Critiques

Au revoir zébu : Rituels de paillettes et de fleurs

© Marie-Ève Dion

À la suite du décès de sa grand-mère, l’artiste pluridisciplinaire Claudia Chan Tak a entamé un travail de réflexion et de création sur le deuil, afin de l’aider à comprendre et à traverser cette difficile épreuve. Pour cette Québécoise d’origine chinoise et malgache, l’exploration se devait également d’être identitaire et ses rituels, inspirés de ceux de ses ancêtres. Quatre ans plus tard, elle nous présente Au revoir zébu, le fruit de ses recherches, un solo en deux parties.

La plus récente œuvre de Claudia Chan Tak est le résultat d’une promesse faite à sa grand-mère disparue, celle de lui offrir sa prochaine danse. La chorégraphie débute alors qu’elle marche sur un sol couvert de sections de tissus disposées en cercle. La richesse des étoffes frappe : paillettes scintillantes, coloris vifs, textures parfois satinées ou métalliques. Lentement, les mouvements concentriques amènent la jeune femme au centre de ce que l’on devine être une robe, à la confection de laquelle a été consacrée une année, une manière pour elle d’accompagner sa proche parente vers le monde des ancêtres. Puis, la créatrice glisse sur sa tête un énorme crâne de zébu (orné de bijoux), un animal omniprésent dans les rites funéraires malgaches.

La deuxième partie du solo s’articule autour d’un second vêtement, celui-là parsemé de fleurs faites de matériaux recyclés. Claudia Chan Tak a profité de ses rencontres avec une centaine de personnes pour découvrir d’autres façons de faire ses adieux à des êtres chers et pour les inviter à coudre avec elle les pétales qui garnissent la longue tunique. Une sorte de célébration de la puissance du réconfort apporté par le partage de ses douleurs. Pour faire le lien entre les deux segments du spectacle, l’artiste expose au public certaines de ses interrogations, sur la mort, mais aussi sur la culture, le processus migratoire, la transmission des traditions, et fait entendre quelques musiques.

© Marie-Ève Dion

Le pouvoir des objets

Les accessoires sont d’une importance capitale dans l’œuvre de la créatrice, formée en arts visuels, puis en danse contemporaine, et lauréate du prix Envol pour la diversité culturelle et les pratiques inclusives en danse en 2022. Sur la scène épurée de La Chapelle Scènes Contemporaines, les spectaculaires robes et le crâne qu’elle a confectionnés fascinent, même envoûtent. La danseuse les déploie tels des biens précieux, les revêt, les enlève, les utilise, puis les expose comme on le ferait avec des objets sacrés. La scénographie est, ici, minimaliste, mais sublimée par les éclairages caressants signés Étienne Fournier et Catherine Fournier-Poirier.

La gestuelle de l’interprète est minutieuse et fait parfaitement écho à la délicatesse des ornementations des costumes. Ses mouvements s’inspirent tantôt de créatures surnaturelles, tantôt de divinités animales. En résulte une chorégraphie aussi sensible que sensuelle, à laquelle on s’abandonne volontiers. Toutefois, la communion entre l’artiste et son public est malheureusement interrompue par les transitions ardues entre les différentes scènes de la performance. Les changements de costumes et de décor, par exemple, s’étirent et altèrent le rythme de l’œuvre.

Si on ne peut qu’être touché·e par la démarche de la jeune femme, on reste quelque peu sur sa faim. Les questionnements personnels exprimés pendant le spectacle sont évocateurs et pertinents, mais peu développés. Comme si le désir d’atteindre une portée universelle primait sur son cheminement intime et sa quête identitaire, pourtant fascinants.

Dans Au revoir zébu, Claudia Chan Tak aborde des thèmes rassembleurs avec une approche bien à elle, grâce à laquelle elle fait corps avec des objets cérémoniels flamboyants. Devant ces rites funéraires singuliers et émouvants, l’acte de spectature se fait contemplatif. On en ressort apaisé, mais avec l’impression de n’avoir qu’effleuré la réflexion inexorablement liée au décès d’un être cher.

Au revoir zébu

Création et interprétation : Claudia Chan Tak. Texte, dramaturgie et conseils artistiques : Tamara Nguyen. Conception des éclairages : Étienne Fournier et Catherine Fournier-Poirier. Musique en direct : Jackson Jaojoby. Intervenant social : André Ho. Costume et conseils artistiques : Denis Lavoie. Masque et conseils artistiques : Carl Vincent. Danse et culture malgache et conseils artistiques : Géraldine Leong Sang. Voix et conseils artistiques : Sarah Desjeunes Rico. Une production de Claudia Chan Tak, présentée à La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 16 février 2023.