance et une créativité saisissantes. On questionnera, de ce fait, le choix de la metteuse en scène Lydia Bouchard, qui assume aussi la direction des chorégraphies, de distraire le public lors ce délicieux passage en le grevant d’une parade des archevêques munis de lanternes.
On se réconciliera bientôt avec ces éminences, néanmoins, lorsqu’ils se transmueront en b-boys au son du « Chica Chica Boum Chic » popularisé par Alys Robi… en version hip-hop. Ce numéro de danse sera le plus captivant de la soirée, cependant, puisque les autres ont tendance à lasser par la banalité des mouvements et enchaînements. On se prend à se demander si une plus grande place est accordée à la danse dans cette production, par opposition aux précédentes offertes à l’Amphithéâtre Cogeco, ou si elles s’avèrent simplement moins intéressantes – si on les compare à celles de Joyeux Calvaire notamment.
Autre numéro phare de Vive nos divas : la danse du feu de l’États-unien Lisiate « Oné » Tovo, qui enflamme littéralement et métaphoriquement scène et salle, et qui introduit le numéro de clôture apothéotique du spectacle, où la jeune reine – qui semble avoir accompli son obscure mission – est hissée au cœur d’un soleil irradiant d’une multitude de lumières colorées, point d’orgue de la scénographie soignée et évocatrice de Simon Guilbault, le tout en entonnant la chanson fort à propos « Un peu plus haut, un peu plus loin », écrite par Jean-Pierre Ferland pour Ginette Reno.
Ainsi, il est sans doute légitime d’avancer que Vive nos divas est un spectacle à grand déploiement, à l’esthétique léchée et à la trame sonore agréable qui devrait plaire au grand public. Quoi qu’il en soit, les amateurs et amatrices de cirque, voire de danse, aux exigences plus pointues, pour qui l’inventivité prime le faste et la beauté, de même que les spectateurs et spectatrices épris·es d’une dramaturgie riche et éloquente, risquent fort de rester sur leur appétit.
Direction de création : Marie-Hélène Delage. Mise en scène et direction chorégraphique : Lydia Bouchard. Direction musicale et arrangements : Jean-Phi Goncalves. Assistance à la mise en scène : Édith Collin-Marcoux et Merryn Kritzinger. Scénographie : Simon Guilbault. Conception des éclairages : Erwann Bernard. Conception des costumes : Nicolas Vaudelet. Assistance à la conception des costumes : Guy Brassard. Conception des maquillages : Audrey Toulouse. Conception des accessoires : Alain Jenkins. Assistance à la conception des accessoires : Eric Henry. Conception acrobatique : Sonya St-Martin. Chorégraphies : Édith Collin-Marcoux et Véronique Giasson. Coaching acrobatique : Johanne Gélinas. Avec (danse) Alain Abboud, David (DVD) Michel, Kevin Desrivaux (Sonik), Andrew Ea, Zachary van Gils, Sean Wathen, Erin Jolie Leblanc, Véronique Giasson, Merryn Kritzinger, Yoherlandy Tejeiro Garcia, Danny de Matos et Lauri-Ann Lauzon ; (chant) Anaïs Gonzales et Colette Lemay (en alternance), Francesca Comeau, Marie-Christine Depestre et Heidi Jutras ; (cirque) Erdenesuvd Ganbaatar Suvda, Buyankhishing Ganbaatar Buyana, Mizuki Shinagawa, Ileana Pastorino, Joshua Vinette, Jessica Desjardins, Jean-Denis Roy, Yamamoto Natsume, Yamamoto Tamaki, Nagasaka Aya, Tamahashi Mika, Lisiate « Oné » Tovo et Eve Diamond. Une production du Cirque du Soleil, présentée à l’Amphithéâtre Cogeco jusqu’au 20 août 2022.
En chantier depuis 2019, cette révérence offerte aux grandes chanteuses de la Belle Province ne constitue certainement pas le meilleur spectacle de la Série hommage du Cirque du Soleil, mais il se veut sans doute le plus poétique – suivi de Stone, consacré à l’univers de Luc Plamondon. Et une part de ces velléités lyriques fait mouche. Le décor onirique ravit, complété par des costumes déclinant plusieurs nuances de rouge, du vermillon au cramoisi, et la relecture de certaines chansons s’avère franchement heureuse. Cependant, à quelques exceptions près, le contenu circassien et dansé se révèle convenu, sans surprise ni élan de génie ou de créativité enlevante. S’y superpose, qui plus est, une trame narrative floue, à laquelle peinent à s’arrimer les pièces musicales sélectionnées.
Le programme de soirée promet une quête, celle d’une jeune reine devant guider son peuple (vers où ? pourquoi ?), orientée par des êtres mystérieux. Or ces ambitions narratives ne prennent que fort confusément forme sur scène. Ajoute à cette équivocité l’étrangeté des costumes qui amalgament des figures d’archevêques, de cerfs et même celle d’un homard, carapace de tissus dont se déleste une artiste voltigeuse suspendue par sa chevelure. En quoi cet univers déjanté est-il compatible avec « C.O.B.R.A. », « Mommy » et autres « I’m Alive » ? Difficile à dire, hélas !
Heureusement, pour la première fois depuis le début de cette série de spectacles, des chanteuses sont présentes sur scène et y interprètent les versions revampées de cette trame sonore éclectique : « Tous les cris les S.O.S. » aux ukulélés, « Le Début d’un temps nouveau » épousant des sonorités et un rythme festifs. Ces trois artistes vocales – dont la diversité culturelle et corporelle est bienvenue –, vêtues d’une combinaison ajustée et d’un chapeau rappelant la forme d’un coquelicot, apportent un surcroît d’âme à la production.
