S’il est une pièce contemporaine qui mérite d’entrer au répertoire, c’est bien Abraham Lincoln va au théâtre, de Larry Tremblay. Quinze ans après sa création par Claude Poissant à Espace Go (voir Jeu, Numéro 129 (4), 2008, p. 7–11), on la redécouvre avec la même fascination sur les planches du TNM, dans une mise en scène jubilatoire de Catherine Vidal (différente de ce que le laboratoire de 2021 avait pu laisser imaginer).
Cette œuvre à tiroirs dans laquelle un personnage peut en cacher un autre (ou plusieurs) a pour point de départ un metteur en scène admiré, mais haï nommé Marc Killman (excellent Bruno Marcil), qui souhaite jouer l’assassinat du 16e président des États-Unis, Abraham Lincoln, à la manière de Laurel et Hardy.
Pourquoi un tel choix ? Les acteurs engagés pour ce faire ont du mal à le comprendre. Comprennent-ils quelque chose d’ailleurs ? Ils sont si éperdument soucieux de plaire au maître que leur motivation confine à la servilité. On saisira vite que le propos principal de la pièce ce n’est pas tant l’assassinat de Lincoln que la schizophrénie de l’Amérique, cette dichotomie tenace entre les pauvres et les riches, les Blancs et les Noirs, les républicains et les démocrates, les dominants et les dominés.
La relation sadomasochiste et tragicomique entre Hardy le grand gros, et Laurel le petit maigre, en est une parfaite métaphore. Construite sur des faux-semblants, la pièce a d’ailleurs pris une nouvelle dimension depuis l’élection de Donald Trump, qui a donné vie à la plus troublante des oppositions, celle entre la vérité et le mensonge, et à une fracture idéologique et sociale qui n’est pas sans rappeler celle qui fit rage durant la guerre de Sécession.
Performance d’acteurs et ode au théâtre
La pièce de Tremblay est aussi une réflexion sur le théâtre : la mise en scène de la réalité, l’importance de soulever des questions plutôt que d’y répondre, le mélange de vérités et d’artifices, la limite entre le professionnalisme et l’abnégation, la sujétion aux regards… Ici, Laurel et Hardy, ce sont deux acteurs au travail, explorant des pistes, et tentant de comprendre les enjeux qui sous-tendent le spectacle qu’ils sont en train de créer.
À ce titre, les performances de Luc Bourgeois (Laurel) et de Mani Soleymanlou (Hardy) forcent l’admiration. Leur maîtrise de ce texte complexe est impeccable, leur jeu corporel précis et efficace, et leur plaisir contagieux. Chaque geste, mimique, intonation, est parfaitement à sa place. La prestation de Didier Lucien, dans le rôle de celui qui prend le relais de Killman après sa mort, n’est pas de la même trempe.
La mise en scène de Catherine Vidal exploite à merveille la surenchère de rebondissements, offrant au passage quelques caricatures bien senties. Elle colle au propos avec les excès requis, jouant avec la sensation de foisonnement et de vertige induite par le texte et provoquant de nombreux éclats de rire. La scénographie en miroirs de Geneviève Lizotte reflète l’idée de dédoublement, tandis que la conception vidéo de Thomas Payette évoque les personnages qui se cachent derrière d’autres et ajoute une couche d’humour irrésistible.
Texte : Larry Tremblay. Mise en scène : Catherine Vidal. Assistance à la mise en scène : Alexandra Sutto. Décor : Geneviève Lizotte. Costumes : Julie Charland. Éclairages : Étienne Boucher. Conception vidéo : Thomas Payette/Studio Mirari. Musique : Francis Rossignol. Accessoires : Carol-Anne Bourgon Sicard. Maquillages : Justine Denoncourt-Bélanger. Mouvement : Mélanie Demers. Avec Luc Bourgeois, Didier Lucien, Bruno Marcil et Mani Soleymanlou. Une production du TNM, présentée jusqu’au 8 avril 2023.
