« Depuis quelques temps, je pense souvent à l’impermanence. L’impermanence des choses et des humains, bien sûr. Et notre impermanence collective surtout. Puis je me questionne sur la permanence du théâtre : un art millénaire, un art de la présence qui se relève lentement du récent KO.
L’(im)permanence me fait penser à Truva. Une ville turque qui donne sur la mer Égée. Une ville en ruines, qui a pourtant eu neuf vies. Une ville que nous connaissons sous le nom de Troie et que je pensais fictive jusqu’à tout dernièrement. Lors d’un récent voyage en Turquie, en marchant sur ces ruines mythologiques, chaque pas me rendait plus confuse : si Troie avait existé, Priam, Paris et Hélène avaient-ils également foulé cette terre? Dans une douce confusion entre fiction et vérité, j’ai poursuivi mon périple le long de la mer Égée, ne sachant trop si je devais googler Priam ou non. Je ne l’ai pas fait. Priam et sa bande demeurent donc flottant entre mythologie et histoire. Ce mystère me rend sereine : peu importe l’Histoire, tant qu’il y a une histoire.
La valeur et la grande puissance de l’histoire, la vie me les a enseignées il y quelques années, lorsqu’un être cher a été porté disparu, puis jamais retrouvé. Ce n’est pas le corps, la dépouille inanimée et la chaire raidie, qui m’ont le plus manqué, mais l’histoire même de sa fin subite. Le manque d’une histoire à (me) raconter, afin de dissiper le mystère de la mort. J’ai ainsi compris, au plus profond de moi, que nous sommes des êtres d’histoire, une espèce fabulatrice qui a besoin de s’inventer et se dire par la fiction.
Devant l’évidence de la fin du monde, qui se manifeste chaque jour avec une concrétude de plus en plus alarmante, je réfléchis parfois à la pertinence du théâtre pour raconter cette impermanence de la vie. Sur les ruines de quelle société devra-t-on se reconstruire artistiquement, dans un an, cent ans, trois mille ans? Pour que nos histoires nous survivent (et peut-être pour que le théâtre survive, point), ce sont les principes d’équité, de représentativité et d’écoresponsabilité qui doivent impérativement, dès maintenant, guider notre pratique.
Ainsi, dans notre monde éphémère, c’est par sa pertinence que le théâtre assurera sa permanence. Celui qui nous représente, définit et forge. Celui qui palpite intensément dans tissus, corps et voix, sur plateaux, trottoirs ou terrazzo, sous lumières, sons et scénographies… même s’il est voué – ou parce qu’il est voué, de par sa nature même, à mourir soudainement après trois semaines, quelques tournées ou tout au plus quelques centaines de représentations. Un art vivant qui valse avec la mort. Un art de fiction, qui dit la vérité en mentant. »
Catherine Bourgeois, autrice du message québécois du théâtre 2023
Conseil québécois du théâtre
« Depuis quelques temps, je pense souvent à l’impermanence. L’impermanence des choses et des humains, bien sûr. Et notre impermanence collective surtout. Puis je me questionne sur la permanence du théâtre : un art millénaire, un art de la présence qui se relève lentement du récent KO.
L’(im)permanence me fait penser à Truva. Une ville turque qui donne sur la mer Égée. Une ville en ruines, qui a pourtant eu neuf vies. Une ville que nous connaissons sous le nom de Troie et que je pensais fictive jusqu’à tout dernièrement. Lors d’un récent voyage en Turquie, en marchant sur ces ruines mythologiques, chaque pas me rendait plus confuse : si Troie avait existé, Priam, Paris et Hélène avaient-ils également foulé cette terre? Dans une douce confusion entre fiction et vérité, j’ai poursuivi mon périple le long de la mer Égée, ne sachant trop si je devais googler Priam ou non. Je ne l’ai pas fait. Priam et sa bande demeurent donc flottant entre mythologie et histoire. Ce mystère me rend sereine : peu importe l’Histoire, tant qu’il y a une histoire.
La valeur et la grande puissance de l’histoire, la vie me les a enseignées il y quelques années, lorsqu’un être cher a été porté disparu, puis jamais retrouvé. Ce n’est pas le corps, la dépouille inanimée et la chaire raidie, qui m’ont le plus manqué, mais l’histoire même de sa fin subite. Le manque d’une histoire à (me) raconter, afin de dissiper le mystère de la mort. J’ai ainsi compris, au plus profond de moi, que nous sommes des êtres d’histoire, une espèce fabulatrice qui a besoin de s’inventer et se dire par la fiction.
Devant l’évidence de la fin du monde, qui se manifeste chaque jour avec une concrétude de plus en plus alarmante, je réfléchis parfois à la pertinence du théâtre pour raconter cette impermanence de la vie. Sur les ruines de quelle société devra-t-on se reconstruire artistiquement, dans un an, cent ans, trois mille ans? Pour que nos histoires nous survivent (et peut-être pour que le théâtre survive, point), ce sont les principes d’équité, de représentativité et d’écoresponsabilité qui doivent impérativement, dès maintenant, guider notre pratique.
Ainsi, dans notre monde éphémère, c’est par sa pertinence que le théâtre assurera sa permanence. Celui qui nous représente, définit et forge. Celui qui palpite intensément dans tissus, corps et voix, sur plateaux, trottoirs ou terrazzo, sous lumières, sons et scénographies… même s’il est voué – ou parce qu’il est voué, de par sa nature même, à mourir soudainement après trois semaines, quelques tournées ou tout au plus quelques centaines de représentations. Un art vivant qui valse avec la mort. Un art de fiction, qui dit la vérité en mentant. »
Catherine Bourgeois, autrice du message québécois du théâtre 2023
Conseil québécois du théâtre