Explosive, décentrée, d’une joie sans bornes, poétique. On sort de la dernière production de Brigitte Poupart et de sa compagnie, Transthéâtre, comme on sort d’une manifestation citoyenne. Un rien hébété·e, conscient·e d’avoir participé à un mouvement collectif, souriant·e et fébrile, un bonheur au fond du cœur malgré la fumée, le rythme hypnotique de la DJ et la lumière parfois aveuglante des projecteurs. La mémoire des sons, de la foule se mouvant tel un banc de poisson dans les grandes salles malgré tout trop exiguës de l’Arsenal, le cou malmené d’avoir eu à se tourner dans tous les sens, en quête de l’action furtive, de la beauté convulsive, « explosante-fixe », comme dirait André Breton – on en perd son latin.
C’est à une fête baroque que participe le public de Jusqu’à ce qu’on meure (Until We Die en anglais). Dans un endroit vide aux dimensions démesurées, au milieu duquel se trouve une vieille coccinelle aux phares vacillants, au-dessus de laquelle sont suspendus à des fils des morceaux de machines et de matelas, on se sent dans un univers dévasté et en suspension dans l’après-catastrophe. Dans cette antichambre, il ne se passe rien. Spectateurs et spectatrices se promènent sans but, attendant que quelque chose se produise, tout en s’habituant à l’ambiance sonore, à un certain clair-obscur, au décor rude et froid.
Puis, on passe de l’autre côté, là où tout peut arriver – et arrivera. Des corps immobiles (s’agit-il de mannequins ? De cadavres ?) sont disposés dans des décors représentant un salon, un bureau embarrassé de livres, une cuisine à la verticale. Un grand mur, quant à lui, est recouvert de portes de bas en haut. Une impressionnante scénographie où rien n’est inutile, signée Hughes Letellier, qui nous propulse dans un immeuble à appartements qu’on aurait fait éclater un peu partout. Au centre, une autre voiture en piteux état et, en périphérie, quelques plateformes de différentes hauteurs. Finalement, tout s’éveille.
Se succèdent, dans la foule, mais aussi autour et au-dessus d’elle, numéros de danse contemporaine, urbaine, énergique (Dave St-Pierre en cosigne d’ailleurs la chorégraphie avec Marie-Ève Quilicot), et de cirque. Main à main, pyramide humaine, danse, accro-danse et sangles aériennes, toutes exécutées avec une maîtrise atteignant le lyrisme et une vigueur ébouriffante. Aux sangles, Eduardo Grillo est peut-être le clou de la soirée, sa clé de voûte.
Vide et plein
Présenté comme un spectacle déambulatoire, il s’agit plutôt d’une production à l’espace scénique déconstruit, circassienne dans sa conception, inspirée de l’esthétique d’un Daniele Finzi Pasca, à la sauce industrielle. La verticalité est par conséquent très présente, autant dans les acrobaties et les décors que dans la structure même de l’œuvre, composée de courtes saynètes juxtaposées ou parallèles au lieu d’une trame narrative continue.
Si l’on reste bel et bien debout et qu’on peut se promener d’un endroit à un autre de cette sorte de place publique intérieure, on y est aussi confiné·e. À cause de la densité de la foule et des obstructions dues à l’architecture de l’Arsenal, on ne peut pas toujours tout voir et on peut se sentir à l’étroit. Toute personne souffrant de claustrophobie ou d’agoraphobie devrait y réfléchir à deux fois.
Les performeurs et performeuses se faufilent parmi l’assistance et n’hésitent pas à s’adresser aux personnes devant eux et elles, à leur demander de se pousser pour créer une aire de jeu temporaire, voire à les faire monter sur un des tréteaux pour les faire participer plus activement.
Jeff Hall tient très bien son rôle de maître de cérémonie névrotique. Il est par contre dommage que les phrases qu’il déclame en boucle ne soient pas une seule fois intelligibles. Quelque chose à voir avec l’impossibilité de remonter le temps.
Cela dit, c’est l’ensemble de la distribution, solide, enjouée et diverse, qu’il faut célébrer. Au plus près des interprètes, on se sent représenté·e et inclus·e. C’est une qualité indéniable de cette production. Chaque artiste s’investit dans sa performance qu’il ou elle ne lâche à aucun moment, malgré le contact constant avec le public et la nécessité d’interagir avec lui pour qu’il se déplace dans la bonne direction.
Bien que le fil conducteur soit tout de même abstrait, on comprend assez facilement que l’on suit une histoire racontée à rebours. Assez glauque au début, l’environnement se transforme progressivement en une énorme fête, une explosion d’énergie communicative et sans pareille, une sorte de big bang à l’envers qui ne se termine d’ailleurs pas avec la fin de la pièce. La musique continue, le bar demeure ouvert, l’atmosphère est chaleureuse. On y serait bien resté·e. On en aurait certainement pris encore.
Création et mise en scène : Brigitte Poupart. Scénographie : Hughes Letellier. Chorégraphies : Dave St-Pierre et Marie-Ève Quilicot. Conception des acrobaties : Mathieu Grégoire. Conception lumières : Mathieu Roy. Conception sonore : Jacques Boucher. Musique originale : Alex McMahon. Costumes : Cédric Quenneville. Maquillages et coiffures : Mélanie Bélisle. Direction de production : Geneviève Lussier. Direction technique : André Langevin. Avec Jeffrey Hall, Eduardo Grillo, Bia Pantojo, Yuma Arias, Fernando Gonzalez, Yuri Paulau, Lakesshia Pierre Colon, Marie-Reine Kabasha et Axelle Munezero. Une production de Transthéâtre et d’Arsenal art contemporain Montréal, présentée à Arsenal art contemporain Montréal jusqu’au 13 novembre 2022.
