Critiques

Tu ne me croiras pas : Terrain miné

© Éva-Maude TC

Difficile de sortir indemne de La Petite Licorne, salle où est présentée en ce moment la pièce de Guillaume Lapierre-Desnoyers. Le texte, qui a reçu une mention spéciale dans le cadre du Prix Gratien-Gélinas en 2019, est brûlant d’actualité. Il nous plonge au cœur d’une guerre ; comme celles qui sévissent un peu partout sur la planète actuellement. Dans un pays imaginaire, deux factions, qui cohabitaient harmonieusement auparavant, s’opposent désormais avec férocité. Pour une raison inconnue, une division profonde s’est installée ; une lutte fratricide a éclaté. 

Au milieu de ce tumulte, deux jeunes trentenaires, qui s’étaient connu·es jadis à l’université, se retrouvent lors d’un affrontement sanglant dans un marché. Le couple décide de renouer clandestinement et de façon sporadique. Une manufacture désaffectée, loin des regards suspicieux d’éventuels délateurs, lui sert d’abri pour ses rendez-vous interdits. Ces rencontres deviennent alors une manière de faire la révolution, de s’opposer à cette lutte armée absurde, en s’aimant. Mais traverser la ville et passer d’un camp à l’autre implique des risques, des frustrations, des doutes, des angoisses. Et tout cela finit par contaminer insidieusement l’exaltation des furtives retrouvailles. 

Dans le bâtiment industriel abandonné règne la désolation. Un plafond bas grillagé, surplombant un amas de détritus et d’objets hétéroclites, constitue l’essentiel du décor conçu par Marie-Ève Fortier. L’atmosphère glauque du lieu est accentuée par les subtils éclairages d’André Rioux et surtout par l’environnement sonore et la musique en direct de Vincent Carré. Grâce à une panoplie d’instruments aussi variés qu’étonnants, l’homme-orchestre ponctue magistralement l’action, où sourd une menace constante, tout en accompagnant avec brio les états d’âme du couple. 

Eva-Maude TC

À la vie, à la mort

Les amant·es incarné·es Mary-Lee Picknell et Mattis Savard-Verhoeven sont convaincant·es dans ce ballet inusité, où les désirs et les peurs s’entremêlent sans cesse. Leur triste allure, les vêtements usés, les gestes hésitants, le langage hachuré reflètent avec justesse les affres du conflit. Les ébats sulfureux et les dialogues crus et percutants alternent avec une prise de parole frontale et parfois poétique, où, à tour de rôle, les protagonistes s’adressent, face au public, à un témoin imaginaire. Narrant des pans de leur passé respectif et préparant cet auditoire mystérieux à certaines scènes à venir, les deux interprètes laissent planer un secret qui ne nous est divulgué qu’à la toute fin du spectacle. La mise en scène sensible de Frédéric Blanchette réussit à installer avec intensité le climat anxiogène qu’exige ce huis clos passionné aux accents guerriers. La joute amoureuse, les tensions qu’elle provoque et, surtout, le goût du sang ainsi que la mort qui rôde nous atteignent droit au cœur, telle une déflagration dévastatrice. 

On se dit toutefois, au terme de la représentation, que toute nuit, si horrible soit-elle, laisse briller son lot d’étoiles où luit un espoir : celui qu’en aucun temps nos différences ne puissent supplanter ce qui nous unit. Et que jamais nous n’entendions cette phrase que prononce avec désarroi la jeune femme au tout début de la pièce : « Mon pays qui plonge dans un ravin. » En cette ère où le cynisme est roi et maître, Tu ne me croiras pas nous propose une réflexion aussi confrontante qu’indispensable. 

Tu ne me croiras pas

Texte : Guillaume Lapierre-Desnoyers. Mise en scène : Frédéric Blanchette. Assistance à la mise en scène : Andrée-Anne Garneau. Décor : Marie-Ève Fortier. Costumes : Cynthia St-Gelais. Éclairages : André Rioux. Musique en direct et environnement sonore : Vincent Carré. Avec Mary-Lee Picknell et Mattis Savard-Verhoeven. Une production de Stuko-Théâtre, en codiffusion avec La Manufacture, présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 8 décembre 2022.