Dossier JEU 185 · Après l’école…

« Adieu, monsieur le professeur » (air connu)

© Julie Artacho

Au début de la crise sanitaire, les artistes ont parfois emprunté des habits de zombies, ne sachant plus trop sur qui ou sur quoi se jeter. C’était vrai pour les professionnel·les établi·es, mais peut-être encore plus pour les jeunes qui allaient terminer leurs études dans les années suivantes. Assister à des cours, échanger avec des collègues et répéter devant l’ordinateur les ont fait accéder à une zone située au-delà du réel. Les enseignant·es et les directions d’école parlaient, dans la tourmente, d’une « génération sacrifiée ».  C’était sans compter sur la passion inextinguible de la jeunesse.

Réagissant à la morosité ambiante, le directeur artistique de la section française de l’École nationale de théâtre, Frédéric Dubois, s’est fendu d’un cri du cœur, en 2022, pour affirmer haut et fort qu’« une merveilleuse génération est en route ». Notre dossier Après l’école… est né de cette idée : donner la parole aux diplômé·es des années pandémiques, afin de brosser un portrait, voir d’où ils et elles viennent et vers quoi leur amour de l’art les portera.

Avec la coresponsable du dossier, Élise Fiola, nous avons réuni quatre artistes en émergence pour en discuter : Joëlle Thouin, Mathieu Renaud, Louiza Guira et Thomas Derasp-Verge. De profil et d’âge différents, ces nouveaux et nouvelles venues démontrent que leur boîte à outils est loin d’être vide, comportant même certains enseignements que ceux et celles qui les ont précédé·es n’ont probablement jamais eus. Très peu de certitudes, mais de la volonté à revendre pour affronter la vie professionnelle.

Elle-même finissante en journalisme à l’UQAM, Laetitia Arnaud-Sicari constate, dans son reportage, que la « relève » devra tout de même s’armer de patience pour réussir à démontrer sa pertinence et à faire sa place. C’est d’ailleurs ce que les femmes en théâtre vivent depuis trop longtemps au Québec. Anne-Marie Cousineau nous fait découvrir trois initiatives féministes, qui donnent à tout le moins une tribune à celles qui aiment le théâtre et souhaitent en faire.

Nous pourrions, d’une certaine façon, compter parmi elles la fondatrice de Pirata Théâtre, Michelle Parent, qui nous alerte sur la dure réalité de celles et de ceux que les institutions considèrent toujours comme faisant partie de la relève après dix ans et plus de métier. Cette « vieille relève » nage encore en eaux troubles entre la ferveur créatrice et la précarité, devant souvent multiplier les chapeaux pour s’en sortir.

Les 12 portraits de jeunes artistes proposés ensuite, et signés par des journalistes également émergent·es, laissent d’ailleurs entrevoir que l’air du temps les a déjà atteint·es. Il est frappant de voir comment ces finissant·es des écoles d’art possèdent un bagage hétéroclite, s’éloignant des chemins académiques habituels. Ils et elles ont accumulé les formations, les laboratoires et les ateliers, et quelques expériences professionnelles avant même d’entrer dans la communauté théâtrale.

Dans le même esprit, Vincent Pascal, directeur du Théâtre Tout Terrain, est en quelque sorte devenu un spécialiste de la formation continue. Sa troupe saisonnière embauche des nouveaux et nouvelles diplômées depuis plus d’une décennie pour favoriser leur intégration à la profession. Le goût d’être sur scène peut d’ailleurs commencer tôt, comme le croit Dave Jenniss, de la compagnie Ondinnok, qui a tenu à l’été 2022 un premier camp d’initiation théâtrale destiné à de jeunes autochtones du Nord-du-Québec.

Ainsi, pour la plupart, il apparaît clair que le passage des bancs de l’école aux planches représente une aventure semée d’embuches, sans garantie aucune. La jeune comédienne Blanche-Alice Plante, qui fait la une de notre revue avec sa consœur de Vernon Subutex, la chevronnée Anne-Marie Cadieux, nous raconte justement sa propre sortie des coulisses. Voilà un message de persévérance et d’espoir. Cet heureux mélange se retrouve aussi dans le milieu de la danse, écrit Flavie Boivin-Côté. Au sein de cette discipline, durement affectée par la pandémie, les corps qui savent comment tomber se relèvent peut-être encore plus fort.

Comme quoi, après l’école, rien ne s’est véritablement perdu. Alors, adieu et merci, mesdames et messieurs les professeur·es !