Quelle sensation étrange de revoir une pièce vue il y a près de 20 ans, dont le souvenir s’attache à l’impression globale d’une prestation ressentie à l’époque comme très touchante. Voilà ce qui peut arriver avec la recréation de Léon le nul de Francis Monty, dont la nouvelle mouture scénique se révèle radicalement différente de celle proposée à la création, en 2005, et pour cause : l’auteur a décidé de transférer le monologue de l’enfant à un adulte. Le comédien Étienne Blanchette s’y donne entièrement, dans une performance à la fois physique, verbale et sonore qui étonne, amuse, captive, mais atteint peut-être seulement en partie les visées du texte.
L’histoire est celle d’un enfant « petit et misérable », le jeune Léon, victime d’intimidation à l’école – une réalité malheureusement bien présente aujourd’hui comme hier –, et dont les relations avec sa mère et son frère aîné ne sont pas de tout repos, loin s’en faut. Vivant difficilement les invectives de sa génitrice, qui pousse ses rejetons dehors pour avoir la paix, et l’assurance affichée d’Étienne, ce frère vendeur de chocolat qui compte son argent alors que lui n’a rien, le garçon trouve refuge dans un imaginaire fantasque. Ayant décrété qu’il voulait devenir un train, Léon mange des clous et des écrous, espérant s’endurcir jusqu’à pouvoir rouler sur les rails.
L’univers de Léon le nul oscille entre réalisme et surréalisme, entre quotidienneté et poésie, passant de l’un à l’autre de façon assez subtile, comme si tout était possible. Par exemple, que son grand frère se déplace en montgolfière ou qu’il ait un petit Étienne caché dans son cœur, qui derrière sa carapace pleure et souffre du froid, en manque d’affection. Là où Léon, enfin, peut comprendre que si celui-là s’est fait une armure extérieure, comme les gens qu’il découvre d’un nouvel œil autour de lui, lui-même s’en est fabriqué une intérieure en imaginant se transformer en locomotive.
Prestation tous azimuts
D’entrée de jeu, l’interprète de ce solo, où il n’y a au centre de la scène qu’une simple chaise – un dénuement qui peut surprendre devant une œuvre d’une compagnie spécialisée en théâtre d’objets – s’adresse directement au public, lui posant des questions – « Est-ce qu’il y en a parmi vous qui ont déjà eu des parents ? » –, suscitant déjà rires et complicité, avant d’entrer dans la fable comme telle. À quelques reprises durant la représentation, il utilisera ce procédé de l’aparté comme pour nous permettre de souffler, demandant après-coup : « On retourne dans la fiction ? » Il guide ainsi l’assistance, composée surtout d’adultes, mais aussi de quelques enfants le soir de la première, en mimant, littéralement, tout ce qu’il évoque. Jouant de gestes des mains, de mouvements du corps, de déplacements dans l’aire de jeu qu’il habite totalement, de bruits de bouche, de mimiques et de grimaces, l’acteur donne vie aux lieux – une gare, une chambre minuscule, un cabanon, une ruelle, l’école – et aux personnes qui les hantent dans un tourbillon de mots et d’onomatopées d’une heure et quart.
Si la performance est remarquable, elle demande tout de même un certain effort de concentration pour en saisir toutes les nuances et la signification. On doit suivre attentivement les méandres du récit, tout en décodant les expressions multiples de l’interprète, qui passe de l’une à l’autre parfois sans transition, pouvant nous faire perdre le fil. Ainsi, le spectacle suscite un intérêt certain, le rire ou le sourire à plusieurs reprises, une réflexion sans doute autour du thème de l’intimidation, la surprise devant des images déjantées, mais somme toute assez peu d’émotion.
Texte et mise en scène : Francis Monty. Assistance à la mise en scène : Martine Richard. Accompagnement dramaturgique : Jonathan Cusson. Conception des éclairages : Thomas Godefroid. Costumes : Julie Vallée-Léger. Avec Étienne Blanchette. Une production du Théâtre de la Pire Espèce, présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 18 février 2023.