S’il est une pièce contemporaine qui mérite d’entrer au répertoire, c’est bien Abraham Lincoln va au théâtre, de Larry Tremblay. Quinze ans après sa création par Claude Poissant à Espace Go (voir Jeu, Numéro 129 (4), 2008, p. 7–11), on la redécouvre avec la même fascination sur les planches du TNM, dans une mise en scène jubilatoire de Catherine Vidal (différente de ce que le laboratoire de 2021 avait pu laisser imaginer).
Cette œuvre à tiroirs dans laquelle un personnage peut en cacher un autre (ou plusieurs) a pour point de départ un metteur en scène admiré, mais haï nommé Marc Killman (excellent Bruno Marcil), qui souhaite jouer l’assassinat du 16e président des États-Unis, Abraham Lincoln, à la manière de Laurel et Hardy.
Pourquoi un tel choix ? Les acteurs engagés pour ce faire ont du mal à le comprendre. Comprennent-ils quelque chose d’ailleurs ? Ils sont si éperdument soucieux de plaire au maître que leur motivation confine à la servilité. On saisira vite que le propos principal de la pièce ce n’est pas tant l’assassinat de Lincoln que la schizophrénie de l’Amérique, cette dichotomie tenace entre les pauvres et les riches, les Blancs et les Noirs, les républicains et les démocrates, les dominants et les dominés.
La relation sadomasochiste et tragicomique entre Hardy le grand gros, et Laurel le petit maigre, en est une parfaite métaphore. Construite sur des faux-semblants, la pièce a d’ailleurs pris une nouvelle dimension depuis l’élection de Donald Trump, qui a donné vie à la plus troublante des oppositions, celle entre la vérité et le mensonge, et à une fracture idéologique et sociale qui n’est pas sans rappeler celle qui fit rage durant la guerre de Sécession.
Performance d’acteurs et ode au théâtre
La pièce de Tremblay est aussi une réflexion sur le théâtre : la mise en scène de la réalité, l’importance de soulever des questions plutôt que d’y répondre, le mélange de vérités et d’artifices, la limite entre le professionnalisme et l’abnégation, la sujétion aux regards… Ici, Laurel et Hardy, ce sont deux acteurs au travail, explorant des pistes, et tentant de comprendre les enjeux qui sous-tendent le spectacle qu’ils sont en train de créer.
À ce titre, les performances de Luc Bourgeois (Laurel) et de Mani Soleymanlou (Hardy) forcent l’admiration. Leur maîtrise de ce texte complexe est impeccable, leur jeu corporel précis et efficace, et leur plaisir contagieux. Chaque geste, mimique, intonation, est parfaitement à sa place. La prestation de Didier Lucien, dans le rôle de celui qui prend le relais de Killman après sa mort, n’est pas de la même trempe.
La mise en scène de Catherine Vidal exploite à merveille la surenchère de rebondissements, offrant au passage quelques caricatures bien senties. Elle colle au propos avec les excès requis, jouant avec la sensation de foisonnement et de vertige induite par le texte et provoquant de nombreux éclats de rire. La scénographie en miroirs de Geneviève Lizotte reflète l’idée de dédoublement, tandis que la conception vidéo de Thomas Payette évoque les personnages qui se cachent derrière d’autres et ajoute une couche d’humour irrésistible.
Abraham Lincoln va au théâtre
Texte : Larry Tremblay. Mise en scène : Catherine Vidal. Assistance à la mise en scène : Alexandra Sutto. Décor : Geneviève Lizotte. Costumes : Julie Charland. Éclairages : Étienne Boucher. Conception vidéo : Thomas Payette/Studio Mirari. Musique : Francis Rossignol. Accessoires : Carol-Anne Bourgon Sicard. Maquillages : Justine Denoncourt-Bélanger. Mouvement : Mélanie Demers. Avec Luc Bourgeois, Didier Lucien, Bruno Marcil et Mani Soleymanlou. Une production du TNM, présentée jusqu’au 8 avril 2023.