Je veux participer au chaos est une expérience sensorielle, un massage neuronal collectif. On se retrouve dans un univers virtuel dépouillé de tous repères. Cet espace informe, impalpable, est sculpté par une lumière crue et blanche, qui devient le personnage principal. Une lueur apparaît et disparaît en une lente pulsion, le laps de temps qu’il faut pour esquisser, à peine, une silhouette au souffle tendu, puis une autre. Puis d’autres encore. Ce sont des corps accidentés, estropiés, ballottés, haletants. Ils viennent strier la scène dans une chorégraphie hachurée par des éclats brillants.
Les tableaux s’enchaînent à travers des gestes répétitifs. Les interprètes se jettent au sol dans les derniers soubresauts des blessé·es de la route, se lancent à genoux, passent en coup de vent dans la nuit. Pendant ce déchaînement de chutes et de dislocation de la chair, une femme, longeant le mur du fond, veut traverser le plateau, mais n’y parvient pas, sa marche la ramenant toujours vers l’arrière, inlassablement. Juxtaposée à la scène turbulente, devant, s’ajoute ainsi la distorsion du temps, elle reculant et s’avançant, comme dans un film d’animation, vers le lieu de l’accident, les autres, déjà emporté·es par l’impact.
Dans une action charnière, le danseur (toujours remarquable et intense Fabien Piché) devient l’animal pétrifié par le phare d’une voiture dans la nuit. Mais plutôt que de fuir, il affronte cette vision nocturne, appelant le contact, défiant la machine qui se cache derrière. Les chassés-croisés entre humain·es et forces naturelles évoquent un furieux désir de vivre, extrapolant une joie dans la blessure de l’accident. On pense ici au Crash de David Cronenberg (1996), bruit des carcasses métalliques mis à part.
L’autre personnage fabuleux dans sa démesure est la musique « transe » de Jean-Michel Letendre-Veilleux, musicien et platiniste opérant en direct. On ne sait qui invite l’autre à danser. Les rythmes percutants ou la lumière ? Mais lorsque l’éclairage agit comme une lame de rasoir séparant le visible de l’invisible, scindant les corps en jets horizontaux ou verticaux, quand les interprètes surgissent de la nuit pour s’y perdre à nouveau, nous savons qu’est mis en scène le rythme de nos passions éclatant dans des explosions lumineuses.
La touche du groupe
Le comédien, vidéaste et metteur en scène Eliot Laprise révèle, avec ce Chaos, une déconcertante proposition. À partir d’une expérience d’empathie entre un accidenté de la route et la conductrice du véhicule impliqué, il a créé cette fabulation d’une chair exaltée dans cette zone liminale entre la vie et la mort. La narration sans texte se distille directement dans nos neurones comme lors d’une soirée rave, au moment où la conscience s’abolit dans notre organisme décérébré.
Avec sa trame narrative poétique, aux corps macérés par l’éclairage et la musique envoûtante, cette chorégraphie porte la marque d’une équipe multidisciplinaire remarquable : du commissaire du Mois Multi (Émile Beauchemin) au metteur en scène et nouveau directeur du Théâtre du Trident (Olivier Arteau), en passant par Lé Aubin (L’Éveil du printemps) et Sophie Thibeault (Les Contes à passer le temps), la liste des collaborateurs et collaboratrices donne le pouls du milieu des arts vivants dans la Capitale. Cette inclassable production désarçonne d’abord pour instiller lentement un doux venin. Nous restent en tête des images furtives à proximité du rationnel. L’idée même de la mort devient une expérience quantique.
Idée originale, mise en scène et réalisation vidéo : Eliot Laprise. Chorégraphie : Eliot Laprise, Fabien Piché et Ariane Voineau. Assistance à la mise en scène : Caroline Landry. Éclairages, conception et intégration vidéo : Émile Beauchemin. Scénographie et costumes : Vanessa Cadrin. Direction musicale et musique en direct : Jean-Michel Letendre Veilleux. Direction de production : Hélène Rheault. Collaboration à la création : Olivier Arteau, Lé Aubin, Ariel Charest, Jean-François Labbé, Jocelyn Pelletier, Claudiane Ruelland, Marianne Thériault, Sophie Thibeault et Ariane Voineau. Interprétation et collaboration à la création : Sonia Montminy, Nelly Paquentin, Fabien Piché, Léa Ratycz Légaré et Alexandrine Warren. Une production d’Eliot Laprise, présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 4 février 2023.