Quelle sensation étrange de revoir une pièce vue il y a près de 20 ans, dont le souvenir s’attache à l’impression globale d’une prestation ressentie à l’époque comme très touchante. Voilà ce qui peut arriver avec la recréation de Léon le nul de Francis Monty, dont la nouvelle mouture scénique se révèle radicalement différente de celle proposée à la création, en 2005, et pour cause : l’auteur a décidé de transférer le monologue de l’enfant à un adulte. Le comédien Étienne Blanchette s’y donne entièrement, dans une performance à la fois physique, verbale et sonore qui étonne, amuse, captive, mais atteint peut-être seulement en partie les visées du texte.
L’histoire est celle d’un enfant « petit et misérable », le jeune Léon, victime d’intimidation à l’école – une réalité malheureusement bien présente aujourd’hui comme hier –, et dont les relations avec sa mère et son frère aîné ne sont pas de tout repos, loin s’en faut. Vivant difficilement les invectives de sa génitrice, qui pousse ses rejetons dehors pour avoir la paix, et l’assurance affichée d’Étienne, ce frère vendeur de chocolat qui compte son argent alors que lui n’a rien, le garçon trouve refuge dans un imaginaire fantasque. Ayant décrété qu’il voulait devenir un train, Léon mange des clous et des écrous, espérant s’endurcir jusqu’à pouvoir rouler sur les rails.
L’univers de Léon le nul oscille entre réalisme et surréalisme, entre quotidienneté et poésie, passant de l’un à l’autre de façon assez subtile, comme si tout était possible. Par exemple, que son grand frère se déplace en montgolfière ou qu’il ait un petit Étienne caché dans son cœur, qui derrière sa carapace pleure et souffre du froid, en manque d’affection. Là où Léon, enfin, peut comprendre que si celui-là s’est fait une armure extérieure, comme les gens qu’il découvre d’un nouvel œil autour de lui, lui-même s’en est fabriqué une intérieure en imaginant se transformer en locomotive.
Prestation tous azimuts
D’entrée de jeu, l’interprète de ce solo, où il n’y a au centre de la scène qu’une simple chaise – un dénuement qui peut surprendre devant une œuvre d’une compagnie spécialisée en théâtre d’objets – s’adresse directement au public, lui posant des questions – « Est-ce qu’il y en a parmi vous qui ont déjà eu des parents ? » –, suscitant déjà rires et complicité, avant d’entrer dans la fable comme telle. À quelques reprises durant la représentation, il utilisera ce procédé de l’aparté comme pour nous permettre de souffler, demandant après-coup : « On retourne dans la fiction ? » Il guide ainsi l’assistance, composée surtout d’adultes, mais aussi de quelques enfants le soir de la première, en mimant, littéralement, tout ce qu’il évoque. Jouant de gestes des mains, de mouvements du corps, de déplacements dans l’aire de jeu qu’il habite totalement, de bruits de bouche, de mimiques et de grimaces, l’acteur donne vie aux lieux – une gare, une chambre minuscule, un cabanon, une ruelle, l’école – et aux personnes qui les hantent dans un tourbillon de mots et d’onomatopées d’une heure et quart.
Si la performance est remarquable, elle demande tout de même un certain effort de concentration pour en saisir toutes les nuances et la signification. On doit suivre attentivement les méandres du récit, tout en décodant les expressions multiples de l’interprète, qui passe de l’une à l’autre parfois sans transition, pouvant nous faire perdre le fil. Ainsi, le spectacle suscite un intérêt certain, le rire ou le sourire à plusieurs reprises, une réflexion sans doute autour du thème de l’intimidation, la surprise devant des images déjantées, mais somme toute assez peu d’émotion.
Léon le nul
Texte et mise en scène : Francis Monty. Assistance à la mise en scène : Martine Richard. Accompagnement dramaturgique : Jonathan Cusson. Conception des éclairages : Thomas Godefroid. Costumes : Julie Vallée-Léger. Avec Étienne Blanchette. Une production du Théâtre de la Pire Espèce, présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 18 février 2023.