Il en va de même de la petite héroïne, Phoénix, qui chante « C’est zéro », de Julie Masse, à laquelle le jeune âge de l’interprète suggère une tout autre signification. Plutôt qu’à une rupture amoureuse, on pense spontanément à l’abandon par un parent, ce qui confère un pathétisme poignant et inattendu à ce classique du répertoire populaire québécois. Par ailleurs, il semble de bon ton, par les temps qui courent, d’inclure un·e ou des enfants à des spectacles. Sans compter, bien entendu, la comédie musicale Annie, c’était aussi le cas du décevant coup d’envoi du Festival Montréal complètement cirque, Après la nuit, et la prochaine saison de la Maison Théâtre prévoit quelques productions dont la distribution comporte des jeunes. Serions-nous face à une nouvelle tendance ?
Et le cirque dans tout ça ?
Après un numéro d’ouverture de trampo-mur livré certes dans les règles de l’art, mais sans innovation, ainsi qu’un solo de suspension par les cheveux dont l’originalité repose entièrement sur ce mode de suspension, on commence à apprivoiser la perspective selon laquelle le sixième opus de la Série hommage du Cirque du Soleil sera bien exécuté, mais n’emballera point – contrairement à d’autres, comme Tout écartillé par exemple, où l’on a pu assister à une véritable recherche, au dépassement des limites de l’art circassien. Alors débute un éblouissant duo de sphère, appareil semblable à deux cerceaux entrecroisés, accroché dans les airs. Sur fond de nuit étoilée et avec pour trame sonore « Entre l’ombre et la lumière » de Marie Carmen, deux artistes mongoles – que l’on verra plus tard se livrer à des prouesses de contorsion et d’équilibre – démontrent une souplesse, une élégance et une créativité saisissantes. On questionnera, de ce fait, le choix de la metteuse en scène Lydia Bouchard, qui assume aussi la direction des chorégraphies, de distraire le public lors ce délicieux passage en le grevant d’une parade des archevêques munis de lanternes.
On se réconciliera bientôt avec ces éminences, néanmoins, lorsqu’ils se transmueront en b-boys au son du « Chica Chica Boum Chic » popularisé par Alys Robi… en version hip-hop. Ce numéro de danse sera le plus captivant de la soirée, cependant, puisque les autres ont tendance à lasser par la banalité des mouvements et enchaînements. On se prend à se demander si une plus grande place est accordée à la danse dans cette production, par opposition aux précédentes offertes à l’Amphithéâtre Cogeco, ou si elles s’avèrent simplement moins intéressantes – si on les compare à celles de Joyeux Calvaire notamment.
Autre numéro phare de Vive nos divas : la danse du feu de l’États-unien Lisiate « Oné » Tovo, qui enflamme littéralement et métaphoriquement scène et salle, et qui introduit le numéro de clôture apothéotique du spectacle, où la jeune reine – qui semble avoir accompli son obscure mission – est hissée au cœur d’un soleil irradiant d’une multitude de lumières colorées, point d’orgue de la scénographie soignée et évocatrice de Simon Guilbault, le tout en entonnant la chanson fort à propos « Un peu plus haut, un peu plus loin », écrite par Jean-Pierre Ferland pour Ginette Reno.
Ainsi, il est sans doute légitime d’avancer que Vive nos divas est un spectacle à grand déploiement, à l’esthétique léchée et à la trame sonore agréable qui devrait plaire au grand public. Quoi qu’il en soit, les amateurs et amatrices de cirque, voire de danse, aux exigences plus pointues, pour qui l’inventivité prime le faste et la beauté, de même que les spectateurs et spectatrices épris·es d’une dramaturgie riche et éloquente, risquent fort de rester sur leur appétit.
Vive nos divas
Direction de création : Marie-Hélène Delage. Mise en scène et direction chorégraphique : Lydia Bouchard. Direction musicale et arrangements : Jean-Phi Goncalves. Assistance à la mise en scène : Édith Collin-Marcoux et Merryn Kritzinger. Scénographie : Simon Guilbault. Conception des éclairages : Erwann Bernard. Conception des costumes : Nicolas Vaudelet. Assistance à la conception des costumes : Guy Brassard. Conception des maquillages : Audrey Toulouse. Conception des accessoires : Alain Jenkins. Assistance à la conception des accessoires : Eric Henry. Conception acrobatique : Sonya St-Martin. Chorégraphies : Édith Collin-Marcoux et Véronique Giasson. Coaching acrobatique : Johanne Gélinas. Avec (danse) Alain Abboud, David (DVD) Michel, Kevin Desrivaux (Sonik), Andrew Ea, Zachary van Gils, Sean Wathen, Erin Jolie Leblanc, Véronique Giasson, Merryn Kritzinger, Yoherlandy Tejeiro Garcia, Danny de Matos et Lauri-Ann Lauzon ; (chant) Anaïs Gonzales et Colette Lemay (en alternance), Francesca Comeau, Marie-Christine Depestre et Heidi Jutras ; (cirque) Erdenesuvd Ganbaatar Suvda, Buyankhishing Ganbaatar Buyana, Mizuki Shinagawa, Ileana Pastorino, Joshua Vinette, Jessica Desjardins, Jean-Denis Roy, Yamamoto Natsume, Yamamoto Tamaki, Nagasaka Aya, Tamahashi Mika, Lisiate « Oné » Tovo et Eve Diamond. Une production du Cirque du Soleil, présentée à l’Amphithéâtre Cogeco jusqu’au 20 août 2022.