En 2019, un appel à projets a été lancé par le Théâtre Jean-Duceppe pour des spectacles en formules 5 à 7. La pièce Le Cas Nicolas Rioux de l’autrice Érika Mathieu a été choisie parmi 40 projets soumis. Après avoir fait l’objet d’un laboratoire de création en janvier 2021, celle-ci prend l’affiche de la salle intime improvisée dans les coulisses du Théâtre Jean-Duceppe.
Dans un grand dépouillement, sans ambages ni prétention, la mise en scène de Patrick R. Lacharité sert efficacement ce court texte (55 minutes) qui parle de rectitude politique, de polarisation des opinions, de rupture sociale et idéologique entre les villes et régions du Québec. De plus, la formule informelle et conviviale des 5 à 7 de Duceppe convient tout à fait au spectacle qui nous plonge dans l’univers du conseil municipal d’une petite localité imaginaire du Québec, Sainte-Victoire-de-l’Espérance.
Le procès
Installé·es derrière une table, le maire de Sainte-Victoire-de-l’Espérance, une conseillère municipale et le secrétaire de l’assemblée procèdent à une séance extraordinaire du conseil de ville. Le motif : une pièce de théâtre de ce fameux Nicolas Rioux qui suscite la controverse, pour cause d’appropriation culturelle présumée. Le personnage de Rioux, natif de l’endroit, est un homme de théâtre qui, après avoir connu un modeste succès à Montréal, revient vivre dans son patelin. Tous et toutes les membres de la communauté ne sont pas enchanté·es par ce retour de l’enfant prodigue. Bien au contraire.
Par conséquent, même si le personnage titre fait l’objet de nombreux éloges de la part de sa tante, conseillère municipale, celui-ci est traîné dans la boue comme le dernier des criminel·les de l’appropriation culturelle. Homophobe, prétentieux, égoïste… Ce néo-Montréalais a décidément hérité de toutes les tares de l’humanité.
En son absence, une membre de la troupe de théâtre locale, un ancien comparse de l’école primaire et même le secrétaire de l’assemblée se lancent donc dans une entreprise de lynchage digne des plus agressives attaques qui enflamment ces jours-ci les forums des réseaux sociaux. Leurs échanges prennent la forme d’un tourbillon d’opinions et de jugements fondés sur du vent, où chacun·e renchérit sur l’autre, faisant basculer la pièce – en un crescendo assez déstabilisant – vers un point tournant qui, vraiment, nous confronte aux dérives de nos temps polarisés et nous laisse résolument avec plus de questions que de réponses définitives.
Défendue par des acteurs et actrices qui réussissent à mêler habilement leur présence à celle du public – qui, lui, devient l’auditoire de l’assemblée municipale –, la pièce est un entremaillage efficace entre la fiction et la réalité. Le metteur Patrick R. Lacharité a d’ailleurs le mérite d’avoir travaillé efficacement l’espace et les détails pour recréer une atmosphère de conseil municipal absolument crédible.
Si notre époque n’était pas aussi portée à démoniser autrui sans procès ni accusation formelle, certaines parties de la pièce nous apparaîtraient comme de grossières exagérations. Or, ces scènes d’intentions violentes, aussi viscérales que gratuites, nous paraissent hélas beaucoup trop réelles. Et cela peut donner froid dans le dos, mais aussi provoquer une profonde remise en question de notre réactivité trop facile. Toutefois, le spectacle aurait pu se prolonger un peu, parce que, dans sa forme actuelle, sa fin abrupte semble défier son objectif, voire même tomber dans les pièges qu’il dénonce.
« Fais attention à tes pensées, parce qu’elles pourraient influencer tes paroles, et ensuite tes actions », veut l’adage. Comment en sommes-nous arrivé·es à un point où les gestes de certain·es sont aussi survoltés que leurs claviers ? C’est ce qui est exploré dans cette pièce qui ne clôt pas le sujet, mais plutôt ouvre la voie à une foule de pistes de discussion.
Texte : Erika Mathieu. Mise en scène : Patrick R. Lacharité. Conseils dramaturgiques : François Archambault. Avec Manon Lussier, Joëlle Paré-Beaulieu, Christophe Payeur, David Strasbourg, Alex Trahan et François Trudel. Une production de La Fratrie, présentée dans les coulisses du Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 30 septembre 2022.