Explosive, décentrée, d’une joie sans bornes, poétique. On sort de la dernière production de Brigitte Poupart et de sa compagnie, Transthéâtre, comme on sort d’une manifestation citoyenne. Un rien hébété·e, conscient·e d’avoir participé à un mouvement collectif, souriant·e et fébrile, un bonheur au fond du cœur malgré la fumée, le rythme hypnotique de la DJ et la lumière parfois aveuglante des projecteurs. La mémoire des sons, de la foule se mouvant tel un banc de poisson dans les grandes salles malgré tout trop exiguës de l’Arsenal, le cou malmené d’avoir eu à se tourner dans tous les sens, en quête de l’action furtive, de la beauté convulsive, « explosante-fixe », comme dirait André Breton – on en perd son latin.
C’est à une fête baroque que participe le public de Jusqu’à ce qu’on meure (Until We Die en anglais). Dans un endroit vide aux dimensions démesurées, au milieu duquel se trouve une vieille coccinelle aux phares vacillants, au-dessus de laquelle sont suspendus à des fils des morceaux de machines et de matelas, on se sent dans un univers dévasté et en suspension dans l’après-catastrophe. Dans cette antichambre, il ne se passe rien. Spectateurs et spectatrices se promènent sans but, attendant que quelque chose se produise, tout en s’habituant à l’ambiance sonore, à un certain clair-obscur, au décor rude et froid.
Puis, on passe de l’autre côté, là où tout peut arriver – et arrivera. Des corps immobiles (s’agit-il de mannequins ? De cadavres ?) sont disposés dans des décors représentant un salon, un bureau embarrassé de livres, une cuisine à la verticale. Un grand mur, quant à lui, est recouvert de portes de bas en haut. Une impressionnante scénographie où rien n’est inutile, signée Hughes Letellier, qui nous propulse dans un immeuble à appartements qu’on aurait fait éclater un peu partout. Au centre, une autre voiture en piteux état et, en périphérie, quelques plateformes de différentes hauteurs. Finalement, tout s’éveille.
Se succèdent, dans la foule, mais aussi autour et au-dessus d’elle, numéros de danse contemporaine, urbaine, énergique (Dave St-Pierre en cosigne d’ailleurs la chorégraphie avec Marie-Ève Quilicot), et de cirque. Main à main, pyramide humaine, danse, accro-danse et sangles aériennes, toutes exécutées avec une maîtrise atteignant le lyrisme et une vigueur ébouriffante. Aux sangles, Eduardo Grillo est peut-être le clou de la soirée, sa clé de voûte.
Vide et plein
Présenté comme un spectacle déambulatoire, il s’agit plutôt d’une production à l’espace scénique déconstruit, circassienne dans sa conception, inspirée de l’esthétique d’un Daniele Finzi Pasca, à la sauce industrielle. La verticalité est par conséquent très présente, autant dans les acrobaties et les décors que dans la structure même de l’œuvre, composée de courtes saynètes juxtaposées ou parallèles au lieu d’une trame narrative continue.
Si l’on reste bel et bien debout et qu’on peut se promener d’un endroit à un autre de cette sorte de place publique intérieure, on y est aussi confiné·e. À cause de la densité de la foule et des obstructions dues à l’architecture de l’Arsenal, on ne peut pas toujours tout voir et on peut se sentir à l’étroit. Toute personne souffrant de claustrophobie ou d’agoraphobie devrait y réfléchir à deux fois.
Les performeurs et performeuses se faufilent parmi l’assistance et n’hésitent pas à s’adresser aux personnes devant eux et elles, à leur demander de se pousser pour créer une aire de jeu temporaire, voire à les faire monter sur un des tréteaux pour les faire participer plus activement.
Jeff Hall tient très bien son rôle de maître de cérémonie névrotique. Il est par contre dommage que les phrases qu’il déclame en boucle ne soient pas une seule fois intelligibles. Quelque chose à voir avec l’impossibilité de remonter le temps.
Cela dit, c’est l’ensemble de la distribution, solide, enjouée et diverse, qu’il faut célébrer. Au plus près des interprètes, on se sent représenté·e et inclus·e. C’est une qualité indéniable de cette production. Chaque artiste s’investit dans sa performance qu’il ou elle ne lâche à aucun moment, malgré le contact constant avec le public et la nécessité d’interagir avec lui pour qu’il se déplace dans la bonne direction.
Bien que le fil conducteur soit tout de même abstrait, on comprend assez facilement que l’on suit une histoire racontée à rebours. Assez glauque au début, l’environnement se transforme progressivement en une énorme fête, une explosion d’énergie communicative et sans pareille, une sorte de big bang à l’envers qui ne se termine d’ailleurs pas avec la fin de la pièce. La musique continue, le bar demeure ouvert, l’atmosphère est chaleureuse. On y serait bien resté·e. On en aurait certainement pris encore.
Jusqu’à ce qu’on meure
Création et mise en scène : Brigitte Poupart. Scénographie : Hughes Letellier. Chorégraphies : Dave St-Pierre et Marie-Ève Quilicot. Conception des acrobaties : Mathieu Grégoire. Conception lumières : Mathieu Roy. Conception sonore : Jacques Boucher. Musique originale : Alex McMahon. Costumes : Cédric Quenneville. Maquillages et coiffures : Mélanie Bélisle. Direction de production : Geneviève Lussier. Direction technique : André Langevin. Avec Jeffrey Hall, Eduardo Grillo, Bia Pantojo, Yuma Arias, Fernando Gonzalez, Yuri Paulau, Lakesshia Pierre Colon, Marie-Reine Kabasha et Axelle Munezero. Une production de Transthéâtre et d’Arsenal art contemporain Montréal, présentée à Arsenal art contemporain Montréal jusqu’au 13 novembre 2022.