Critiques

La Nuit des rois : Plongée en eau féconde

© Yves Renaud

Écrite il y a plus de 400 ans, cette comédie dramatique, d’une modernité, d’une drôlerie et d’une profondeur saisissantes, ouvre de façon spectaculaire la nouvelle saison du Théâtre du Nouveau Monde. L’élément déclencheur de La Nuit des rois est le naufrage d’un navire sur les côtes d’Illyrie, actuelle Albanie. À la suite de cet événement, des jumeaux, Viola et Sébastien, rescapé·es de la noyade, voient leur destin complètement chamboulé alors que deux nobles entrent dans leur vie : la comtesse Olivia et le duc Orsino. Olivia, endeuillée par la mort de son père et de son frère, vit enfermée, évitant tout contact avec le monde extérieur. Orsino, follement amoureux d’elle, se bute toutefois à son inébranlable désir de solitude.

Pour se prémunir contre la concupiscence masculine, et se croyant seule après la disparition de son frère en mer, Viola, la jeune jumelle, se travestit en homme, devient Césario, puis entre au service d’Orsino. Ce dernier l’envoie auprès d’Olivia pour la séduire. Coup de théâtre ! La comtesse s’amourache de l’émissaire. Et cela, sous l’œil amusé et malicieux de Feste, qui prend un plaisir fou à semer le chaos parmi tous les personnages.

Alors que se succèdent complots, chassés-croisés et quiproquos, La Nuit des rois comporte son lot de pièges, où l’on risquerait de se perdre dans le dédale des nombreuses intrigues. Mais grâce à la plume vive et perspicace de Rébecca Déraspe, qui cosigne ici, avec le metteur en scène Frédéric Bélanger, une traduction et une adaptation d’une remarquable fluidité, bien des écueils se trouvent ainsi esquivés. Les dialogues sont savoureux, poétiques, drôles et parfois même acerbes, sans jamais, toutefois, tomber dans le scabreux. L’humour et l’amour s’entrelacent harmonieusement en évitant toute rupture de ton.

© Yves Renaud

Quand tout baigne

Et pour que cette verve puisse couler avec limpidité et éclat, le metteur en scène Frédéric Bélanger lui offre toute l’ingéniosité requise. La fable shakespearienne se déroule sur les rives de l’Adriatique. Le vaste plateau du TNM se mue donc en une immense plage onirique où les péripéties vont et viennent à l’instar des marées. L’arrivée des protagonistes est magnifiée par de superbes vidéos sous-marines projetées à l’arrière-plan, sur un écran géant, où les corps se meuvent avec grâce dans les flots. L’action est ponctuée d’intermèdes musicaux aux accents contemporains interprétés sur scène par un flamboyant trio de musiciens, dont Jean-Phillipe Perras (alias le duc Orsino) à la guitare électrique.

Dans cette comédie désopilante autant que touchante, il fallait des interprètes de fort calibre pour incarner des personnages colorés, dynamiques et parfois complexes. De l’improbable capitaine de navire Antonio à la tragique Olivia, en passant par le bouffon Feste, tous et toutes sont à la hauteur. À noter : la performance de Clara Prévost, troublante de vérité en Viola/Césario, ainsi que le jeu fin et jouissif d’Yves Jacques dans la peau de l’ineffable Malvolio, qui nous offre plusieurs moments jubilatoires, et ce, en nous épargnant tout cabotinage. Benoît McGinnis est également fort convaincant dans son rôle de Feste, maître de cérémonie à l’imaginaire débridé. Ses prestations chantées, en compagnie de Kathleen Fortin, la magouilleuse Maria, sont tout simplement délicieuses.

Cette production festive où l’amour triomphe, arrive à point dans un TNM en pleine mutation, car comme le dit si bien le bouffon : « La folie entretient la lucidité. » Ce à quoi on pourrait ajouter qu’il ne faut surtout pas bouder son plaisir…

© Yves Renaud

La Nuit des rois  

Texte : William Shakespeare. Traduction et adaptation : Rébecca Déraspe et Frédéric Bélanger. Mise en scène : Frédéric Bélanger. Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort. Décor : Francis Farley-Lemieux. Costumes : Sarah Balleux. Éclairages : Nicolas Descoteaux. Conception vidéo : Thomas Payette et Mirari. Musique originale : Groupe Gustafson (Adrien Bletton et Jean-Philippe Perras). Maquillages : Amélie Bruneau-Longpré. Avec Adrien Bletton, Guido Del Fabbro, Thomas Deras-Verge, Alex Desmarais, Kathleen Fortin, Yves Jacques, Marie-Pier Labrecque, Benoît McGinnis, Jean-Philippe Perras, Étienne Pilon, François-Simon Poirier et Clara Prévost. Une production du Théâtre du Nouveau Monde en collaboration avec le Théâtre Advienne que pourra, présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 15 octobre 2022.