Lorsque Shay Kuebler, dont la prolifique compagnie est sise à Vancouver, découvre l’existence en Grande-Bretagne d’un ministère de la solitude, créé pour tenter de briser l’isolement des gens, il exulte. On pouvait donc repenser le plaisir d’être ensemble et cibler la santé mentale, la joie de vivre, par le mouvement, la drôlerie et la pleine sensation de la corporalité. Une hygiène de base s’est imposée au directeur artistique, pour redresser la tendance morbide au repli sur soi, qui envahit et tétanise les individus.
Le danseur a lui-même touché à toutes les sortes de mouvements. De la gymnastique aux danses de rue, au cirque, au théâtre, au mime, au théâtre d’objets et de marionnettes… Et que dire des figures de la danse : il aime les arabesques, les tours, les sauts, les chassés, les pirouettes, les roues, les cabrioles, les roulades des arts martiaux et les déhanchés du hip hop, le placement symétrique du ballet jazz, le tracé net du regard dans le ballet, la souplesse des acrobates et la vitesse du geste impulsif…
On pourrait tout nommer dans cette hybridité déstructurée, car la comédie dévide ses jeux de tréteaux en un vaste collage de numéros. On est plus près du cirque et du mime que de la danse, même si tout appartient à la danse. Danses plurielles, déclinées dans un concentré de démonstrations décomplexées, jolies, sportives, variées. Ce n’est pas tant une œuvre qu’une ribambelle de tours bien exécutés par des interprètes en pleine forme.
Le plan
L’artiste débute seul en scène, mimant l’ennui vécu par un employé de bureau. La pièce commence 20 minutes avant l’heure, alors que, dans le public, on joue avec son téléphone. Rapidement, le désœuvrement se change en travaux d’Hercule. Shay Kuebler, attaché et retenu par des élastiques, se lance dans des facéties circassiennes bien rodées. Il roule et rebondit avec grâce, sans trahir les secrets de sa force, de ses déboulés et de ses ralentis entre les cordes tendues, tandis qu’il jongle avec le poids, les tensions et sa grande maîtrise de l’illusion.
Puis, sept interprètes vont conjurer la solitude affrontée. Dans une série de danses empruntant tous les styles, ils et elles s’amusent, s’assemblent, se touchent et s’harmonisent en dépensant leur énergie dans des gestuelles ordonnées. C’est jeune, tonique, sans ambition autre que le plaisir de danser. Un univers sonore au diapason accompagne leurs rythmes endiablés, tandis que des objets et des meubles apparaissent, disparaissent, transformés par un éclairage brut de lasers ou avalés par la lumière noire.
La preuve est refaite : on peut tout exprimer par le corps. Grâce à des grimaces et à l’exagération des émotions – la joie, la peur, la tristesse, le dégoût, la colère, l’amour, comme les états affectifs spontanés des enfants –, l’exultation des interprètes gagne aisément la salle.
Kuebler ralentit ensuite la cadence en ménageant des surprises : la manipulation d’une imposante marionnette à tiges, qui interagit en duo avec une danseuse, puis celle d’une fleur, devenue un personnage doté de langage, s’adressant au chorégraphe. D’autres scènes mimées, soutenues par des bribes de phrases et des mots bégayés, disent la timidité d’une déclaration d’amour, la complainte de la nature, etc.
Dans ce fourre-tout du divertissement, pas d’hésitation ni de maladresse. C’est un retour à l’émerveillement de l’enfance, où l’artiste explore ses états quotidiens, rassemblés dans son corps, qui est le seul vrai élastique, dans une grande simplicité, sans préméditation ni sensation autre que la dépense bien dirigée. Les interprètes sont interchangeables et polymorphes. C’est la base, en somme, de tout art scénique, revenant à ses fondements.
Chorégraphie et mise en scène : Shay Kuebler. Avec Keiran Bohay, Aiden Cass, Jade Chong, Sarah Hutto, Tia Kushniruk, Nicole Pavia, Cadler White et Shay Kuebler. Une production de Shay Keubler Radical System Art, présentée par Danse Danse au Studio-Théâtre de l’Édifice Wilder jusqu’au 12 novembre 2022.