Je veux participer au chaos est une expérience sensorielle, un massage neuronal collectif. On se retrouve dans un univers virtuel dépouillé de tous repères. Cet espace informe, impalpable, est sculpté par une lumière crue et blanche, qui devient le personnage principal. Une lueur apparaît et disparaît en une lente pulsion, le laps de temps qu’il faut pour esquisser, à peine, une silhouette au souffle tendu, puis une autre. Puis d’autres encore. Ce sont des corps accidentés, estropiés, ballottés, haletants. Ils viennent strier la scène dans une chorégraphie hachurée par des éclats brillants.
Les tableaux s’enchaînent à travers des gestes répétitifs. Les interprètes se jettent au sol dans les derniers soubresauts des blessé·es de la route, se lancent à genoux, passent en coup de vent dans la nuit. Pendant ce déchaînement de chutes et de dislocation de la chair, une femme, longeant le mur du fond, veut traverser le plateau, mais n’y parvient pas, sa marche la ramenant toujours vers l’arrière, inlassablement. Juxtaposée à la scène turbulente, devant, s’ajoute ainsi la distorsion du temps, elle reculant et s’avançant, comme dans un film d’animation, vers le lieu de l’accident, les autres, déjà emporté·es par l’impact.
Dans une action charnière, le danseur (toujours remarquable et intense Fabien Piché) devient l’animal pétrifié par le phare d’une voiture dans la nuit. Mais plutôt que de fuir, il affronte cette vision nocturne, appelant le contact, défiant la machine qui se cache derrière. Les chassés-croisés entre humain·es et forces naturelles évoquent un furieux désir de vivre, extrapolant une joie dans la blessure de l’accident. On pense ici au Crash de David Cronenberg (1996), bruit des carcasses métalliques mis à part.
L’autre personnage fabuleux dans sa démesure est la musique « transe » de Jean-Michel Letendre-Veilleux, musicien et platiniste opérant en direct. On ne sait qui invite l’autre à danser. Les rythmes percutants ou la lumière ? Mais lorsque l’éclairage agit comme une lame de rasoir séparant le visible de l’invisible, scindant les corps en jets horizontaux ou verticaux, quand les interprètes surgissent de la nuit pour s’y perdre à nouveau, nous savons qu’est mis en scène le rythme de nos passions éclatant dans des explosions lumineuses.
La touche du groupe
Le comédien, vidéaste et metteur en scène Eliot Laprise révèle, avec ce Chaos, une déconcertante proposition. À partir d’une expérience d’empathie entre un accidenté de la route et la conductrice du véhicule impliqué, il a créé cette fabulation d’une chair exaltée dans cette zone liminale entre la vie et la mort. La narration sans texte se distille directement dans nos neurones comme lors d’une soirée rave, au moment où la conscience s’abolit dans notre organisme décérébré.
Avec sa trame narrative poétique, aux corps macérés par l’éclairage et la musique envoûtante, cette chorégraphie porte la marque d’une équipe multidisciplinaire remarquable : du commissaire du Mois Multi (Émile Beauchemin) au metteur en scène et nouveau directeur du Théâtre du Trident (Olivier Arteau), en passant par Lé Aubin (L’Éveil du printemps) et Sophie Thibeault (Les Contes à passer le temps), la liste des collaborateurs et collaboratrices donne le pouls du milieu des arts vivants dans la Capitale. Cette inclassable production désarçonne d’abord pour instiller lentement un doux venin. Nous restent en tête des images furtives à proximité du rationnel. L’idée même de la mort devient une expérience quantique.
Je veux participer au chaos
Idée originale, mise en scène et réalisation vidéo : Eliot Laprise. Chorégraphie : Eliot Laprise, Fabien Piché et Ariane Voineau. Assistance à la mise en scène : Caroline Landry. Éclairages, conception et intégration vidéo : Émile Beauchemin. Scénographie et costumes : Vanessa Cadrin. Direction musicale et musique en direct : Jean-Michel Letendre Veilleux. Direction de production : Hélène Rheault. Collaboration à la création : Olivier Arteau, Lé Aubin, Ariel Charest, Jean-François Labbé, Jocelyn Pelletier, Claudiane Ruelland, Marianne Thériault, Sophie Thibeault et Ariane Voineau. Interprétation et collaboration à la création : Sonia Montminy, Nelly Paquentin, Fabien Piché, Léa Ratycz Légaré et Alexandrine Warren. Une production d’Eliot Laprise, présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 4 février 2023.