Critiques

Plastique : Une pièce qui ne laisse pas de marbre

© Xavier Cyr

Plastique, du Théâtre du Portage, qui se spécialise dans le jeu masqué contemporain, fait rire, mais fait surtout réfléchir le public au sujet de l’environnement. Depuis son premier spectacle Le Temps d’une dinde, la jeune compagnie, fondée en 2016, continue d’exploiter le masque dans des créations toujours plus insolites les unes que les autres. Plastique est leur production la plus grand public à ce jour.

Dans un décor aussi fascinant qu’original, entièrement constitué de déchets de plastique disposés en demi-lune sur deux étages de scène, les personnages imaginés par Félix Emmanuel et Zoé Girard prennent vie et nous montrent nos travers bien modernes avec un humour rafraîchissant qui plaira aux petit·es et aux grand·es. Nous sommes en 2122, le plastique se fait plus rare que jamais sur Terre et est objet de convoitise. Madeleine – irritant pour les yeux – tenir hors de portée des enfants – naturel à 100 % – manipuler avec soin (c’est le nom de la protagoniste) vit seule sur un immense continent de plastique. C’est à l’aide des mots imprimés sur des sacs et des étiquettes de bouteilles vides qu’elle a appris à communiquer et à nommer le monde. Ses compagnons et compagnes sont donc des mouettes qu’elle appelle Quaker, Beef Jerky et Johnson et Johnson. Notre aliénation par rapport aux marques est soulignée de plusieurs façons dans cette pièce, nous rappelant l’absurdité de notre matérialisme.

Elle vit isolée jusqu’à ce que Madame Lagercée, une centenaire en quête de jeunesse éternelle, Gilles, un oncle farceur aux jeux de mots plats qui font sourire, et Monsieur Le Cracheux, qu’on devrait plutôt appeler Monsieur le gratteux vu son penchant pour l’argent, arrivent sur son continent. Le Cracheux s’est fait promettre la fortune de Lagercée en échange d’un remède contre la vieillesse. Madeleine, vivant depuis toujours sous des tonnes de plastique, connaît le secret de la jeunesse éternelle : la chirurgie plastique ! Elle le transmet alors à Le Cracheux, qui en abuse sur Lagercée, qui en redemande.

© Vanessa Fortin

Des personnages hauts en couleur

Les héros et héroïnes de Plastique, tous et toutes masqué·es et visiblement inspiré·es de personnages de dessins animés pour adultes comme Rick and Morty, Les Simpson et South Park, sont plus grand·es que nature. Comme dans le monde de l’animation pour adultes, les personnages sont porteurs de réflexions et reflètent nos faiblesses grâce à l’absurdité de leurs péripéties. Leur excentricité et leurs traits grossis les rendent attachants et très drôles, autant pour les enfants que pour les plus vieux.

Les masques portés par les personnages sont des accessoires typiques de la commedia dell’arte ayant été modifiés et personnalisés. Les yeux, les joues et les bouches des acteurs et actrices sont accentués par des maquillages colorés faits à la peinture sur les masques. Il est très intéressant d’observer le jeu physique des comédien·nes sur scène. Plutôt que de verser dans un grotesque irritant, l’équipe du Théâtre du Portage a su trouver un équilibre idéal entre légèreté et sérieux pour répondre aux attentes des spectateurs et spectatrices de tous âges. De plus, les nombreuses références à la culture populaire québécoise (chansons de Loco Locass, Céline Dion, Richard Desjardins et La Bottine souriante) ne manquent pas de réjouir le public et d’apporter de l’humour aux enjeux lourds qui sont traités.

En campant le spectacle sur le continent de plastique, le sujet de l’environnement devient inévitablement central. Plus de la moitié de l’humanité est morte, et les lieux habitables sont de plus en plus rares. Dès son arrivée, Le Cracheux aborde aussi du problème de la surconsommation, qui est très intéressant à traiter avec les jeunes, surtout à la veille du temps des fêtes, et qui donne un ton engagé à la pièce. « Imaginez un monde où tout se jette. Des sacs, des sacs, toujours plus de sacs. Tu vas à la pharmacie, un sac, au magasin, un sac. Tu vas à l’épicerie, la caissière te demande si tu veux un sac…tu lui en demandes deux pis elle t’en donne trois. Là, t’as ben trop de sacs, mets donc ça dans ton sac à sacs. Mais quand y’est trop plein ton sac à sacs ben… tu le jettes. »

Souvent basé sur des lieux communs pour que tous et toutes puissent s’y retrouver, le texte se penche sur le quotidien des quatre protagonistes, qui ressemble beaucoup au nôtre et nous ramène à nos petites habitudes si difficiles à changer. Il ne fait pas dans la subtilité, bien au contraire. Les problématiques sont évidentes et sont mises de l’avant autant par le décor bien ficelé que par les personnages joués intelligemment.

L’enjeu très complexe des standards de beauté et de la peur de vieillir est amené de façon brillante à travers le personnage de Madame Lagercée. Cette dame âgée de 120 ans, qui a un cœur de 20 ans et qui voudrait tant retrouver sa splendeur d’autrefois, devient complètement obsédée par l’idée de se livrer à la chirurgie esthétique et se déforme au cours du spectacle, ce qui ne manque pas de faire rire les plus jeunes et de faire réfléchir les plus vieux et les plus vieilles au monde qu’ils et elles lèguent à leurs enfants.

Ce spectacle plein d’intelligence, d’humour et de sensibilité mérite d’être vu par des gens de tous âges, en cette période de l’année propice à l’introspection et aux réflexions.

© Vanessa Fortin

Plastique

Texte : Félix Emmanuel et Zoé Girard. Mise en scène : Félix Emmanuel. Assistance à la mise en scène : Ariane Roy. Recherche et de création : Camille Denetre, Agathe Foucault, Zoé Girard, Zoé Lajeunesse-Guy, Philippe Perreault et Catherine Ruel. Conseils dramaturgiques : Louis-Dominique Lavigne. Scénographie : Nadine Jaafar. Costumes et accessoires : Rosemarie Levasseur. Conception des masques : Marie Muyard. Conception sonore : Xavier Ménard. Lumières : Delphine Quenneville. Direction de production : Antoine Lefebvre. Direction technique : Justin Houde. Avec Yann Aspirot, Agathe Foucault, Zoé Girard et Zoé Lajeunesse-Guy. Une production du Théâtre du Portage, présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 10 décembre 2022.