Lorsque Shay Kuebler, dont la prolifique compagnie est sise à Vancouver, découvre l’existence en Grande-Bretagne d’un ministère de la solitude, créé pour tenter de briser l’isolement des gens, il exulte. On pouvait donc repenser le plaisir d’être ensemble et cibler la santé mentale, la joie de vivre, par le mouvement, la drôlerie et la pleine sensation de la corporalité. Une hygiène de base s’est imposée au directeur artistique, pour redresser la tendance morbide au repli sur soi, qui envahit et tétanise les individus.
Le danseur a lui-même touché à toutes les sortes de mouvements. De la gymnastique aux danses de rue, au cirque, au théâtre, au mime, au théâtre d’objets et de marionnettes… Et que dire des figures de la danse : il aime les arabesques, les tours, les sauts, les chassés, les pirouettes, les roues, les cabrioles, les roulades des arts martiaux et les déhanchés du hip hop, le placement symétrique du ballet jazz, le tracé net du regard dans le ballet, la souplesse des acrobates et la vitesse du geste impulsif…
On pourrait tout nommer dans cette hybridité déstructurée, car la comédie dévide ses jeux de tréteaux en un vaste collage de numéros. On est plus près du cirque et du mime que de la danse, même si tout appartient à la danse. Danses plurielles, déclinées dans un concentré de démonstrations décomplexées, jolies, sportives, variées. Ce n’est pas tant une œuvre qu’une ribambelle de tours bien exécutés par des interprètes en pleine forme.
Le plan
L’artiste débute seul en scène, mimant l’ennui vécu par un employé de bureau. La pièce commence 20 minutes avant l’heure, alors que, dans le public, on joue avec son téléphone. Rapidement, le désœuvrement se change en travaux d’Hercule. Shay Kuebler, attaché et retenu par des élastiques, se lance dans des facéties circassiennes bien rodées. Il roule et rebondit avec grâce, sans trahir les secrets de sa force, de ses déboulés et de ses ralentis entre les cordes tendues, tandis qu’il jongle avec le poids, les tensions et sa grande maîtrise de l’illusion.
Puis, sept interprètes vont conjurer la solitude affrontée. Dans une série de danses empruntant tous les styles, ils et elles s’amusent, s’assemblent, se touchent et s’harmonisent en dépensant leur énergie dans des gestuelles ordonnées. C’est jeune, tonique, sans ambition autre que le plaisir de danser. Un univers sonore au diapason accompagne leurs rythmes endiablés, tandis que des objets et des meubles apparaissent, disparaissent, transformés par un éclairage brut de lasers ou avalés par la lumière noire.
La preuve est refaite : on peut tout exprimer par le corps. Grâce à des grimaces et à l’exagération des émotions – la joie, la peur, la tristesse, le dégoût, la colère, l’amour, comme les états affectifs spontanés des enfants –, l’exultation des interprètes gagne aisément la salle.
Kuebler ralentit ensuite la cadence en ménageant des surprises : la manipulation d’une imposante marionnette à tiges, qui interagit en duo avec une danseuse, puis celle d’une fleur, devenue un personnage doté de langage, s’adressant au chorégraphe. D’autres scènes mimées, soutenues par des bribes de phrases et des mots bégayés, disent la timidité d’une déclaration d’amour, la complainte de la nature, etc.
Dans ce fourre-tout du divertissement, pas d’hésitation ni de maladresse. C’est un retour à l’émerveillement de l’enfance, où l’artiste explore ses états quotidiens, rassemblés dans son corps, qui est le seul vrai élastique, dans une grande simplicité, sans préméditation ni sensation autre que la dépense bien dirigée. Les interprètes sont interchangeables et polymorphes. C’est la base, en somme, de tout art scénique, revenant à ses fondements.
MOI – Momentum of Isolation.
Chorégraphie et mise en scène : Shay Kuebler. Avec Keiran Bohay, Aiden Cass, Jade Chong, Sarah Hutto, Tia Kushniruk, Nicole Pavia, Cadler White et Shay Kuebler. Une production de Shay Keubler Radical System Art, présentée par Danse Danse au Studio-Théâtre de l’Édifice Wilder jusqu’au 12 novembre 2022.