En 2019, un appel à projets a été lancé par le Théâtre Jean-Duceppe pour des spectacles en formules 5 à 7. La pièce Le Cas Nicolas Rioux de l’autrice Érika Mathieu a été choisie parmi 40 projets soumis. Après avoir fait l’objet d’un laboratoire de création en janvier 2021, celle-ci prend l’affiche de la salle intime improvisée dans les coulisses du Théâtre Jean-Duceppe.
Dans un grand dépouillement, sans ambages ni prétention, la mise en scène de Patrick R. Lacharité sert efficacement ce court texte (55 minutes) qui parle de rectitude politique, de polarisation des opinions, de rupture sociale et idéologique entre les villes et régions du Québec. De plus, la formule informelle et conviviale des 5 à 7 de Duceppe convient tout à fait au spectacle qui nous plonge dans l’univers du conseil municipal d’une petite localité imaginaire du Québec, Sainte-Victoire-de-l’Espérance.
Le procès
Installé·es derrière une table, le maire de Sainte-Victoire-de-l’Espérance, une conseillère municipale et le secrétaire de l’assemblée procèdent à une séance extraordinaire du conseil de ville. Le motif : une pièce de théâtre de ce fameux Nicolas Rioux qui suscite la controverse, pour cause d’appropriation culturelle présumée. Le personnage de Rioux, natif de l’endroit, est un homme de théâtre qui, après avoir connu un modeste succès à Montréal, revient vivre dans son patelin. Tous et toutes les membres de la communauté ne sont pas enchanté·es par ce retour de l’enfant prodigue. Bien au contraire.
Par conséquent, même si le personnage titre fait l’objet de nombreux éloges de la part de sa tante, conseillère municipale, celui-ci est traîné dans la boue comme le dernier des criminel·les de l’appropriation culturelle. Homophobe, prétentieux, égoïste… Ce néo-Montréalais a décidément hérité de toutes les tares de l’humanité.
En son absence, une membre de la troupe de théâtre locale, un ancien comparse de l’école primaire et même le secrétaire de l’assemblée se lancent donc dans une entreprise de lynchage digne des plus agressives attaques qui enflamment ces jours-ci les forums des réseaux sociaux. Leurs échanges prennent la forme d’un tourbillon d’opinions et de jugements fondés sur du vent, où chacun·e renchérit sur l’autre, faisant basculer la pièce – en un crescendo assez déstabilisant – vers un point tournant qui, vraiment, nous confronte aux dérives de nos temps polarisés et nous laisse résolument avec plus de questions que de réponses définitives.
Défendue par des acteurs et actrices qui réussissent à mêler habilement leur présence à celle du public – qui, lui, devient l’auditoire de l’assemblée municipale –, la pièce est un entremaillage efficace entre la fiction et la réalité. Le metteur Patrick R. Lacharité a d’ailleurs le mérite d’avoir travaillé efficacement l’espace et les détails pour recréer une atmosphère de conseil municipal absolument crédible.
Si notre époque n’était pas aussi portée à démoniser autrui sans procès ni accusation formelle, certaines parties de la pièce nous apparaîtraient comme de grossières exagérations. Or, ces scènes d’intentions violentes, aussi viscérales que gratuites, nous paraissent hélas beaucoup trop réelles. Et cela peut donner froid dans le dos, mais aussi provoquer une profonde remise en question de notre réactivité trop facile. Toutefois, le spectacle aurait pu se prolonger un peu, parce que, dans sa forme actuelle, sa fin abrupte semble défier son objectif, voire même tomber dans les pièges qu’il dénonce.
« Fais attention à tes pensées, parce qu’elles pourraient influencer tes paroles, et ensuite tes actions », veut l’adage. Comment en sommes-nous arrivé·es à un point où les gestes de certain·es sont aussi survoltés que leurs claviers ? C’est ce qui est exploré dans cette pièce qui ne clôt pas le sujet, mais plutôt ouvre la voie à une foule de pistes de discussion.
Le Cas Nicolas Rioux
Texte : Erika Mathieu. Mise en scène : Patrick R. Lacharité. Conseils dramaturgiques : François Archambault. Avec Manon Lussier, Joëlle Paré-Beaulieu, Christophe Payeur, David Strasbourg, Alex Trahan et François Trudel. Une production de La Fratrie, présentée dans les coulisses du Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 30 septembre 2022.